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Gang Of Four

Paris, Trianon - 1er juillet 2025

Live-report par Jean-Christophe Gé

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Il a fait 40 degrés à Paris aujourd'hui et cela fait déjà plusieurs jours que la France cuit à petit feu, mais il y a des rendez-vous qu'il ne faut pas rater, d'autant que le Trianon est climatisé. Ce soir, c'est la dernière chance de voir Gang Of Four dans la capitale. Après plus de quatre décennies de carrière, et le décès de deux de ses membres fondateurs, la formation tire sa révérence.

La sobriété de la scène contraste avec le décor riche de la salle, ses velours rouges et ses moulures dorées. Suspendus derrière la scène une série de drapeaux comme seul décor : britannique (leur pays d'origine), américain (le pays qui leur a apporté le succès), anti-fascistes et pour le droit des femmes (leurs combats depuis le début) et le Progress Pride Flag. Le message politique contraste avec l'ambiance divertissante du lieu.


Les lumières s'éteignent et la sono diffuse In The Beginning There Was Rhythm de The Slits. Qui de mieux que les prêtresses du punk pour lancer la soirée ? Le groupe monte sur scène et entame Ether. Pour l'intro, Gail Greenwood et sa basse prennent le centre de la scène pour marteler ce riff imparable. Le groupe va jouer l'intégralité de son premier album, Entertainment, dans l'ordre, pendant le premier set.

Quand Jon King chante, il a l'air complètement possédé et après toutes ces années les chansons n'ont pas perdu leur sens, il a la même fougue et la même rage. Voire même plus, car leur engagement punk et les vieux combats qui restent d'actualité ont peut-être davantage attisé leur frustration. A la fin du morceau il salue le public dans un anglais impeccable. S'il ne brandissait pas le pied de microphone comme une arme de combat, plutôt qu'au chanteur d'un des premiers, et derniers, groupes punk, on penserait voir un élégant retraité anglais passant toutes ses vacances en France et peaufinant son accent sur les marchés provençaux. Les refrains résonnent comme des slogans : « This heaven gives me migraine » clame-t-il à la fin de Natural's Not in It.

Le son est parfait, et chaque instrument se détache. La guitare est tranchante comme elle se doit. Ce son cassant a inspiré de nombreux groupes après eux, dont une bonne partie de la scène post punk new-yorkaise. A quatre ils font le show et il y a toujours quelque chose à regarder entre le chanteur qui fait les cent pas, Ted Leo à la guitare qui lui donne parfois la réplique ou Gail et sa basse. Derrière sa batterie, l'imperturbable Hugo Burnham a l'air presque menaçant avec sa mâchoire serrée et son regard noir.

Damage Goods, leur « tube », est introduit en français impeccable « il y a des gens très attirants ce soir ». Jon est complètement dans le show et crie comme si c'était le dernier concert de la tournée. Pour laisser le temps au groupe de reprendre son souffle, il introduit Return The Gift par une anecdote en français (mais avec l'aide de notes) : la fois où Lester Banks est venu les voir en concert, et s'est enfui avec six bières de leurs rider après leur avoir dit qu'ils étaient merdiques.
Ces chansons sonnent toujours aussi justes. Ce soir c'est un groupe qui nous dit au revoir avec brio, et pourtant ils ont l'urgence des débuts, et ils me rappellent les premiers concerts de The Libertines, IDLES, SPRINTS ou The Murder Capital, tous ces groupes héritiers qui jouent comme si leurs vies en dépendaient. Le chanteur fait remarquer non sans humour qu'elles ont été enregistrées à une époque très différentes. A celle-ci, c'était la guerre au Moyen-Orient et on se posait des questions sur l'environnement... Dur à imaginer, non ? Mais c'est bien un concert engagé, pas un récit nostalgique en noir et blanc. Sur scène, tout ce qui n'est pas rouge (le light show, la chemise de Ted, le t-shirt de Hugo, le kilt de Gail, la veste de Jon) est noir.


Pour 5.45, Jon prend un mélodica, et Ted chante le premier couplet en français. Il doit tenir son antisèche, ce qui l'empêche de jouer. Avec la batterie, la basse et le mélodica, la rythmique l'emporte et le morceau a une énergie folle. Quand Jon prend le relais en anglais, la guitare peut se mettre à rugir et finir en distorsion jusqu'au dernier morceau. A la fin du set, Hugo se dégage de sa batterie et a besoin d'une béquille pour s'avancer sur le devant de la scène. Il est incroyable que le batteur punk qui a tenu un rythme sophistiqué et soutenu pendant douze titres ait besoin d'aide pour marcher. Il avait le regard si dur quand il jouait, il est maintenant très émouvant quand il vient nous dire, en français : « Bonsoir Parisiens et Parisiennes, nous sommes Gang Of Four. C'était Entertainment!, il a quarante-cinq ans, comme moi (rires). Sans Dave (ndlr : Allen, guitariste originaire décédé en 2020), pas d'Entertainment!, gardez le dans vos cœurs ».

Comme Jon nous l'avait dit en interview deux semaines plut tôt, le deuxième set consacré au « best of the rest ». Le groupe a troqué le rouge pour du rose, mais le ton reste féroce. Comme d'accoutumé, Jon donne le rythme de He'd Send In The Army en tapant sur un micro-onde avec une batte de baseball, deux symboles de la culture de consommation américaine. Hugo lui donne aussi quelques coups de béquille avant de donner vraiment le rythme avec la batterie. L'appareil d'électro-ménager finira en pièces et le roadie fera de multiples aller-retours pour en récupérer les débris.


Sur scène, les titres gardent une parfaite cohérence et une brutalité jouissive. Le groupe gomme les effets de prod un peu datés comme sur I Love A Man In A Uniform à l'origine noyé dans la reverb, les chœurs et un funk new wave. Ce soir il sera direct et mettra en avant la mélodie et un chant puissant. Jon fait tournoyer son microphone pendant l'intro de I Parade Myself qui s'étend pour davantage profiter de son riff hyper efficace. Dans une version très électrique, le morceau fonctionne très bien et monte en puissance à mesure qu'il se déroule.
To Hell With Poverty met le feu à la fosse qui bondit dans tous les sens. Une Vans au motif léopard est brandie dans le public, quelqu'un va rentrer à cloche-pied. Gail fait toucher les cordes de sa basse par le public, tout le monde est en transe, ça sent la fin. Mais on ne peut pas se quitter comme ça, surtout quand c'est la dernière fois.

Le groupe revient pour Armamite Rifle, chantée par Ted avec Jon et Gail aux choeurs. Puis vient Waiting For My Elevator, une reprise des Mekons qu'ils jouaient déjà à leur débuts. Le groupe est sur les rotules, le public aussi. Jon nous prévient, à bout de souffle et en anglais « we're gonna do one more and repeat ourselves »... Ils jouent à nouveau Damage Goods, un final parfait qui finit par une longue répétition de « goodbye ».
setlist
    Ether
    Natural's Not in It
    Not Great Men
    Damaged Goods
    Return The Gift
    Guns Before Butter
    I Found That Essence Rare
    Glass
    Contract
    At Home He's A Tourist
    5.45
    Love Like Anthrax
    ---
    He'd Send In The Army
    Capital (It Fails Us Now)
    Outside The Trains Don't Run On Time
    Paralysed
    What We All Want
    I Love A Man In A Uniform
    I Parade Myself
    To Hell With Poverty
    ---
    Armalite Rifle
    Waiting For My Elevator
    Damaged Goods
photos du concert
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