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Ezra Collective
Steam Down

Paris, Festival Jazz A La Villette - 2 septembre 2023

Live-report par Adonis Didier

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Qu'est-ce que le jazz ? Qu'est-ce que ce genre, né d'une révolte, d'une volonté d'émancipation, dans le sud des Etats-Unis ségrégués du début du 20ème siècle, né pour vivre libre, live, fruit d'une complexe union des genres aujourd'hui, trop souvent cantonné aux clubs enfumés et selects de Saint-Germain-des-Prés ? Genre populaire devenu la figure de proue d'un élitisme musical que seuls la musique classique et le rock progressif réussissent à dépasser en termes de pédanterie, mais où s'est donc perdu le jazz, celui qu'on aimait tant, celui que des chats chantaient sous les toits en zinc de Paname, symbole de la richesse que l'on a au cœur plutôt que dans les poches ?
Il s'est bien baladé, pourrait-on dire, traversant d'ouest en est l'Atlantique, Novecento en son bateau, remontant, redescendant, et c'est de ces descendants basés autour de Londres que l'on entendra parler en premier ce soir, au festival Jazz à la Villette, ensemble de dates calées sur fin août / début septembre et promouvant le jazz sous toutes ses formes, et particulièrement les plus novatrices et imaginatives.


Ainsi, c'est Steam Down qui ouvre la soirée, découverte totale tirant le rideau par une introduction non-binaire en trois temps. Batterie et claviers seuls sur scène, jouant dans l'attente d'Anhansé, saxophoniste et leader du collectif londonien, un collectif issu des jams du même nom, formé au cours de longues nuits à musicalement dériver d'une côte à l'autre du grand océan. Une première chanson en trio instrumental, un petit speech pour nous faire ressentir la joie d'être ici tous ensemble, et quitte à être trois, à quatre c'est mieux, la seconde chanson sera donc lancée par la voix assurée, suave, et puissante d'Afronaut Zu, artiste et chanteur afrobeat à son compte, mais aussi membre de Steam Down dès lors que l'envie lui en prend. En effet, l'idée qui prévaut ici est celle du collectif, un groupe aux membres allant et venant, avec une seule idée commune : partager leur culture et leur musique, l'Afropsych, maëlstrom made in all over the world de jazz, d'afrobeat, de hip-hop, de reggae, et de n'importe quelle autre musique souhaitant se mélanger de manière libre et consentie à cette orgie d'énergie libre et de sueur coulant le long des hanches en mouvement.
Incartade colombienne par-ci, hommage au récemment décédé Wayne Shorter par-là, chaque interlude est l'occasion pour nous d'en apprendre un peu plus sur la tempête tropicale Steam Down, machine à vaporiser les soucis du quotidien dans toujours plus de basses et de beats effrénés. Il est 20h45, le public hurle déjà pour un rappel, on peine à respirer, on dégouline, mais le démon de la danse ne saurait souffrir de telles limites, alors qu'Anhansé, Afronaut Zu, et le reste de la bande concluent la dernière chanson du set.


Une atmosphère torride dans laquelle il est difficile de profiter avec distinction des petits fours, mais heureusement pour la petite bourgeoisie qui boit du champagne, il est l'heure d'accueillir le Delvon Lamarr Organ Trio. Un trio venu des USA, mené par l'organiste Delvon Lamarr, le nom n'a pas menti c'est déjà ça, pour une petite heure de jazz rock instrumental truffé de solos d'orgue Hammond B-3 (non, pas le gros des églises) et de virtuosités guitaristiques bluesy-funky. Un groupe plutôt très sympathique, drôle, mais n'offrant guère de surprises, et dont les trois membres peinent à remplir la large scène de la Grande Halle de la Villette. On notera tout de même, en point d'orgue, une reprise du Move On Up de Curtis Mayfield tirant les rangs du fond de leur torpeur, effort plaisant, funky et dynamique, mais qui reste bien peu lorsque l'on passe entre deux collectifs chauffés à blanc pratiquant avec décomplexion l'afrobeat et le collé-serré des Caraïbes.


