Décidément, ces longs week-ends ensoleillés nous poussent au vagabondage. Enchantée par son escapade londonienne de Pâques qui lui a permis de retrouver les Manic Street Preachers il y a quinze jours au Shepherd's Bush Empire, votre chroniqueuse n'a pas su s'arrêter là. Avec les Gallois, l'adage « Quand y'en a plus, y'en a encore » s'applique, leurs concerts s'étendant sur plusieurs semaines. Et comme ne le dit pas l'adage, « jamais trois sans quatre » sera notre leitmotiv pour nous rendre cette fois-ci dans la belle cité de Manchester. Les concerts au nord de l'Angleterre étant reconnus comme toujours fameux, et son public aussi chaleureux que dissipé, direction l'O2 Apollo pour se rajouter non pas une mais deux séances en compagnie de James Dean Bradfield, Nicky Wire et Sean Moore.
Ravis de pouvoir joindre à nouveau l'utile à l'agréable, c'est donc armés de notre baluchon que nous nous rendons en Angleterre. Les Manic Street Preachers affichent une tournée sold-out et nombre de leurs fidèles les suivant de date en date, on retrouve devant chaque salle dès le début d'après-midi une ambiance presque familiale parmi les fans. Les petits français se font rares parmi ceux-ci, et pourtant il n'y a toujours pas d'autres solutions que de s'exiler en dehors de nos frontières pour profiter de l'excellence de ce groupe en live. En attendant les conclusions de notre enquête en cours, direction l'O2 Apollo et quel plaisir d'y retrouver en première partie une jeune formation approuvée par Sound Of Violence et déjà aperçue plusieurs fois à Paris :
Honeyglaze.

Anouska Sokolow, Tim Curtis et Yuri Shibuichi ont donc l'honneur d'ouvrir pour ces deux dates mancuniennes, et c'est face à un public peu attentif qu'ils prennent possession de la grande et vaste scène du théâtre. Les premières parties de cette tournée mettent à l'honneur les jeunes espoirs : slate et Adwaith, les compatriotes, ont pour les premiers et vont pour les seconds ainsi profiter du vaste public des « Manics » pour se frotter à d'autre types d'audiences. En ce second soir, l'accueil restera poli et les spectateurs assez sur la réserve. Le style délicat et exigeant de la pop shoegaze d'Honeyglaze qui nous avait convaincus l'an passé avec leur second disque
Real Deal étonne, et leur sobriété ainsi que leur musique tendue laissent une majorité des présents un peu coi, drainant une partie de la fosse vers les différents bars de la salle.
Et pourtant, c'est sans se démonter qu'Anoushka prend la parole, avec quelques paroles timides et presque inaudibles, mais l'intensité que distillent Honeyglaze dans leurs morceaux réussit néanmoins à capter l'attention d'une frange du public, se laissant happer par la voix douce et grave de la londonienne. Cependant, l'espace conséquent de la scène oblige les membres du groupe à prendre leur distance les uns des autres, apportant un effet de dilution qui nuit à l'harmonie de leur set. Ainsi, le format même des morceaux tranche avec la spontanéité et la puissance des titres des rockeurs gallois, laissant un peu sur le côté les fans venus pourtant assez tôt pour tendre l'oreille vers Honeyglaze. Nous retrouverons nous concernant le groupe avec plaisir lors de la prochaine Block Party organisée par le Supersonic fin mai à Paris.

