Chronique Single/EP
Date de sortie : 17.05.2024
Label :Warp Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 15 mai 2024
Pour les retardataires et étourdis qui seraient passés à côté de cet artiste atypique et unique en son genre, nous débuterons cette chronique par une petite séquence de rattrapage de Who's Wu-Lu ?
Après avoir grandi bercé par la neo soul d'Angie Stone ainsi que par les de disques de dub, hip-hop, reggae, jazz et afro-beat de ses parents, Miles Romans-Hopcraft, aka Wu-Lu, a éculé pendant son adolescence les skateparks du sud de Londres, s'initiant ainsi au grunge, au métal et au punk aussi bien qu'à la musique électronique underground, de la drum'n'bass au grime en passant par le dubstep ou le UK garage. Mais c'est grâce à la découverte séminale d'Endtroducing, le chef d'œuvre d'abstract hip-hop de DJ Shadow, qu'il décida de se lancer dès ses treize ans dans le turntablism et le sampling. Parmi ses contemporains il déclare vouer une admiration particulière à Mica Levi, Slauson Malone, Sorry et Pink Siifu, des artistes ayant en commun d'être chacun dans leurs genres de véritables têtes chercheuses proposant une musique à la fois pointue et accessible. On retrouvait bien entendu toutes ces influences sur LOGGERHEAD, son brillant premier album paru en 2022 sur le label Warp, plébiscité par toute la presse musicale et comportant le brûlot South, qui reste une des plus grosses claques musicales qu'on se soit prise ces dernières années.
Aussi foutraque qu'inventif, LOGGERHEAD, était porté par une énergie explosive tandis que ce nouvel EP intitulé Learning To Swim On Empty s'inscrit dans un registre nettement plus calme, nuancé et personnel. Wu-Lu y affine son son et y affirme son style, qui perdent en furie juvénile ce qu'ils gagnent en maturité créative. Fort de son statut acquis grâce à ce premier LP, le londonien aurait pu s'offrir un prestigieux casting et convier des noms ronflants issus de l'avant-garde des scènes rock, hip-hop, soul ou électronique actuelles. Mais Wu-Lu préfère se tenir loin de tout bling-bling en invitant uniquement sur ce disque le poète et artiste interdisciplinaire Rohan Ayinde ainsi que Caleb Femi, auteur nigérian-britannique lauréat des Forward Prizes for Poetry.
Learning To Swim On Empty s'apparente à un journal intime de trente minutes divisé en sept parties s'inspirant de l'enfance de Miles à Brixton, de son expérience de la mort et de la perte d'êtres chers ainsi que du sentiment d'être soudainement jeté dans le grand bain de l'industrie musicale. Composé simplement d'une délicate piste de clavier, d'un sample de voix d'enfants et du spoken word de Rohan Ayinde, Young Swimmer vise l'épure poétique de The Book Of Traps and Lessons de Kae Tempest et ouvre l'EP tout en douceur et élégance. Plus enlevée et complexe que ce premier morceau , Daylight Song est présenté par Wu-Lu comme « un chant pour ceux qui arrivent et ceux qui sont perdus. Une chanson qui clarifie le fait que nous avons tous en nous la capacité d'être meilleurs chaque jour ». Loin du son râpeux et heurté de LOGGERHEAD, ce titre symbolise à lui seul l'évolution de la musique de l'artiste. Malgré sa guitare à la ligne claire, son chant bien plus mélodieux et affirmé qu'auparavant, sa production fluide et ses subtils arrangements de cordes, il suffit d'une batterie au rythme syncopé pour insuffler cette étrangeté et ce léger déséquilibre typique du style Wu-Lu. L'excellent Sinner conserve ce même cap tout en y ajoutant des influences dub marquées par un rythme plus lent et une basse lourde.
On savait que Wu-Lu était capable de dégainer des morceaux à très haute intensité que ce soit dans le registre du Loud-Quiet-Loud comme sur South ou Times avec leurs violentes décharges d'adrénaline punk ou celui d'un trip-hop anxiogène comme sur Ten ouBroken Homes, armés de productions moites et glauques toutes en rage et haine contenues. Sur Mount Ash, il parvient à atteindre cette même intensité mais cette fois sans arme, ni haine, ni violence. Ce long crescendo mutant d'une durée de cinq minutes et trente-six secondes débute par un très sobre guitare-voix tout juste susurré auquel succède une flamboyante orchestration menée par des violons tranchants et un piano sourd avant que le rythme ne retombe subitement le temps d'un couplet en spoken word pour ensuite repartir de plus belle et enfin laisser place à une minute de musique électronique atmosphérique sans aucun rapport avec le reste du morceau d'où surgissent d'inquiétantes voix de chanteuses lyriques. Derrière son apparente sobriété, Mount Ash s'impose comme un véritable tour de force et dévoile une nouvelle facette du kid de Brixton.
« When I say hip, you say hop ! When I say Wu, your say Lu ! ». Rassurez-vous, il reste tout de même un peu de hip-hop sur cet EP grâce à Blunted Strings et Last Night With You. On retiendra du premier son beat imparable, sa boucle répétitive entêtante et ses deux couplets bien fats sur lesquels Wu-Lu kicke comme jamais. Le refrain chanté apporte un bel équilibre à ce titre hybride qui frappe dans le mille de la tendance actuelle sans jouer les suiveurs. Du second on soulignera son orchestration chatoyante à la Sault, sa batterie flirtant avec la drum'n'bass et sa grande liberté lui permettant d'échapper à tous les dictats du genre, bien qu'en résulte une efficacité immédiate moindre que sur Blunted Strings.
Comme il avait débuté, Learning To Swim On Empty se clôt par un second morceau de poésie en spoken word dont la narration est cette fois confiée à Caleb Femi. Bien loin de l'ascétisme du titre d'ouverture sur lequel la voix d'Ayinde passait au premier plan, Crow's Nest déroule tout au long de ses six minutes une partition entre free-jazz atmosphérique et psychédélisme 70's sur laquelle la musique se mêle aux paroles pour un résultat que certains apprécieront comme un trip mental aussi fluide que ouateux et d'autres comme un barbant exercice de style en roue libre. Une chose est sûre, Crow's Nest devrait ravir les fans de Duval Timothy, un des plus beaux fleurons du nu-jazz britannique que tout le monde s'arrache, de Kendrick Lamar à Mount Kimbie en passant par Vegyn et Loyle Carner.
S'il n'était pas présenté comme un EP, on conclurait qu'avec Learning To Swim On Empty Wu-Lu passe avec brio le toujours difficile exercice du second album en parvenant à conserver les fondamentaux de son premier LP sans répéter mécaniquement ce qui a contribué à son succès et en livrant une œuvre moins bruyante, plus accessible, mieux produite, plus adulte et plus fine tout en demeurant passionnante et novatrice. Si certains n'hésiteront pas à parler d'album (ou de mini-album) de la maturité, on s'y refusera catégoriquement tant cela est trop souvent synonyme d'embourgeoisement ou de perte d'inspiration, ce qui est loin d'être le cas de Learning To Swim On Empty qui n'a de cesse d'explorer des territoires musicaux jusqu'ici demeurés vierges dans le parcours de Wu-Lu. Si elle doit à tout prix être qualifiée de mature, alors on dira de cette œuvre que c'est une sacrée MILH.
Mature I'd Like to Hear.