Et comme le veut le dicton, quand on parle du loup, on entend sa trompette, alors préparez-vous maintenant que retend pour la troisième fois cette année, depuis les hautes façades de la salle, le lourd reggae d'Ego Killah dans l'air parisien. Une manière pour les membres d'Ezra Collective de se séparer de leurs préoccupations personnelles, de leur moi et de leur sur-moi, pour ne plus faire qu'un lors d'un concert démarrant ironiquement par la présentation de chacun de ses membres, et comme eux chaque soir, on y retourne, par ordre d'apparition : TJ Koleoso à la basse, Ife Ogunjobi à la trompette, au saxophone James Mollison « le troisième », Joe Armon-Jones au piano, et derrière sa batterie, leader et origine du collectif from London, Femi Koleoso. Retour à la musique, le concert est comme attendu lancé par Welcome To My World, chanson phare du dernier album Where I'm Meant To Be, et force est de constater que passer tous les six mois à Paris a donné à Ezra Collective une fanbase à la hauteur de l'évènement.
Le milieu de fosse hurle déjà chaque riff de cuivre, les corps déchaînés les uns contre les autres, parce que m'voyez, il ne faisait pas assez chaud là-dedans ma bonne dame ! Résolument dans l'air du temps, Ezra Collective ont su intégrer à l'afrobeat de Fela Kuti toutes les musiques et éléments à même de ramener la jeunesse londonienne et mondiale à cette musique que l'on aurait (à tort) facilement pu oublier sans cela : des riffs de cuivre efficaces, parfaitement reconnaissables, et à même d'offrir moults reprises par le public, des featurings avec des stars montantes et reconnues du hip-hop game, Sampa The Great, Loyle Carner, Kojey Radical, Jorja Smith, j'en passe et des meilleurs, et une ambition dirigée vers le partage, la joie de vivre, et le remuage de popotins avant tout.


L'Ezra Collective monte sur scène pour donner au public, et le public ne s'y trompe pas. Une formule littéraire qui se concrétise dès les premières notes de la très cubaine Victory Dance, jouée en direct de la fosse par TJ, Ife, et James, trois musiciens donnant de leur personne et assurant le show dans un public balançant en vagues au rythme de la salsa, n'épargnant ni peine ni éclats de transpiration à ces machines de live, habitués des ambiances caliente, de La Havane aux berges de la Tamise en passant par Lagos. On prend des solos dans tous les sens, chaque instrument s'ajoute à la fête, avant que le piano ne nous donne quelques minutes pour respirer et se laisser porter par l'ambiance soul et lascive qui s'en échappe, et alors qu'en fond les hommages pleuvent. Hommage à Tony Allen, hommage à Fela Kuti lors d'une gigantesque Expensive Shit, les pères de l'afrobeat ne seront pas oubliés ce soir dans les cercles de danse, car il n'y a désormais plus ni tribune ni fosse, et seule une piste de danse de la taille de la Grande Halle de la Villette demeure, isolée dans les brumes de chaleur de la forêt équatoriale. Être heureux ou triste, c'est temporaire, ça dépend, ça dépasse, mais la joie, la joie elle est avec vous, elle est en vous, et personne ne peut vous la voler. Tels sont les mots de Femi Koleoso, dont Ezra Collective auront ravivé notre joie, en plus d'avoir encore une fois volé notre cœur, la troisième cette année, et ce malgré un maillot du Paris Saint-Germain sur les épaules.

Une soirée de gala, donc, qui nous prouve que le jazz n'est pas l'apanage des aristocats et des snobinards de la rive gauche, et que nous conclurons humblement par les mots du grand Tony Allen, introduisant No Confusion : « Tout le monde s'imagine que je vais faire du jazz comme les Américains. Non. Je fais du jazz comme moi ».
setlist
    STEAM DOWN
    Non disponible

    EZRA COLLECTIVE
    Ego Killah
    Welcome To My World
    Shakara
    No Confusion
    You Can't Steal My Joy
    Hear My Cry Oh Lord (Marvia Providence version Cover)
    Victory Dance
    Shaking Body
    Expensive Shit (Fela Kuti Cover)
    Juan Pablo
photos du concert
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