Il aura fallu cinq ans à Tahliah Debrett Barnett aka FKA Twigs pour accoucher de son second album,
Magdalene, après le coup de maître de son LP1 en 2014. L'attente fut longue mais le résultat s'est avéré être largement au niveau de nos attentes. Depuis sa sortie, les neuf titres produits notamment par Nicolas Jaar et Oneohtrix Point Never tournent en boucle sur nos platines.
Nous avions eu droit à un avant-goût de ces nouveaux morceaux en juin lors de We Love Green, mais il faut admettre que l'écrin de la Salle Pleyel et son acoustique parfaite s'avèrent bien plus adaptés pour accueillir une performance de FKA Twigs que le tourbillon d'un festival d'été en extérieur, bookée entre IDLES, Sebastian et une ou sept bières.
La première partie de la soirée est assurée par
Vegyn, le jeune producteur anglais que tout le monde s'arrache, de Frank Ocean à James Blake en passant par JPEGMAFIA (on a vu pire comme CV). Assis à même le sol, il balance les sons de son premier album à un public pas à tout à fait prêt à se dandiner devant son electronica subtile. Déjà grand producteur mais pas encore complètement showman, Vegyn n'en reste pas moins un nom à retenir et à suivre de très près en 2020.

Annoncée à 21h, FKA Twigs sait se faire désirer et ce n'est qu'aux alentours de 21h30 que les lumières s'éteignent devant un public conquis d'avance. Ce léger retard sera notre seul bémol de la soirée, si l'on oublie le prix des consos et du vestiaire et un service de sécurité un brin trop tendu pour gérer un public aussi chill. Tout ce qui suivra relèvera de la grâce pure, ce genre de concert dont on pourra dire « j'y étais » en contant chaque morceau de bravoure avec des tremolos dans la voix à nos potes qui avaient préféré rester au chaud devant le canal football club ou à nos copines qui, je cite, « n'avaient pas de babysitter de booké ».
Mais commençons par le commencement comme dirait Pierre Bellemare. Les lumières s'éteignent donc. Quelques notes de
Thousand Eyes résonnent et Thaliah, tu permets que je t'appelle Thaliah, arrive sur scène, les rideaux encore fermés, habillée telle une Marie-Antoinette revisitée par Rick Owens, et débute le spectacle par une performance de tap dance. Déroutant de prime abord, mais annonçant d'entrée la couleur, nous n'allions pas assister à show conventionnel. Les rideaux toujours fermés, le premier vrai morceau sera
Hide avant que ceux-ci ne s'entrouvrent faisant apparaitre un fonds drapé de nuages, un premier pas vers le septième ciel. Place aux tubes de
LP1,
Water Me, Pendulum et
Figure 8 seront entonnés en solo, mais FKA Twigs n'a besoin de personne pour faire le show. Elle danse comme Michael, bouge comme Queen B. et chante comme personne.
Elle disparait quelques secondes pour se changer (car elle se changera beaucoup, cinq ou six tenues différentes au bas mot, on n'a pas compté, sûrement parce qu'on aimait trop) alors que quatre danseurs débarquent sur scène dans une chorégraphie ultra maitrisée et d'une sensualité renversante. Le récital
Magdalene peut débuter, alternant moments de pure intimité (
Thousand Eyes, Day Bed) ou de gros show ultra maîtrisé (
Home With You, Sad Day). Les danseurs quittent la scène, FKA Twigs prend son temps, n'a pas peur de laisser des blancs, habituels moments de gènes, qui s'avèrent être ici des instants de respiration, de calme avant la tempête.

On se souviendra longtemps de ce
Fallen Alien sur lequel la sublime anglaise exécute une chorégraphie sabre à la main nous faisant oublier Uma Thurman et Musashi Miyamoto (je vous autorise à quitter – momentanément - cette critique pour aller voir ça sur Youtube). A peine le temps de se frotter les yeux devant ce que nous venions de voir, que le rideau de nuages tombe dévoilant une architecture métallique sur lequel joue le band de FKA Twigs entamant tambours battants les deux gros featurings hip-hop que sont
Holly Terrain (Future) et
Fukk Sleep (A$ap « j'aime la Suède » Rocky).
C'est le moment pour FKA Twigs de s'adresser au public – tellement éberlué par cette performance, qu'on n'avait même pas pensé qu'elle ne nous avait pas dit un mot. Mais ici, pas de « What's up Paris ? » mécanique, quand elle nous parle c'est pour nous demander si, comme elle, quelqu'un a eu le cœur brisé et de se livrer de manière tellement sincère et touchante. Car l'histoire de ce disque ne parle que de ça, de cœurs brisés, de solitude et de paradis perdu. Si se faire quitter par Robert Pattinson rend aussi créative, j'en connais deux ou trois qui seraient prêt.e.s à tenter l'expérience. C'est le moment de
Mirrored Heart qui a hérissé chaque poil de la salle (je crois avoir même vu un membre de la sécurité verser sa petite larme).
Fka Twigs aura parlé autant à notre cerveau, qu'à nos oreilles, notre cœur et nos tripes avant d'entamer un final époustouflant sur un
Two Weeks sous confettis et de clôturer sur
Cellophane, seule sur scène, pour nous faire retomber en apesanteur sur nos sièges (très confortables, Salle Pleyel oblige).
En une heure trente, FKA Twigs, sorte d'enfant illégitime de Björk et Aaliyah, nous aura livré un show tour à tour intime et grandiose, comme ses disques qui mêlent efficacité RnB immédiate et avant-garde électronique.
Les yeux embués, le cœur retourné, ce dimanche soir à Paris, on a vu le futur de la musique, et il est salement mélancolique.