Il est de ces groupes pour lesquels vous entretenez une certaine affection, sans pour autant être un fanatique de leur discographie. Il suffit juste d'une rencontre un peu hasardeuse, et paf, c'est le coup de cœur et à partir de ce moment-là, vous vous donnez comme mission de suivre leur parcours. Nous concernant, cela nous est arrivé en plein confinement, prisonniers de notre appartement, à sauter sur tout ce qui bougeait en sortie de disques durant ces très longs moins d'isolement. C'est ainsi que nous avons fait la connaissance d'IST IST et de leur premier album
Architecture, quatuor mancunien qui, avouons-le, n'aurait pas forcément capté notre attention, si ce n'est via ses très fortes similitudes musicales avec un petit groupe obscur de la toute fin des années 70 appelé Joy Division.
C'est en 2021, en pleines restrictions qui nous empêchaient de retourner en concert, que nous avons suivi via internet notre premier concert d'IST IST, alors invités par Tim Burgess à participer à une collecte de fonds afin de sauver les petites salles de concerts alors menacées de fermeture. Second coup de foudre, la force ténébreuse du groupe nous a convaincue, et ce même à distance. Tout cela s'est évidement confirmé avec les albums suivants, dont surtout
Protagonists en 2023, qui faisait atteindre à IST IST son paroxysme avec sa musique post-punk saisissante et toujours gouvernée par leurs prestigieux aïeux.
Depuis, deux rencontres à Paris ont eu lieu, la première au Supersonic en mai 2023, dans la pénombre rougeoyante du club, collant parfaitement avec la noirceur veloutée de leur son, puis en mars 2024, au Point Éphémère, toujours dans la pénombre cette fois-ci bleutée, où le groupe nous présentait en exclusivité
Light A Bigger Fire, leur quatrième opus paru en septembre dernier. La note obtenue par le groupe à son évaluation indiquait qu'il était temps que ces musiciens pourtant confirmés se détachent de leur encombrant héritage qui les empêchait de s'affirmer pleinement. Après ce nouvel album en demi-teinte car perpétuant les mêmes codes que le précédent, il fallait donc s'assurer que Adam Naughton, Andy Keating, Joel Kay et Mat Peters aient entendus nos souhaits.
Direction en ce mercredi soir gelé la sympathique péniche Le Mazette, amarrée au quai de la Rapée juste en face de la gare d'Austerlitz. Une nouvelle découverte pour votre chroniqueuse qui continue de dénicher des endroits aussi accueillants que parfois atypiques. Le gros avantage du lieu réside en ses baies vitrées qui permettent de profiter de la Seine et de ses nombreux bateaux mouches qui déambulent toute la soirée. L'estrade se trouve donc à l'extrémité du bateau, avec de grands panneaux de néons en guise de fond de scène, donnant des aspects de boite de nuit à l'ensemble et créant une atmosphère à l'opposée de l'univers plutôt sombre d'IST IST. C'est donc avec surprise que nous les y retrouvons, la « salle » relativement bien remplie malgré la discrétion persistante du groupe en France. Ce qui ne change pas, c'est une générosité certaine au niveau de la setlist : ce sont pas moins de vingt et un titres qui seront interprétés ce soir, choix plutôt logique à la vue de la brièveté des morceaux car IST IST font dans le bref mais le concis.
C'est un concert express qui est donné, sans aucune interruption si ce n'est les remerciements chaleureux exprimés par Andy Keating, le bassiste porte-parole du groupe, qui profitera de l'occasion pour sympathiquement rappeler aux fans de Manchester City présents qu'eux ne le sont pas, et qui a réussi depuis le Point Éphémère à devenir encore plus stylé avec veste noire parfaitement ajustée et petite chaîne sur tee-shirt noir lui donnant quelques airs à la Emilio Estevez qu'adouberait probablement mon collègue fashionista Frank Narquin, présent en mars dernier. Nous retrouvons ainsi la totalité de
Light A Bigger Fire, avec ses titres interprétés de façon beaucoup plus fiévreuse. Malgré le timbre monocorde et caverneux d'Adam, le jeu des musiciens permet de réellement décupler le charisme de ces morceaux ne nous ayant qu'à moitié convaincus à la sortie du disque. On apprécie aussi de pourvoir percevoir les visages des protagonistes, ces néons rouges les mettant enfin en lumière.
Ce sont donc toujours Andy et Joel qui mènent la cadence, tant par leur jeu furieux que leurs regards vers le public, alors que Mat se débat furieusement avec sa guitare derrière son mur de cheveux et qu'Adam, tel un monolithe de Stonehenge, fait résonner son timbre grave dans tout le bateau, en concordance avec la puissance des instruments. Le public, quant à lui, reste stoïque mais les hochements de têtes et les yeux fermés laissent à penser que IST IST réussissent à envoûter leurs fans, les isolant dans leur monde délicieusement angoissant, où la ligne de basse dominante hypnotise littéralement les présents. Avec cette nouvelle ferveur qui nous manquait un peu en mars dernier, c'est une version de IST IST sublimée qui se dévoile à nous et, oserons-nous la comparaison, nous offre une transition digne de la renaissance de Joy Division en New Order, époque
Movement. On sent qu'un autre chemin est pris et que nous assistons aux premiers signes d'une mue, du moins en live.
Les meilleurs morceaux tels
Emily ,
Lost My Shadow,
Ghost ou
You're Mine ne manquent pas à l'appel, et les Parisiens seront même récompensés d'un titre bonus,
Slowly We Escape. Au final, quasiment une heure et demie de post-punk dark et entêtant, celui que l'on aime et que l'on écoute depuis certes fort longtemps, mais que les mancuniens maîtrisent si bien que nous ne nous en lassons pas. IST IST ont réussi ce soir à sortir un peu plus de leur bulle et ont gagné en assurance face à un public français fatalement plus difficile à séduire, le magnifique cadre offert par le Mazette leur ayant été très probablement bénéfique.