Pour sa 16ème édition, le Primavera Sound Festival à Barcelone nous a concocté une affiche d'une démence absolue, réunissant des groupes parmi les meilleurs de la scène actuelle, des anciens cultissimes et des nouveaux venus qui crèvent déjà l'écran. On essayait donc depuis plusieurs jours de contenir l'excitation qui s'était réveillée immédiatement à notre arrivée au Parc del Fòrum, à la vue de ses tours géantes et de son Auditorium d'ébène. C'est parti pour une semaine dantesque entre mer, chaleur et pulpitos.
Nous débutons cette après-midi du jeudi recouverts de crème solaire puisque la différence de climat se fait grandement ressentir après de longs mois passés sous les nuages. Nous sommes en plein après-midi lorsque les très attendus
Beach Slang investissent, avec du retard du à des problèmes techniques, une petite scène du nom d'une marque de pneu (peut-être s'y connaissaient-il plus en pneu qu'en musique live ?). Les américains nous rafraîchissent avec leurs sonorités punk et leurs compositions diablement efficaces donnant envie de sauter sur place. Leurs mélodies sont néanmoins teintées d'une émotion palpable lorsque la voix rocailleuse passe du paisible au criard sur des déploiements électriques vibrants. On sent que ces morceaux possèdent un blues intrinsèque et pourraient être joués en simple guitare voix acoustique. Ces premières explosions rock font un bien fou, nous suivrons donc attentivement ces Beach Slang de Philadelphie dans le futur.
En parlant d'acoustique, dirigeons-nous vers l'Auditorium pour tomber sous le charme du songwriter
Andy Shauf et de sa folk brute en apesanteur. D'une voix serrée s'exprimant du bout des lèvres, le Canadien nous irradie avec ses compositions aux arrangements précis entre guitare acoustique apaisée et dérivations d'orgue psychédéliques. Andy et son groupe divaguent dans une langueur labyrinthique entre des parties vocales invoquant Elliott Smith ou Kings of Convenience, des passages instrumentaux au ralenti et des mélodies répétitives et entêtantes. On pense parfois à cette vague psychédélique soutenue par Warpaint ou Tame Impala mais dans une version boisée tout droit sortie d'un village isolé du Saskatchewan. La jolie
Jenny Come Home termine de nous convaincre de la grâce naturelle d'Andy Shauf, dont les mélodies simples et relaxantes prennent encore plus de consistance avec cette acoustique parfaite. On a connu pire moyen de terminer une après-midi.
Nous filons droit vers le soleil et la petite scène du bord de mer où la jeune
Julien Baker, auteure de l'un des grands albums de 2015, s'avance impressionnée et sous des acclamations d'un public déjà conquis. L'américaine dont c'est la première venue en Europe répond timidement en disant qu'elle n'avait encore rien joué, mais nous la remercions déjà pour cet album parfait qu'est
Sprained Ankle. Elle entame son fameux single éponyme avec ces quelques notes de guitare électriques et fait s'envoler sa voix juvénile, nous faisant ressentir nos premiers frissons du festival. Une aura particulière enveloppe Julien Baker lorsqu'elle chante, la même qui enveloppait Neil Young quand il avait, comme elle, vingt ans. Ayant écouté ses titres en boucle, on ne peut s'empêcher de fredonner ses textes, ce qui nous vaudra quelques échanges de regard et sourires en coin. Sa ballade
Everybody Does explose sur son final tandis que Julien s'envole dans de majestueux aigües qui n'ont pu que toucher chaque auditeur présent à ce concert. Des exaltés « Are you Rejoice ? » de
Rejoice à la fabuleuse
Something et ses « Can't think of anyone else », terrifiant de beauté, nous ne pouvons nous empêcher de penser que nous avons devant nous l'une des meilleures songwriter actuelle. Julien Baker vit intensément chaque interprétation de ses chansons très personnelles, transformant totalement l'expression de son visage dès leur introduction. Nous voilà tenus en haleine par tant de force et d'inspiration. Mais après seulement trente petites minutes, Julien Baker enlève son porte-guitare aux couleurs de drapeaux arc-en-ciel et s'en va. Un concert bien trop court mais une nébuleuse doit savoir se préserver.
