Chronique Single/EP
Date de sortie : 24.11.2023
Label :Nice Swan Records
Rédigé par
Adonis Didier, le 24 novembre 2023
Il y a toujours deux types de groupes dans la musique : ceux qui jouent d'un style, et ceux qui sont le style. Et si Human Interest ont indubitablement le look, coco, ils ont aussi à eux le style, le leur, calqué sur la personnalité de leurs deux « front people » Cat Harrison et Tyler Damara Kelly : déglingué et sexy. Accompagnés par Tyler Evann en guitare lead et Joe Michelson à la batterie, Cat le guitariste, Tyler la bassiste, tous les deux au chant, tous les deux à apporter leur manière d'être, entre personnalités queer extravagantes, troubles de l'attention, hyper-sensibilité, et sex-appeal de superstar qui nous a fait bouffer nos chaleurs au Supersonic en février dernier, premier passage parisien du groupe et obsession naissante d'un chroniqueur pour une chanson hypnotique et sensuelle : Mixing Paint.
Fasciné par de lents murmures aérés, enlacé d'harmonies vocales suaves, envoûté de rêves mouillés, et finalement réveillé par les bondissements lubriques des ressorts de la ligne de basse, le début de la chanson est une ode à faire rougir Brigitte Fontaine, une lettre ouverte à accepter ses différences et ses envies, à venir mélanger toute la peinture du monde entre des corps fraîchement recouverts dans un night-club de l'est de Londres. Un début langoureux pour une conclusion abrasive, rock n'roll, débraillée et déglinguée, un rouleau-compresseur de distorsion et d'échos perdus dans la nuit. Et si j'attaque par cette chanson dans une chronique d'EP qui part très bien pour finir sens dessus dessous, c'est pour mettre au point une chose : quelque soit le genre musical perpétré par Human Interest, celui-ci finira invariablement sans dessus et surtout sans dessous, en pleine révélation tantrique, pénétré des infinis désirs et fêlures de la vie.
« Trop de jours sont inexplicables, viens et joue, vis pour le jour » sur Slackers Paradise : un rock bluesy gluant au refrain invraisemblablement accrocheur, un testament de glandeur, ou ne sommes-nous pas tous dans l'erreur de courir partout comme si le sens de la vie n'était pas simplement d'en profiter ? La vie est trop courte, trop courte pour courir, alors posez-vous deux minutes et écoutez Human Interest, c'est dans votre intérêt.
Ça tombe bien, All My Friends sont tristes aussi des fois, alors ce n'est pas grave d'être triste, et ce n'est pas grave de passer du coq à l'âne, du rock bluesy à une merveilleuse ballade baladant brillamment les flots de pensées mélancoliques du jour vers d'autres lendemains. Toujours le même mot d'ordre, acceptez-vous comme vous êtes, acceptez vos sentiments, vos émotions, et faites-en quelque chose, ou pas, parce que la vie est trop courte pour être productif.
A moins que vous ne soyez So Smart, trop malin pour être entouré de cons et de branleurs, trop malin et pas à votre place ici, parce que vous êtes là pour quelque chose de plus grand. So Smart, la chanson fleuve de cet EP, si l'on puit dire pour cinq minutes et quarante secondes de post-punk funky empruntant autant au Velvet Underground qu'à T. Rex ou à la vague musicale anglaise du moment.
Retour vers le passé, Step On mon côté clair, marche dessus doucement, marche sur mon côté sombre, ce n'est pas si flippant. De nouveau, de lentes pérégrinations sensuelles lacérées de coups de guitare, l'enveloppe sociale éventrée, dégueulant le clair-obscur visqueux propre à chaque être humain, car s'accepter soi-même c'est accepter les autres, et inversement. Sans doute ce même clair-obscur qui dégouline de la pochette d'EP aux allures de livre de SF des seventies ? Quoi d'autre sinon, et je vous aurais bien pondu une nouvelle de quatre cents mots sur cet artwork mais mes stocks de stupéfiants étant au plus bas en fin d'année, à votre tour de développer l'imaginaire qui gouvernera votre pensée.
Et comme un pied de nez à une chronique foutraque, concluons par la conclusion, la dernière chanson de l'EP, la sublissime Grounded. A la base une blague de pub avec des potes irlandais, un pastiche de folk traditionnel causant d'un jules jamais revenu de la guerre, devenu entre dans des mains expertes une douceur à la simplicité désarmante laissant apparaître toute la tendresse qui habite un duo de compositeurs aussi brillant qu'humain. Car finalement, cet EP de Human Interest n'est pas fait de musique mais de peurs, de flemme, de tristesse, de sexe, d'ego, de tendresse, d'envie, de manque, de haine, et d'amour. Rarement un groupe aura autant accepté ses imperfections, accepté d'être regardé comme s'il était différent pour surligner ce que nous avons tous en nous, toutes ces belles et ces immondes choses que l'on garde à l'intérieur de peur qu'elles ne brisent un truc en s'échappant.
Et rarement un groupe se sera autant baladé d'un style à l'autre sans se perdre de vue, car le style de Human Interest n'est finalement rien d'autre que d'être eux, et de le faire mieux que personne !