Comme depuis le début de cette tournée, l'entrée en scène des
Manic Street Preachers se fait sous les lumières vives blanche et rouge de l'écran géant au son de l'excellent remix du single
Critical Thinking, précédées de citations d'artistes contemporains en lettres écarlates, notamment pour ces deux soirées Christopher Hitchens et Albert Camus. Grosse ambiance dès le départ, les pancartes et les boas de plumes s'agitent,
Decline & Fall continue d'ouvrir le bal, suivie des premiers classiques qui sont immédiatement dégainés comme
Enola/Alone ou
Australia. Les Manic Street Preachers, avec une setlit généreuse de plus de vingt titres, ne tombent pas dans l'écueil des tournées à rallonge, ainsi une poignée de morceaux change de date en date. Pour ce nouveau week-end, James Dean Bradfield pioche dans son coffre sans fond en y extrayant
Let Robeson Sing issu de
Know Your Ennemy, album qui, pour ses vingt ans en 2021, a comme ses prédécesseurs lors de leur propre anniversaire, fait l'objet d'un coffret remasterisé et garni de surprises. Pour le plus grand bonheur des « vieux » fans (entendez ici « de longue date », ne nous méprenons pas) deux morceaux de
The Holy Bible et pas des moindres :
This Is Yesterday et
P.C.P, tous les deux interprétés lors du passage en solo de James Dean Bradfield. Alors que la première sied parfaitement à la seule présence du guitariste, étant l'unique « ballade » du disque, la seconde surprend l'auditoire car s'éloignant de la rage punk de la version originale. Pour mémoire, les paroles étant du pur Richey Edwards, soit nerveuses, torturées et sans filtre, ces dernières s'affichent sur l'écran géant pour que les fans, trente et un ans après, puissent les interpréter en chœur. James Dean Bradfield, quant à lui, réussira à n'écorcher qu'un seul mot, nous annonce-t-il tout fièrement à la fin.
Sur cette tournée, Nicky Wire continue ses échappées au micro comme lead singer avec
Hiding In Plain Sight, cette fois-ci introduite par
Bring On The Dancing Horses, toujours d'Echo & The Bunnymen et
Critical Thinking, le meilleur morceau du dernier disque, qui devient de plus en plus pêchu concert après concert mais qui oblige son interprète à sortir le cahier de notes, décidément peu à l'aise pour tenir le micro sur une chanson en entier. Ce que l'on aime chez Nicky Wire est surtout son bagout durant les interludes et sa manie de nous narrer tout un tas d'anecdotes concernant le groupe. On apprend ce soir que Manchester est la ville où les Manic Street Preachers ont écumé le plus de salles de concert, toujours ouvertes ou disparues depuis longtemps, du mini-club à l'arena à ciel ouvert. Richey Edwards revient évidement dans les échanges, et les « Manics » demeurent à notre connaissance le seul groupe à continuer de célébrer un de ses membres disparu à chacun de leur concert, sans aucune exception.

L'autre star de la soirée est le public. A Manchester, ce dernier est reconnu par le groupe comme le plus exalté en Angleterre. Confirmation est ainsi donnée au cœur de la fosse, avec de nombreux mouvements de foule, certes bon enfant mais surtout liés aux innombrables allers et retours aux bars, laissant certains passablement éméchés et surexcités. Comme à Londres, l'ambiance monte crescendo, les confettis sont de la partie lors des deux moments charnières du concert, sur
Design For Life (confettis blancs) dédicacée au regretté Mike Peters et
If You Tolerate This Your Children Will Be Next (confettis rouges, à chacune sa couleur) avec le public totalement ivre de joie et hors de contrôle malgré un faible renouvellement des troupes après trente-cinq ans de carrière (alors finalement oui, les fans sont plus que de longue date). La réputation de la cité mancunienne est encore à la hauteur de toutes nos attentes, en plus de disposer d'un staff hyper accueillant et bienveillant, l'O2 Apollo a probablement réunit sur ces deux soir le meilleur public de ces deux mois de tournée britannique.
Avec une communauté de fans parmi les plus fidèles qu'il nous ait été donné d'observer, les Manic Street Preachers continuent de tracer leur chemin en 2025. Comme beaucoup de groupes gallois, partis de rien et ayant bataillé pour se faire une place sur la scène rock britannique, dans l'ombre des voisins anglais (James Dean Bradfield en profitera pour saluer le nombre incommensurable de ses « guitar heros » mancuniens dont font partie Johnny Marr ou John Squire, pour ne citer qu'eux), les gallois semblent totalement indétrônables dans le cœur de leurs admirateurs. Malgré toutes ses longues années de pratique ininterrompue, c'est donc encore un sans-faute lors de ce nouveau show, les Manic Street Preachers sachant habilement mêler passé et présent de façon totalement harmonieuse, à un rythme qui ne connait aucun ralentissement, l'énergie et l'extrême convivialité de Manchester rendant l'expérience encore plus optimale.