On se remet difficilement de ce concert parfait en tentant de résister à
Car Seat Headrest malgré une qualité de son laissant à désirer. L'américain déploie des sonorités grunge, noyant la subtilité de ses compositions sous un déluge électrique effaçant presque complètement sa voix. On ne comprend malheureusement plus grand chose, un vrai problème sur la scène Pitchfork, la plus ouverte aux vents, durant tout le festival. On pense à Pavement dans ces morceaux aux contours parfaits mais à l'intérieur lo-fi et négligé, renforcé par l'image de geek renvoyé par le chanteur Will Toledo. Le concert s'achève sur un hommage au
Paranoid Android de Radiohead alors que nous les quittons pour rejoindre le Mordor, cette partie du festival où se trouvent les grandes scènes et les têtes d'affiche.
Nous attendons les anglais de
Daughter dans les premiers rangs d'une des scène géantes du Primavera Sound Festival. Le moins que l'on puisse dire est que le trio, devenu quatuor sur scène, a pris de l'ampleur depuis la tournée de leur premier album. Leur son s'est étendu, introduisant des sonorités électroniques même si la voix d'Elena Tonra a conservé sa fragilité, contrastant parfois fortement avec des instrumentaux cadencés pour les festivals, comme sur
No Care. Elle semble néanmoins toujours intimidée entre deux morceaux, papillonnant des yeux comme si c'était son premier concert. Le groupe s'excuse presque de jouer des titres plus calmes comme
Smother, qui restent pourtant les passages les plus poignants de leur set. Daughter proposera une version énervée de
Human avec une batterie tonnante et des dérivations électriques plutôt efficaces. La voix parfois trop frêle pour ces envolées instrumentales est doublée par celle de la claviériste. Les anciennes compositions intimistes s'imposent comme des tourbillons rock efficaces. Le point d'orgue restera néanmoins cette parfaite interprétation de
Youth, dans une version planante portée par une voix saisissante. Daughter ont su évoluer mais possèdent toujours cette innocence, occupant une place particulière dans nos cœurs.
La french touch envahit le festival avec le duo
Air qui propose une setlist Best Of, réveillant notre âme enfouie d'adolescent hypnotisée par le clip de
Sexy Boy en 1998. Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, tout de blanc vêtus, vont faire palpiter une perfection synthétique sur le festival, trouvant le juste milieu entre acoustique et électronique dès le tube d'ouverture
Venus. De la douceur mélancolique de
Cherry Blossom Girl à l'angoissante
How Does It Make You Feel?, nous planons avec Air dans un océan d'oxygène. On regrettera la version instrumentale uniquement de
Playground Love, Thomas Mars n'étant pas présente pour l'interpréter comme dans nos souvenirs de La Route du Rock 2004.
Sexy Boy, remaniée avec des beats et une basse dansante, parviendra à nous faire sauter sur place, davantage encore lors de son enchaînement avec
Kelly Watch The Stars. Ces versions synth-pop des tubes interplanétaires parviennent à contrer l'ennui qu'aurait pu provoquer un concert de Air grâce à des déclinaisons dancefloor. Le duo a su doser parfaitement ses pâtisseries pour nous émouvoir ou nous exciter aux bons moments.
Après ce ciel sans nuage, il est temps de se frotter aux orages explosifs du post-rock volcanique de
Explosions In The Sky. Les Texans ont joué avec nos tympans durant tout leur set avec leurs longues montées délicates, sur la pointe des pieds, précédant les éruptions libératrices tonitruantes. Le son est d'une perfection étonnante pour cette scène gigantesque mais nous avons affaire à des perfectionnistes. L'archet scintille sur une guitare électrique tandis que les deux autres s'entrechoquent, atteignant plusieurs fois un paroxysme extatique qui force l'admiration. Les titres s'enchaînent en continu, s'étirant dans de longues plages et alternant mélodies subtiles et influences noisy vibrantes. Le groupe se livre totalement, se couchant sur leurs pédaliers, brandissant les guitares dans des élévations grandioses ou se calmant subitement dans quelques déliés atmosphérique berçant le silence d'un public contemplatif et aux aguets. Nos oreilles ont pris leur dose de gigawatts, on a en tout cas franchi plusieurs fois le mur du son avec cette prestation millimétrée et exaltée.
