Chronique Single/EP
Date de sortie : 01.11.2024
Label :Sonic Cathedral
Rédigé par
Franck Narquin, le 31 octobre 2024
Janvier 2023, deary sortent leur premier single intitulé Fairground d'une durée de trois minutes et cinquante-trois secondes. C'est le temps qu'il nous aura fallu pour tomber amoureux de ce groupe. Novembre 2023, premier EP, six-titres, vingt-trois minutes et c'est l'amour ouf (note : c'est également le temps que devrait durer le film de Gilles Lellouche une fois délesté de toute ses scènes inutiles ou pompières, mais cela est un autre sujet). 1er novembre 2024, jour des morts, deary donnent naissance à Aurelia, second EP. Le bébé mesure six titres et pèse vingt-cinq minutes et une question vous taraude, est-ce que ce sera l'amour jusqu'à la mort ? C'est ce qu'on va voir ci-après en analysant le rêve pop de deary.
Là où leur premier EP éponyme nous plongeait en 1991, à mi-chemin entre l'onirisme des Cocteau Twins et les envolées saturées de My Bloody Valentine, Aurelia propulse deary quelques années plus tard, à la fin des années 90 où les rythmes se métamorphosaient, où les guitares étaient prêtes à flirter avec des touches électroniques et les beats du trip-hop. Le groupe, signé sur l'excellent label Sonic Cathedral — un monument de la scène shoegaze, qui fête d'ailleurs ses vingt ans cette année avec une quadruple compilation en décembre — s'affirme ici dans une exploration sonore à la fois fascinante et imparfaite. deary cherchent encore leur voie, ils tâtonnent, imitent, inventent et c'est justement ce qu'on aime tant, assister à l'émergence d'un groupe, à l'adolescence d'artistes dotés d'un talent évident.
La métamorphose de deary n'est pas brutale, mais elle est palpable. En écoutant Aurelia, on devine qu'ils ne cherchent plus seulement à imiter leurs héros, mais plutôt à les canaliser et à se réinventer. Exit, donc, le côté encore « scolaire » et légèrement figé de leur premier opus. Ici, ils travaillent le son plus que la mélodie, se concentrent sur l'atmosphère, sur la texture. L'EP nous invite à redécouvrir un shoegaze mâtiné de trip-hop, oscillant entre les rêves éthérés et une touche de gravité que n'aurait pas reniée Massive Attack. Ironie du sort, cette fusion rappelle furieusement l'hypothétique union des Cocteau Twins et de Massive Attack — duo légendaire dont les frontières s'étaient brièvement abolies grâce à la voix divine de Liz Fraser sur des morceaux emblématiques comme Teardrop.
Le morceau-titre, Aurelia, en est le parfait exemple. Cristallin, ample, il déploie une aura qui capte dès les premières secondes, et si les guitares continuent de flotter dans l'espace, elles s'accompagnent cette fois de battements lancinants, presque trip-hop, qui leur confèrent une profondeur inédite. Quant à la voix de la chanteuse, toujours aussi aérienne et envoûtante, elle se pare d'une douceur mélancolique, semblant parfois se fondre dans la brume de l'instrumentation. Sur The Moth, le groupe explore davantage l'électronique, ajoutant des textures feutrées, presque fantomatiques, qui contrastent avec des éclats de guitares en arrière-plan. Ce n'est pas encore complètement abouti, et tant mieux ; c'est justement dans cette quête que réside toute la beauté d'un groupe qui, tel un papillon nocturne, est attiré par une lumière dont il ignore encore la source.
Selene et The Drift, à mi-parcours de l'EP, nous plongent dans une ambiance immersive, proche du rêve éveillé. On y retrouve les codes du shoegaze — ces guitares floues, ces voix quasi incompréhensibles qui nous laissent libres d'interpréter — mais deary semblent y insérer des rythmiques plus saccadées, plus ancrées. C'est comme si le groupe cherchait à nous rappeler que, malgré la rêverie, la gravité existe bel et bien. Le morceau Where you are, quant à lui, illustre parfaitement cette volonté de briser la linéarité, d'ouvrir de nouvelles portes. La voix s'y fait plus lointaine, presque chuchotée, mais les basses et les synthés la soutiennent, lui offrent un écrin sombre et enveloppant.
Enfin, avec Dream Of Me, deary closent cet EP sur une note d'une mélancolie troublante, mais apaisée. Là encore, on sent l'influence des maîtres du genre, mais il ne s'agit plus de simples emprunts : le groupe a façonné un son qui lui est propre, tout en respectant ses inspirations. Cette évolution musicale peut sembler hésitante, mais elle est, en réalité, audacieuse. Aurelia est une déclaration d'intentions, un acte de foi en une musique en perpétuelle recherche, en mouvement, qui n'a pas encore atteint sa forme finale, et c'est ce qui la rend si captivante.
Alors, certes, Aurelia n'est pas parfait, il lui manque peut-être cette finition, ce quelque chose de définitif qui marquerait la pleine maturité du groupe. Mais n'est-ce pas là la beauté de la musique, justement ? Cette impression de suivre un chemin, d'assister à une mue, à la croissance d'un groupe qui se cherche, qui ose, qui explore. Ce deuxième EP de deary se savoure comme une promesse, celle d'un avenir encore incertain, mais plein de potentiel. Et en attendant la prochaine étape de leur métamorphose, plongeons dans cet EP comme dans un rêve éveillé, en espérant que le meilleur reste à venir.