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Ezra Collective

Paris, Trabendo - 14 février 2023

Live-report par Adonis Didier

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Un 14 février, il y a en général trois types de personnes. Celles qui vont au restaurant en amoureux pour s'offrir des roses congelées importées à prix d'or et de carbone depuis des latitudes beaucoup plus proche de l'équateur que nous. Celles qui délaissent tout pour se ruer devant un match de football dont on sait déjà qu'il ne mènera qu'à une énième élimination prématurée du Paris Saint-Germain en Ligue des Champions. Et enfin, il y a celles qui se retrouvent, sur les coups de 20h30, dans un Trabendo complet pris d'assaut par un collectif encore mieux organisé que celui des Bouches-du-Rhône, une bande de fous jouant du funk-jazz-afrobeat-reggae à toute allure, ramenant les Caraïbes et l'Afrique Equatoriale dans nos froides contrées septentrionales, j'ai nommé le Ezraa Collective (bruit de foule en délire) !

Un concert lancé de façon peu conventionnelle, puisque l'on se contentera de la version studio d'Ego Killah diffusée à travers le sound system du Trabendo pour chauffer la salle, qui commence à doucement s'impatienter de voir les cinq musiciens prendre enfin possession de la scène. Chose faite lorsque retentissent la trompette et le saxophone, non pas de l'ange Gabriel, mais du Ezra Collective nous invitant à rejoindre son monde si chaleureux et remuant. Welcome To My World sert de préchauffe, chanson coupée en deux lorsque le batteur et « chef d'orchestre » se lève pour faire monter l'ambiance et présenter son band : à la trompette, monsieur Ife Ogunjobi, au saxophone ténor, monsieur James Mollison the third, aux différents claviers, monsieur Joe Armon-Jones, et enfin à la basse, mon frère, et pas seulement en esprit, monsieur T. J. Koleoso. Je suis Femi Koleoso, nous sommes le Ezra Collective, bienvenue dans notre monde. La trompette fait pam, le saxophone fait poum, la basse doum-doum dans notre estomac, et Femi se remet à boum-boum-tchakatchakachak derrière sa batterie, car les meilleures présentations sont aussi celles qui se passent des mots mais pas de la musique.

On part alors sur un premier solo de trompette, puis un petit solo de batterie qui nous amène vers Chris and Jane, solo de saxophone réglementaire, avant qu'un solo de basse ne serve de nouvel enchaînement entre les chansons, T.J. balançant le groove les yeux dans les yeux avec son frère. Un T.J. qui assure aussi l'intérim au microphone sur No Confusion, non pas pour rapper en lieu et place de Kojey Radical, mais pour demander au public de reprendre en chœur la ligne de trompette smooth et criminelle de mister Ife. Tactique payante, tant le public reprendra par la suite de lui-même les mélodies les plus reconnaissables entonnées ad libitum par la section cuivrée.
Il est maintenant temps pour Femi de relever une nouvelle fois son séant, et de venir au-devant de la scène pour remercier les gens venus ce soir, ainsi que ceux ayant cru en eux depuis le début, dont un fameux Simon du New Morning, qui, nonobstant le fait d'avoir aussi bu tout leur rhum, fut le premier à les inviter à se produire à Paris dans le fameux club de jazz. Femi nous raconte ensuite sa journée de Saint-Valentin, entamée sur un grand soleil à travers les vitres d'un hôtel parisien, poursuivie par un passage à l'exposition dédiée à Fela Anikulapo-Kuti, père de l'afrobeat et grand militant populiste nigérian, engagé toute sa vie contre la corruption et le néocolonialisme ayant cours en Afrique. L'occasion de rendre un hommage aux divers musiciens ayant inspiré le Ezra Collective, de John Coltrane, à Ella Fitzgerald, en passant par l'inévitable Sun-Ra, et bien évidemment Fela Kuti, dont deux compositions seront reprises au cours de la soirée : Teacher Don't Teach Me Nonsense et Water No Get Enemy.

