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For Breakfast

Trapped In The Big Room EP

For Breakfast - Trapped In The Big Room EP
Chronique Single/EP
Date de sortie : 20.05.2022
Label :Glasshouse Records
45
Rédigé par Adonis Didier, le 19 mai 2022
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Nommer son groupe For Breakfast en étant anglais, c'est faire preuve d'une certaine forme d'audace. C'est aimer l'aventure, et les expériences inattendues. C'est être capable de mélanger de manière aussi scientifique qu'hasardeuse des ingrédients pour leur donner un goût tout autre, à en rendre fou certains. Et For Breakfast maîtrise visiblement la recette du petit-déjeuner anglais à la perfection.

Prenez tout d'abord sept musiciens, aux influences balancées entre le jazz, le post-rock, la dream pop, et tout ce qui touche de près ou de loin à des expérimentations auditives. Versez chacun des ingrédients en studio dans une base désaffectée de la Royal Air Force ne servant quasiment plus qu'à observer les OVNIs. Composez exclusivement en répétition ou en studio, puis écrivez des paroles en vous basant presque uniquement sur les sensations et les sonorités qu'elles dégagent. Mélangez finalement le tout avec deux années de paranoïa, de claustrophobie, et de confinements en tous genres. Et maintenant, en plus d'un groupe, vous obtenez un EP. Celui-ci s'appelle Trapped In The Big Room. Et plus qu'un EP, il est une nouvelle recette fantasque en quatre actes, un autre voyage inattendu.

Heavy Horse Museum s'ouvre sans plus de préliminaires que l'annonce du tempo. Un saxophone déchire l'espace et le temps, forme la moitié gauche d'un gigantesque portail, rejoint quelques mesures plus tard par une flûte complétant le demi-cercle manquant. La basse gronde, la guitare râcle le sol, trace le chemin, et la batterie s'empresse de propulser l'auditeur à travers le mystérieux portail. La suite est un voyage dans la courbure de l'espace-temps peuplé d'étoiles en explosion, de planètes inexplorées, naissantes, mourantes, de nébuleuses violettes, azures, et pourpres. Le tempo se tord, le temps se ralentit, les bordures de l'univers se rapprochent. Une voix vient à notre rencontre. Elle est forte, puissante. Tantôt proche de l'oreille, murmurant des indications, des incantations, tantôt lointaine, perdue dans l'écho, appelant le voyageur stellaire égaré vers sa destination. Les motifs rythmiques réapparaissent, le saxophone et la flûte reprennent leur danse, et le portail se rouvre enfin pour mener de l'autre côté.

Ok Roswell retrouve un voyageur hébété, ouvrant difficilement les yeux. La musique tâtonne, se cherche, pendant environ deux minutes. Elle se demande, tout comme le voyageur auditif, quel est cet étrange nouveau monde. Un motif refait surface, la voix réapparait pour nous guider. De gigantesques machines parcourent le monde. La voix annonce la tempête, la catastrophe. Attention, OK Roswell est un chef d'œuvre de crescendo dramatique et menaçant. Le malaise est omniprésent. Tout dans ce monde est légèrement dissonant, marche en se balançant maladroitement sous son propre poids. La guitare est hésitante, brinquebalante. Le saxophone rampe, lentement, s'insinue, hypnotise. Soudain un silence. On se tait. Seul le piano demeure, perdu, solitaire. Arrive la tempête. Dévastatrice. La voix est stridente, les instruments tourbillonnent, s'éparpillent, se réverbèrent. Le monde se distord encore et toujours, crescendo.

Orfordness Lighthouse est, elle, un petit bijou, digne du Agaetis Byrjun de Sigur Rós. La tempête est passée, et laisse un monde vierge de tout artifice. Seul reste un phare. L'océan bat la côte avec délicatesse. La voix se fait douce, le piano rêveur. Les battements s'intensifient à mesure que l'on monte les marches du phare. Le couple saxophone-flûte pousse le crescendo, comme le bruit du vent assourdi par la pierre. Arrivé au sommet, le vent se change en une mélodie d'une beauté rare. L'auditeur vagabond se sent soudain planer par-dessus une mer bouillonnante, à la fois bleue et blanche d'écume. La mélodie s'envole au-delà de l'océan, plonge à des profondeurs insoupçonnées, et pour finir elle se laisse échouer, paisible, sur une plage bordée de jungle vierge et mystérieuse.

Nervous Boundaries part en exploration, les frappes se font tribales. Sans sommation, la basse et la batterie se laissent aller à leurs grooves les plus chamaniques. On court dans la jungle à un rythme effréné, jusqu'aux frontières de cette terre sans limites. La flûte part en solo, zigzague entre les branches, les lianes, et les serpents, bientôt imitée par la guitare. La cadence se stoppe in extremis devant le vide, la falaise. Le voyageur pousse son regard au loin. Il ne voit que plus de jungle et plus de brume. Alors il saute, saute dans la cascade et reprend sa course folle jusqu'au bout du monde. Finalement arrivée au bout du voyage, la dernière minute de l'EP est un soulagement incandescent, que n'aurait pas renié King Crimson. La musique fait lever la brume, le soleil renaît. Flûte, voix, saxophone, et guitare s'entremêlent pour fêter le jour nouveau.

Vous l'aurez compris, que l'on prenne cet EP comme un voyage dans l'espace, comme une métaphore relatant deux ans de pandémie mondiale, ou plus simplement comme un disque fait par des gens passionnés, un peu barrés, et talentueux, le résultat est une immense réussite. For Breakfast proposent un second EP inspiré, surprenant autant qu'il fascine, laissant au voyageur l'envie de reprendre sans cesse ses explorations auditives. Chaque écoute est une nouvelle découverte, tant chaque pièce est à la fois un tout mais aussi une multitude de détails et de mélodies cachées. Et même si l'EP ne dure officiellement que vingt minutes, vous vous y perdrez sans doute des heures.

C'est qu'on prendrait bien un second petit-déjeuner après tant d'aventures !
tracklisting
    01. Heavy Horse Museum
  • 02. OK Roswell
  • 03. Orfordness Lighthouse
  • 04. Nervous Boundaries
titres conseillés
    Orfordness Lighthouse - Nervous Boundaries
notes des lecteurs