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The Pipettes
Plan B
Jarvis Cocker

Paris, Cigale - 12 novembre 2006

Live-report par Valy

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Encore une fois, le Festival des Inrocks nous fait le coup de la programmation éclectique. Pour finir le week-end en beauté, la Cigale verra la célébration du retour de Jarvis Cocker, précédé d’une flopée de derniers perdreaux de l’année : Tapes n’Tapes, Arman Meliès, Plan B, The Pipettes. En somme une espèce de compilation de genres indie-prout-prout : le groupe américain proprement crasseux, le vague à l’âme du chanteur français faussement maudit, le premier de la classe dans l’école des p’tits cons à capuche, et le girls band à pois H&M, avant de retrouver l’icône indie-pop à lunettes. A partir de là, tout peut arriver, le meilleur, comme le pire. Et justement, tout est arrivé. Petit aperçu des artistes internationaux, et gros plan sur les britanniques.

Ouverture en forme de douche écossaise. Les américains de Tapes n’Tapes méritaient mieux que cette Cigale encore moitié pleine (ou moitié vide, à vous de voir…). Leur son brut, des paroles excentriques, la déstructuration du modèle couplet/refrain et leurs mélodies imparables font dire à toute la presse qu’ils sont les talentueux rejetons du couple Pavement-Pixies. Au-delà des clins d’œil, une niaque sur le mode mineur qui jouit de ses propres qualités. Le rythme effréné des guitares shadowsiennes d’ « Insistor » tient là un tube qui lance la petite machine intérieure du cœur prêt à s’élancer vers une soirée de concerts enthousiasmants. Mais le set trop court a à peine le temps de nous mettre ainsi en jambes qu’il faut déjà se refroidir la carcasse. Hélas, Arman Méliès vient déjà sonner le glas de nos espoirs de folles chevauchées à travers des déserts poussiéreux. Le passage sur scène du jeune français ne conservera en effet de l’épopée précédente que la poussière. Une musique et une ambiance pesantes qui détournent vite l’attention qu’on pourrait porter à la poésie franco-française des textes, récités avec timidité. Ce Méliès-ci peine à nous emmener en voyage dans la lune. Lacune des effets spéciaux sans doute. Vous excuserez votre serviteur de sa défaillance de concentration sur cette partie de la soirée. Et puisque nous sommes sur un webzine dédié à la musique britannique, trouvons ici un prétexte à passer plus sérieusement à l’artiste suivant : l’anglais Plan B.

Entrée en matière des plus avenantes. Un jeune homme présentant l’allure de ceux que certains chez nous voudraient passer « au kärcher » déboule sur scène et sort le public de la torpeur dans laquelle l’avait plongé Méliès. « Fuck you cunts » a-t-on juste le temps de s’entendre dire avant que nous dévale en pleine figure la verve en flux tendu de l’insolent. Eminem des faubourgs d’East London, le fougueux Ben prétend nous initier à ce qu’il a décidé d’appeler du « hip hop acoustique ». Pour ce faire, son plan est simple : un flow copieux de lyrics enragées, du sample préenregistré, mais aussi un batteur-cogneur, et occasionnellement une guitare acoustique. Dernier élément qui, le temps d’un clin d’œil (et pas plus), n’est pas sans rappeler la récente échappée de Joeystarr dans l’univers de Brassens. Une peu échaudé par sa prétentieuse arrivée sur scène, on se surprend à reconnaître tout au long du set quelques qualités à ce Plan B. Mais avant d’en arriver là, il faudra passer par la deuxième impression de méfiance qu’on éprouve, à l’écoute de son titre rapé sur fond de Radiohead. On craint d’abord qu’après un hip hop désespéré tapissé de « Pyramid Song », une contagion dépressive finisse par mener la Cigale vers un suicide collectif. Malin, Plan B, après s’être mis dans la poche les fans de Thom Yorke, ne tarde pas à nous asséner un coup de boule techno en guise de réveil. Après Brassens, Zidane. Pas tombé dans le piège du duplicata de The Streets, bien qu’on soit parfois obligé d’y penser, épisodiquement dans la droite lignée d’un Zack de La Rocha, les références du mélange hip-hop et pop pleuvent, tantôt à l’avantage du jeune loup, tantôt à son défaut. Bon élève qui passera sans doute en classe supérieure de rap, ce qui fait son originalité est aussi sa faiblesse. Son titre chanté seul avec guitare sous le bras rate son envolée émotionnelle au pays de la folk et se vautre, faute de souffle. S’il est tout à son honneur d’avoir essayé, on lui souhaite d’en prendre de la graine et d’aller réviser les classiques du genre autant qu’il a su parfois restaurer à sa façon les reliques d’NWA.

