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Blood Red Shoes
CIEL

Paris, Point Éphémère - 7 octobre 2023

Live-report par Adonis Didier

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Soyons honnêtes, car ici pas de comptes en Suisse ou de faux followers Instagram achetés en Australie, tous les concerts ne se valent pas niveau hype. Et même si on en fait régulièrement des caisses, il existe toute une échelle de hype allant du rédac' chef qui appelle la veille pour un dépannage au concert trois fois entouré en rouge sur le calendrier cartonné du bureau dix mois à l'avance.

Autant vous dire que quand est apparue la notification que CIEL et Blood Red Shoes se lançaient dans une tournée surnommée par les principaux intéressés de « tournée de petits clubs punk » au cours de la fin d'année, il n'a fallu qu'une poignée de secondes pour faire chauffer la carte bleue et prendre un billet pour Paris et, tant qu'on y est, Rouen aussi. Un concert au 106 de Rouen qui m'a permis d'apprendre que la salle s'appelle ainsi car c'est le hangar numéro 106 des quais de Seine, ainsi que le fait que la moyenne d'âge de la Seine-Maritime est légèrement plus élevée que celle du Supersonic. Un concert plein de la part des deux groupes malgré des problèmes techniques vite résolus pour CIEL, mais une foule dont la principale caractéristique semblait être sa capacité hors du commun à intérioriser le fun et une expérience qui, si elle restera sonorement inoubliable, nous a laissés avec une certaine dose de frustration que l'on compte bien expurger dans la petite salle du Point Ephémère, en ce beau samedi soir d'octobre au bord du canal Saint-Martin.


Juste le temps de redescendre du studio de danse local en compagnie de Laura-Mary Carter (pour une interview, calmez-vous !) que le set de CIEL se lance tambour battant par Back To The Feeling. Pas de coupures, pas de galères techniques cette fois-ci, on aura droit à toute la chanson et surtout à cette fin bulldozer shoegaze dont on s'étonne qu'elle tienne avec seulement trois musiciens. Seeking poursuit, seule chanson rescapée des AA Sessions mises en place post-COVID-19 par Steven Ansell et son label Jazz Life, et chanson fondatrice de ce qu'est aujourd'hui la musique de CIEL : une batterie propulsant chaque transition, une ligne de basse avalant les kilomètres pendant les couplets, une guitare assurant le double rôle de tapisser le fond sonore de distorsion tout en criant sur de longues mélodies aigues, et la voix de Michelle Hindriks, en reverb', en retours distordues, en chœur, au soleil ou sous la pluie. Une voix, seul léger bémol du live, qu'il serait peut-être intéressant de faire doubler par Tim le batteur ou Jorge le guitariste, tant elle peine parfois à suivre le volume des refrains, quand elle n'a pas la lourde tâche d'assurer quasi seule sur tous les couplets au chant et à la basse.
Une basse omniprésente sur Circles, nouvelle chanson pas encore disponible et extraite du futur EP Rather Be Alone, qui pousse encore un peu plus l'influence Blood Red Shoes sur la musique du groupe (ndlr : produit par Steven Ansell et signé sur le label Jazz Life de Blood Red Shoes) pour le plus grand bonheur du public. Somebody et Make It Better assurent un dernier décrassage des oreilles tout en nous rappelant pour quelles raisons CIEL ont sorti l'un des meilleurs EPs de l'année, le son est lourd, compact, dense, et si Far Away donne à respirer, c'est pour mieux vous ensevelir sous la violence de son refrain.
Naked, chanson écrite par Michelle en 2017 lorsque CIEL était encore un projet solo néerlandais, revient nous offrir dans une version new look une montée surpuissante tout en badoums de batterie signée Tim Spencer. Les applaudissements et les cris pleuvent, et même si personne ne se risquera à pogoter pour la première partie, le trio Baby Don't You Know, Talk et Fine Everything lancée par un Jorge chaud bouillant slidant sur ses cordes avec sa canette de jus, finira de placer CIEL comme un jeune groupe à suivre de très près dans l'esprit d'une foule en majorité conquise. Une petite annonce d'un retour à Paris le 10 février au Supersonic, concert immanquable qu'on manquera probablement car, sur les 365 jours dans l'année, CIEL et Sprints seront présents le même. Bref, j'ai déjà craqué mon quota de papier et les deux stars de la soirée ne sont même pas entrées en scène.


