logo SOV

Abstract Concrete

Paris, La Mécanique Ondulatoire - 3 février 2024

Live-report par Franck Narquin

Bookmark and Share
Avec ce nom qui semble tout droit sorti d'une compilation Ninja Tune de 1996, on pourrait penser qu'Abstract Concrete est un supergroupe formé par DJ Shadow et DJ Krush. C'est pourtant le nouveau projet de Charles Hayward, connu en tant que leader de This Heat, groupe de rock expérimental de la fin des années soixante-dix, auteur de deux albums aussi confidentiels que cultes, considérés comme des actes fondateurs du post-punk et influences revendiquées de Sonic Youth, Public Image Ltd ou Shellac, dont on retrouve aujourd'hui encore la marque chez des groupes tels que bar italia. On pouvait craindre la sympathique association d'anciens combattants, mais rassurez-vous, le vétéran punk s'est entouré de la fine fleur des jeunes artistes d'avant-gardes actuels en la personne de la violoniste française Agathe Max (KURO, UKAEA), du guitariste italien Roberto Sassi (VOLE Cardosanto), du multi-instrumentistes anglais Yoni Silver (Hyperion Ensemble, Steve Noble) et du bassiste mancunien Otto Willberg (Yes, Indeed!, Historically Fucked).


On s'excuse auprès de Rhys Chatam, figure de la musique minimaliste et expérimentale américaine depuis quarante-cinq ans, d'avoir raté sa performance en première partie et on doit même à Oumar Diakité d'être arrivé à l'heure pour le concert d'Abstract Concrete, grâce à son but à la 122ème minute d'un haletant Côte d'Ivoire – Mali en quart de finale de la CAN, nous évitant ainsi une séance de tirs au but incompatible avec notre agenda du soir. Le ballon ayant à peine touché les filets, on enfourche notre vélo avec la fougue d'un Tadej Pogacar boosté par les savoureux houblons des bières Popinh, une des toutes meilleures brasseries françaises. Il est vingt-et-une heure pile quand on se gare devant la Mécanique Ondulatoire le « bar musical parisien de Bastille qui défend au gré des difficultés et sans concession depuis 2007 sa passion pour le rock et le roll au sens large du thème ». Le groupe vient de monter sur scène, la salle, toute en longueur est comble et on peine à voir quoi que ce soit. Déjà en sueur après ce contre la montre Montmartre-Bastille, un coup de chaleur nous tombe directement sur la tête. Si la petite cave voûtée faisant office de salle de concert possède un charme indéniable, une fois pleine, le climat y est proche de celui de Miami au mois d'août, soit une température ressentie avoisinant les quarante degrés et un taux d'humidité proche des 90%. Visibilité réduite, agression climatique et conditions sonores approximatives, on se dit que la soirée va être longue. En toute logique, pour reprendre notre souffle, on décide d'aller faire un petit tour au fumoir.

En parallèle du concert, la DJ Sarah Bristol livre au premier étage un impeccable set sur lequel les moins de vingt ans se déhanchent au son de Kool Thing de Sonic Youth, ignorant tout des liens qui unissent le groupe de Thurston Moore, Kim Gordon et Lee Ranaldo aux vieux monsieur derrière la batterie qui officie juste en dessous de leurs pieds. Il faut dire qu'à la Méca, les gamins sont nés des années après Kylian Mbappé (mais avant Warren Zaïre-Emery, il ne faut pas déconner non plus, on n'est pas dans une boîte de Jean-Luc Lahaye). Ils fument des clopes à quatre francs l'unité, écoutent Babes In Toyland et NewDad et se prennent en photos avec des Polaroïds numériques. Les mecs sont sapés comme des Kids de Larry Clark tandis que le look des filles doit autant à Courtney Love qu'a Siouxsie. De quoi rassurer le service comptable de Sound of Violence, le renouvellement de notre clientèle est assuré, la génération [inclure ici la lettre de l'alphabet de votre choix] ayant l'air de kiffer le bon rock comme jamais. Comme quoi Michel Sardou avait tort, ce n'était pas mieux avant, c'est juste mieux d'avoir dix-neuf ans.


Après ce petit intermède salutaire, on retourne fissa dans l'étuve, bien plus vivable une fois délesté de nos hoodie et teddy et muni d'une pinte de Pale Ale fraîche en main. Usant de tours de passe-passe dignes d'Harry Houdini, on arrive à se faufiler pour enfin pouvoir profiter du concert dans des conditions à peu près dignes. On craignait de trouver le temps long, mais à force de le perdre entre les trois étages de la Mécanique Ondulatoire, on va finalement le trouver trop court, mais, et c'est le principal, on va surtout le trouver incroyablement bon. Soyons honnêtes, ce n'était pas le concert que nous attendions le plus en ce mois de février (contrairement à IDLES la veille ou SPRINTS la semaine suivante, pour n'en citer que deux), mais justement c'est toujours dans ces cas qu'on se prend les plus belles claques. Ce soir ça joue bien, ça joue fort et ça joue juste (même si parfois ça chante faux). Que ce soit dans un élégant registre pop avec This Echo, dans la dissonance post-punk de The Ventriloquist Dummy, ou le groove arty de Tomorrow's World, le groupe ne cesse de nous étonner et de nous enchanter à force de nous prendre en permanence à contrepied sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. Maitrise technique et lâcher prise créatif, tels sont les mots d'ordre d'Abstract Concrete.

Après avoir passé la soirée du vendredi dans le cadre cossu de la Maison de la Radio et de la Musique pour assister au concert d'IDLES, les rois actuels du post-punk, et ce samedi soir dans la petite cave surchauffée de la Mécanique Ondulatoire en présence de Charles Hayward, pionnier du même genre, on se dit que peu importe les conditions matérielles, le niveau de popularité du groupe, le nombre de streams, l'âge des musiciens ou des spectateurs, une seule chose compte vraiment, ne jamais perdre, pour reprendre les termes de Wave Machines, son punk spirit.
setlist
    Almost Touch
    This Echo
    Bog Brush
    Type Face
    The Ventriloquist Dummy
    The Day The Earth Stood Still
    Small World
    Tomorrow's World
    Subject Verb Object
photos du concert
    Du même artiste