Carl Barât & The Jackals

Je me souviens d'un type qui, un jour, dans le courrier des lecteurs d'un mensuel rock français, avait écrit quelque chose du genre : « prenez le nouvel album des Babyshambles, ajoutez-y le nouvel album des Dirty Pretty Things... Mais oui, le dernier album des Libertines est merveilleux ! ». Bien joué mec. Ça peut paraître un peu simpliste, un peu facile. Ça l'est. Mais ça résume quand même bigrement bien le problème. Je sais que c'est problématique, mais il est absolument impossible d'évoquer un disque de Peter Doherty ou Carl Barât sans faire allusion aux Libertines. Ce n'est même pas un éléphant dans la pièce, comme disent les Anglais, c'est un brontosaure, tant l'ombre de ce groupe héroïque plane sur eux, en est indissociable. Ces deux-là sont tenus par les liens sacrés du rock'n'roll. Qu'ils le veuillent ou non, qu'ils arrivent à se reparler enfin, que ce troisième album tant attendu sorte ou pas.

C'est que la petite et ingénieuse astuce de ce lecteur anonyme met le doigt sur la complémentarité musicale des deux hommes. Pris séparément, ils sont chacun de grands romantiques (au sens littéraire du terme), de vrais songwriters et des musiciens doués qui savent tout de l'art d'écrire une mélodie et de ce qui fait une bonne, une belle chanson. Mais c'est ensemble qu'ils donneront le meilleur. Ça peut faire soupirer, ça peut horripiler, on peut retourner le problème éternellement : c'est comme ça, point barre. Les albums de John Lennon étaient nuls (pardon, fouettez-moi), et les Wings, ça craignait quand-même sacrément. C'est comme ça je vous dis. « Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospéreras toujours ». Épictète, ça vous parle ? Parfois, il faut savoir lâcher prise et accepter la fatalité. C'est donc dans un état d'esprit stoïcien qu'il nous faut aborder cet album de Carl & ses mercenaires. Même s'ils ne déméritent pas, ça reste « & the Jackals ». C'est tout de même rudement plus simple de se satisfaire de l'ordre du monde. Bref.

La dernière fois qu'on avait eu de ses nouvelles, à Carl (mis à part les derniers rebondissements Libertines, zut, j'en ai reparlé), c'était via son premier album solo, intitulé sobrement Carl Barât (sous entendu & nobody but himself). Un disque très pop aux accents baroques et d'excellente facture bien qu'un chouïa déroutant pour les fans de la dimension plus électrique de Libs (ah ben merde, j'en reparle encore), qui s'étaient jetés dessus faute de grives. Nulle déception ici, puisque Carl revient avec un album très orienté garage ; mâtiné toutefois de quelques arrangements pop plutôt fins.
Barât y marie avec talent sa sensibilité poétique exacerbée à des accords plus bruts, ceux qui l'ont révélé au monde, et laisse ainsi plus transparaître sa personnalité à lui, révélant à ceux qui l'ignoraient qu'il faisait jeu égal avec Doherty, souvent plus considéré comme l'âme et le génie des L... (Summer In The Trenches et The Gears pourraient d'ailleurs être co-signés tant ces morceaux transpirent le libertinage. Il y a de grands moments (Glory Days, War Of The Roses), des influences inédites (notamment Joy Divison sur We Want More), et de belles escapades intimes (Beginning To See, Let It Rain). C'est bien écrit, bien exécuté, mais personne n'avait de doutes là-dessus.

Let It Reign ne viendra donc pas se ranger sur l'étagère des albums légendaires aux côtés de Let It Be et de Let It Bleed, mais il fera passer un bon moment et même plus aux fans de britrock bien roulé. Rien de stupéfiant ni de très nouveau, ça non, juste la confirmation que Carl est en bonne forme, et qu'il est prêt à faire beaucoup mieux si sa moitié veut bien l'y aider. Et entre nous, on n'a jamais attendu autre chose d'une répète. Espérons simplement que Pete s'y pointera à l'heure.