Déformés en 1999 et laissant derrière eux deux albums au psychédélisme tortueux, Kula Shaker se reforment en 2004, amenant devant eux l'excellent EP
The Revenge Of The King, puis l'album tant attendu
Strangefolk. Entre-temps, le chanteur/guitariste Crispian Mills se sera nourri au sein de The Jeevas, enregistrant deux autres albums au psychédélisme tortueux. Cette pause de cinq ans n'aura pas eu d'autre mérite que redémarrer à zéro cette relation instable que le leader entretient avec Kula Shaker et réorienter leur musique sur des sentiers plus sinueux et insaisissables encore.
Dans
Strangefolk, il y a d'abord
folk et c'est exécuté avec brio sur
Ol' Jack Tar, unique morceau régulier de l'album et certainement le moins intéressant. Puis vient ensuite
Strange, et c'est la débandade. Entre
Out On The Highway qui prend sa source Ã
Oasis et
Second Sight qui emprunte aux
Kaiser Chiefs leurs refrains pompeux, le début d'album n'a pas besoin de prendre ses marques. Rien n'a été fait ici pour que l'on tienne en place, la voix de Crispian Mills ajoutant de sa schizophrénie ambiante. Des choeurs tribaux de
Song Of Love/Narayana, on passe Ã
Shadowlands évoquant un
Gorillaz dont les cartoons seraient dessinés non plus par Jamie Hewlett mais par Charles Burns
, avant que les arrangements indie pop de
Fool That I Am ne viennent mettre leur grain de sel dans l'agencement psychédélique du groupe. Même la brève et insignifiante chanson-titre, sur laquelle pourtant rien ne se passe, prend de l'envergure entre l'aliénant
Great Dictator et le sommet de l'étrange qu'est
Song Of Love/Narayana.
La basse, omniprésente, confère à l'ensemble un aspect dub qui, allié au blues tendu de la guitare et la new wave inébranlable du clavier, déploie treize titres aux horizons ondoyants et dont le dénouement ne semble jamais poindre. Entre les lignes des
Stone Roses et de
Primal Scream se dessine à la craie celle de Kula Shaker qui s'efface à mesure que les plages s'enchaînent :
Hurricane Season, encore amarrée aux années 90, ronge la brit pop jusqu'à la moelle pour la recracher plus loin, dépouillée de toute chair creuse.
6Ft Down Blues, plus sobre encore, gagne davantage de terrain rocailleux et rompt à terme toute la tension électrique de
Strangefolk pour que la harpe de
Dr. Kitt ligote définitivement les plus téméraires. Pour notre plus grand plaisir, le titre bonus
Super CB Operator clôt l'album sur une note moins amère, avec claphands et synthé vintage en première ligne.
Impossible de faire le tri donc dans tout cet enchevêtrement expérimental que le groupe ne s'est avisé, à raison, de démêler. À l'heure où les vieux groupes se reforment sans grand intérêt, policés et peu inspirés, Kula Shaker font partie des seuls à savoir se pencher sérieusement sur leurs compositions et se renouveler sans cesse à travers un melting pot insensé de différents styles musicaux – aussi appelé avec esprit
Strangefolk.