C’est à la petite voix de Babeth (connue chez Dionysos) que sera confiée la mission d’assurer la transition improbable entre Plan B et la liqueur pop des Pipettes. Seule avec sa guitare devant le rideau rouge qui cache la scène, la puce fait sensation en débarquant avec un panier de friandises à destination du public. Bien joué. La technique a l’avantage de faire migrer un maximum d’oiseaux affamés au pied des planches pour le set suivant.

L’attente entre chaque set est interminable, et on s’impatiente tellement d’arriver au bout de la soirée pour retrouver Jarvis Cocker, qu’on se réjouit de l’enthousiasme que soulève dans une Cigale pleine à craquer l’arrivée des Pipettes. La bonne humeur (feinte ?) des donzelles fait l’effet d’une contagion dans la fosse de la salle. Le public inexplicablement surexcité semble suivre le groupe dans sa comédie trop ensoleillée pour être honnête. Car comment s’enflammer outre-mesure pour ce pastiche en carton-pâte des Girl Groups estampillées Phil Spector. C’est ce qu’on appelle communément un effet de hype, qu’il faut, paraît-il, prendre au 124ème degré (mais avec des boules quiès). Qu’en est-il sur scène ? Tout droit sorti des vitrines de magasins de fripes d’occasion, le trio porte ses robes à pois, uniforme stylistique auquel on reconnaît les demoiselles. Derrière ces trois choristes œuvre un groupe d’hommes objets imperceptibles. Jeunes et jolies, sourire aux lèvres, elles exécutent avec minutie les chorégraphies ingénues et répétitives qui collent aux paroles non moins rudimentaires de leurs pop songs très 60’s. Exhortant le public à les suivre dans leur ballet, les Pipettes affirment n’aimer dans la vie que l’amour et la danse. Joli principe, mais défendu autrefois par les Supremes avec une ferveur plus communicative. Ce qui pourrait ainsi être des plus charmant et rafraîchissant agace pourtant vite. Trop de mise en scène tue la mise en scène, et le manque de spontanéité de ce groupe fabriqué en usine est trop criant pour être vraiment amusant. Les transitions explicatives organisées entre chaque chanson donnent l’impression d’assister au tour de chant de candidates à un télé crochet. « Tu n’as rien compris, c’est voulu, c’est-pour-de-riiiiire » rétorqueront les plus groupies. Soit. Mais trop, c’est trop. Si certains refrains remplissent parfaitement leur tâche en restant scotchés dans l’esprit, ce qui n’est pas rien, me direz-vous, la lassitude qu’ils inspirent fait regretter qu’ils soient si opérants. Pour ce qui est du soi-disant dépoussiérage du doo-wop, on préfèrera toujours les envolées fiévreuses d’une Lauryn Hill aux gloussements de ce groupe-imposture.

A ce stade de la soirée, on est déjà lessivé par l’insuffisance de l’ensemble. Longue, inégale, on attend avec une impatience difficilement dissimulée son dénouement, qu’on espère heureux. L’ex-Pulp saura-t-il nous redonner le sourire, ou ses nouveautés en solo poursuivront-t-elles invariablement cette suite de déconvenues ? Dès les premiers titres, le groupe, la voix juste, touchante et claire du Cocker et ses mélodies habilement construites nous affranchissent de l’abattement dans lequel les sets précédents commençaient à nous plonger. La présence du fidèle Steve Mackey à la basse laisse présager la présence de titres de Pulp pendant le set, mais le grand Jarvis mettra vite les choses au clair : il n’en sera rien. Dans un de ses (sympathiques, nombreux et improbables) discours, il nous explique avec une franchise amusée qu’il s’agit d’un concert entièrement consacré à ses nouvelles compos solo, dans le cadre de la promotion du nouvel album !Autre proche du gang de Sheffield, Richard Hawley officie à la guitare. Classiques mais efficaces, les hymnes du flegmatique dandy s’inscrivent dans l’héritage de son groupe, en faisant toutefois un pas de plus vers la sensibilité. Loin des clichés du nouveau « Gainsbourg and Daughter », le Harry Potter de la brit pop a plus d’un tour dans son chapeau. Ensorcelantes, ses nouvelles petites perles s’alignent avec élégance tout le long d’un show mené avec intelligence. Enlevées ou mélancoliques, ces chansons relèvent toujours d’une certaine poésie. D’un anglais teinté de frenchysmes, le désormais bobo parisien dialogue avec son public comme avec un nouvel ami croisé au coin du bar, jouant ainsi un peu plus du charme qui opère facilement dans la salle. Danseur dégingandé au faciès lunaire, Jarvis et son look de professeur de maths entraîne le public dans le rythme qu’il impose avec plus de sincérité que les pulpeuses Pipettes, le talent musical aidant. Couronnement béat du chemin de croix de cette soirée, le set de Jarvis Cocker, même s’il n’était pas complètement parfait, avait de toute façon le mérite de sortir de ce bourbier le sourire aux lèvres, et ce n’était pas gagné. Ouf, merci à lui.