Place maintenant aux plus gros faiseurs de tube rock actuels, les australiens de
Tame Impala qui débarquent évidemment en terrain conquis, devant un public qui ne demande qu'à danser sur les merveilles de leur dernier album en date,
Currents. Les héros se permettent de débuter avec l'énorme
Let It Happen, faisant immédiatement rebondir la foule massée devant la grande scène. On se souvient de leurs concerts dans de petites salles avec cet extrait de leur premier album
It's Not Meant To Be, pour un groupe qu'on n'imaginait alors pas à ce niveau de notoriété. La basse de la géniale
The Less I Know The Better résonne sur le Primavera Sound Festival, confirmant tout le cool contenu dans ce tube psych-pop parfait.
Tame Impala ont prévu quelques surprises comme des explosions de confettis qui pleuvront jusqu'à l'arrière du public à plusieurs reprises, tandis que les tubes comme l'entêtante
Elephant s'enchainent. Un problème technique coupera le son en façade durant
Eventually, pile au moment où le public s'apprêtait à reprendre le refrain, nous pensions donc ironiquement que la coupure était prévue. S'en suivra un moment assez magique de « Eventually haa haaa haa haaa » chantés à tue-tête. Le concert fut néanmoins raccourci : les scènes portant le nom de pneus ou de magasins de vêtements n'avaient décidément pas la cote.
Pour terminer la nuit, nous avons rendez-vous avec la reformations des dieux de l'électro
LCD Soundsystem et son leader James Murphy au sommet de sa forme. Sous une boule à facettes géante, les New-Yorkais vont transformer le Primavera Sound Festival en dancefloor géant en enchaînant les tubes teintés de funk, percussions et beats ravageurs dès l'ouverture sur
Us vs Them, repris par l'ensemble du public. Sous des cris exaltés, il est enchaîné sans ménagement avec
Daft Punk Is Playing At My House dans sa version up-tempo discoïde. James Murphy penché en avant devant son microphone qu'il tient comme si sa vie en dépendait, déploie avec perfection sa voix passant du rocailleux guttural aux cris aigües en un dixième de seconde. A ce point de la soirée, en ayant enchainé sans ménagement les meilleurs tubes de notre playlist habituelle, on se laisse simplement porter et transcender par cet alliage dancefloor d'une redoutable justesse, interrompu par des instrumentaux venus d'une autre dimension. Les membres sont pris de tremblements jusqu'à ce que le crooner qui sommeille en James Murphy ne ressorte sur
New York, I Love You But You're Bringing Me Down. Le trop plein d'adrénaline s'est fait ressentir durant cette prestation exaltée et grandiloquente de LCD Soundsystem au sommet de sa forme.
Nous terminons la nuit sur un dernier plaisir avec
Neon Indian et sa synthwave bricolée et bizarroïde, portée par son charismatique leader Alan Palomo, sorte de James Murphy en devenir. Entre synthé groovy, vocodeur du troisième type et rythmique laid-back, Neon Indian prolongent la fête avec un set robotique aux influences 80's. Leur performance très joyeuse et sous acide réjouira le festival jusque sur les coup des 4 heures du matin où nos pieds ont fini par nous lâcher.
Quelle soirée d'ouverture au Primavera Sound Festival ! Et dire que la plupart des meilleurs groupes ne se sont pas encore produits. Nous garderons longtemps dans nos esprits la magistrale prestation de Julien Baker, mais aussi les vibrations de LCD Soundsystem ou Explosions In The Sky. Voilà un jeudi comme on aimerait en vivre toutes les semaines.