Blood Red Shoes se lancent donc, et pas le temps de niaiser, car c‘est par Doesn't Matter Much que Laura-Mary Carter et Steven Ansell lancent les hostilités d'une soirée longuement attendue. Pas encore de bordel dans la fosse, mais on en prend déjà plein les mirettes tant la chemise noire et blanche étoilée de Steven n'est dépassée que par l'éclat de l'étincelante robe pailletée ornant Laura-Mary Carter. Un duo brillance extrême qui n'a pour cette tournée pas embarqué de musiciens supplémentaires, raisons financières et d'alchimie faisant, et l'on comprend pourquoi en prenant en pleine face une débauche sonore encore plus renversante que lorsqu'ils étaient quatre. Pas de synthés, pas de basse, alors on a tout remis dans la guitare, et il n'est pas étonnant que Jack White leur ait demandé il y a quinze ans comment ils faisaient pour sonner aussi forts.
Le concert est complet depuis un bout de temps, la fosse est compacte, on chauffe, on s'agace d'être aussi collés, Don't Ask nous fait monter les nerfs, parce que reprendre les paroles c'est bien, mais bouger c'est mieux, et l'avantage c'est qu'il n'y a jamais bien longtemps à attendre pour ça à un concert de Blood Red Shoes. It's Getting Boring By The Sea sort dès la troisième chanson, avec un pogo instantané de la part des cinq plus gros débiles de la fosse, votre chroniqueur préféré inclus, trente-cinq degrés au thermomètre, et les cinquante dans le viseur. Le refrain de Light It Up tire sur le peu de cordes vocales qu'il nous reste, Bangsar est envoyée pour les danseurs et les bousculeurs de tous bords, le riff de Cold fissure le béton chauffé au fer rouge, avant que Lost Kids ne menace d'éboulement généralisé une infrastructure qui n'avait rien demandé à personne.


Mini temps mort, Steven et Laura plaisantent sur le fait qu'ils meurent de chaud, « le show le plus chaud de l'histoire, au moins ! », SUCKER ralentit le tempo et autorise quelques minutes de respiration, sans doute la plus grande qualité du dernier album GHOSTS ON TAPE en concert. « Quelques » bandes sont envoyées par l'ingé son pour compenser l'absence de synthé, la voix langoureuse de Laura-Mary Carter nous enserre dans un registre dans lequel elle excelle, mais la fête n'est pas terminée, et This Is Not For You profite de la pause fraîcheur pour repartir tambour-battant sous les coups du pikachu survolté nommé Steven Ansell.
Deux ou trois personnes qui slamment en boucle sur la foule, et le génial batteur blond qui fait le café et les gaufres : une main en l'air pour demander des claps, du bordel, des hurlements, un pied sur la grosse caisse sans jamais perdre le rythme, et le chant en prime parce que c'est vraiment trop facile la batterie. Une folie qui culminera après Red River avec Je Me Perds, appel animal à s'envoyer les coudes en avant contre toute autre forme humaine. En parlant d'animal, allons-y pour toujours plus de riffs, prenez garde à vous, An Animal est dans la fosse. Une chanson qui serait un climax si elle n'était pas suivie du climax parmi les climax, I Wish I Was Someone Better, peut-être la chanson la plus célèbre de Blood Red Shoes, exhibée devant une foule hurlant à la vue d'une simple rythmique de batterie : 165 BPM, double-croches sur le charley, poum-tchac poum-tchac, et l'espoir d'être une meilleure personne crié par chaque âme faisant face à l'un des duos rock les plus emblématiques de ces quinze dernières années. Une chanson poussant Jorge Jimenez à sauter dans un public inattentif, autant dire que l'aventure CIEL aurait pu s'arrêter bien plus tôt que prévu, mais on en restera heureusement au stade de la gamelle marrante, et le groupe pourra prendre place aux côtés de Blood Red Shoes pour la finale God Complex.

La finale, vraiment ? Bien sûr que non, petit clapping d'un public qui en redemande, et vous devrez encore supporter de me lire pendant deux autres chansons. Elijah d'abord, lourdeur démentielle, Laura-Mary mystique, grave, inquiétante, une chanson qui a elle seule donnait raison au titre de l'album Get Tragic, un monument dramatique biblique que la poiscaille a dû ressentir jusqu'au port du Havre. MORBID FASCINATION ensuite, qui conclut presque en douceur un concert inoubliable, un joyeux bordel de transpiration sonore et corporelle qui aura vu Laura-Mary Carter et Steven Ansell multiplier les sourires et les remerciements, chacun dans leur style, yin et yang, introvertie et extraverti, guitariste à la réserve touchante et batteur pile électrique à l'énergie débordante.

Les opposés s'attirent, parfois ils se complètent même à merveille, et si vous en doutez ne loupez surtout pas le prochain retour en ville des meurtrières chaussures rouge sang.
setlist
    CIEL
    Back To The Feeling
    Seeking
    Circles
    Somebody
    Make It Better
    Far Away
    Baby Don't You Know
    Talk
    Fine Everything

    BLOOD RED SHOES
    Doesn't Matter Much
    Don't Ask
    It's Getting Boring By The Sea
    Light It Up
    Bangsar
    Cold
    Lost Kids
    SUCKER
    This Is Not For You
    Red River
    Je Me Perds
    MURDER ME
    An Animal
    I Wish I Was Someone Better
    God Complex
    ---
    Elijah
    MORBID FASCINATION
photos du concert
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