Femi conclut ce premier speech en introduisant le solo de saxophone de James Mollison the third comme le seul moment romantique de la soirée. Si vous êtes venus pour la Saint-Valentin, vous savez ce qu'il vous reste à faire. « Mon frère à la lumière, mets-nous une ambiance jazzy s'il te plait ! ». Les lumières se coupent d'un coup, ne laissant que deux spots jaunes au fond de la scène, plongeant la scène dans un noir presque complet. « Ok, jazz coquin donc ! ». Quelques rires, puis une lumière blanche, pure, se pose du plafond sur le saxophoniste solitaire, la salle retient son souffle, et certains en profitent pour faire un câlin ou deux. Un solo hors du temps, remis dans le tempo par quelques coups de kick qui rappellent à tout le groupe que Space Is The Place.
Instant émotion numéro 2, le groupe entonne les instrumentations de Stakes Is High, fantastique banger des rappeurs east coast De La Soul, hommage au décès de David « Trugoy the Dove » Jolicoeur survenu seulement deux jours avant ce concert. Femi a des trémolos dans la voix, les larmes pas bien loin de là, les deux musiciens ayant travaillé quelques temps ensemble pour Gorillaz, dont Femi est le batteur official depuis 2020. Car oui, même si vous ne connaissez rien au hip-hop ou à De La Soul, vous avez sans doute déjà vu ou entendu Trugoy the Dove quelque part. Vous voyez ce mec en doudoune à la voix d'éléphant qui expédie un des couplets les plus mémorables des années 2000 sur le Feel Good Inc. des dits Gorillaz ? Eh bien voilà...

Bon, maintenant qu'on a bien chialé, c'est parti pour un solo de basse, suivi d'un nouveau solo de batterie de brute extrême, pas de doute sur le pourquoi du comment ce mec s'est retrouvé à tabasser les peaux pour Damon Albarn. Une nouvelle reprise de Fela Kuti par-ci, un peu de reggae et de funk par-là, et nous y voilà pour un nouveau speech, incluant le classique « le Brexit c'est de la merde », nous rappelant aussi la furtivité du bonheur, et pourtant You Can't Steal My Joy. La salle est en surchauffe, l'ampli de basse aussi, alors imaginez le fuego lorsque sax et trompette descendent dans la fosse, maillot du PSG sur les épaules. Des minutes de foutoir total, pendant lesquelles même l'agent de sécurité danse dans la bonne ambiance, une ambiance équatoriale, température ressentie autour des quarante degrés, taux d'humidité dépassant allègrement celui de la Guyane et de sa luxuriante végétation. On traverse maintenant les Caraïbes, direction Cuba pour une Victory Dance aux airs de salsa du démon, mais dieu quand va-t-on enfin s'arrêter de danser ?
Eh bien quelques minutes seulement, le temps pour Femi de nous rappeler que la vie est dure depuis le Brexit, les tarifs étant désormais exorbitant pour tourner en Europe, alors n'hésitez pas à acheter les t-shirts, et dites à vos potes qu'on va revenir l'année prochaine ! Et maintenant, soyez gentils, et dansez « like no one's watching ». Vous savez, le genre de choses que vous faites dans la salle de bains ou en passant l'aspirateur, un casque sur les oreilles, pour finir avec un air de pikachu surpris par votre partenaire, les gosses, ou le voisin d'en face, encore plus si vous avez oublié de vous habiller en sortant de la douche, trop absorbé que vous étiez par ce beat à la coiffe afro ne semblant jamais vouloir s'arrêter. Un dernier jump de la foule, près de deux heures de concert, ces gars ne sont décidément pas normaux, et peut-être même pas humains. A l'image de leur musique, un concert d'Ezra Collective mélange tout ce qui leur tombe sous la main, des instants d'émotion aux mouvements de foule et pas de danse endiablés, de l'afrobeat au rocksteady en passant le jazz funky et les rythmes latinos, pour le seul amour de la musique et des gens qui dansent dessus.

Morale de l'histoire, passez la Saint-Valentin en musique, elle au moins elle ne vous quittera jamais. Et avec Ezra Collective, c'est encore mieux !
setlist
    Ego Killah
    Welcome To My World
    Chris And Jane
    Teacher Don't Teach Me Nonsense (Fela Kuti Cover)
    No Confusion
    Togetherness
    Space Is The Place
    Stakes Is High (De La Soul Cover)
    Water No Get Enemy (Fela Kuti Cover)
    Pure Shade
    Live Strong
    You Can't Steal My Joy
    Organise (Asake Cover)
    Hear My Cry Oh Lord (Marvia Providence version Cover)
    Victory Dance
    São Paulo
    Juan Pablo
    Chapter 7
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