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Carl Barât & The Jackals

Interview publiée par Xavier Ridel le 23 février 2015

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Il y a treize ans sortait Up The Bracket. Le premier album des Libertines marqua la renaissance d'un rock britannique en mal d'idoles. Inutile de rappeler la suite des évènements : Peter Doherty est devenu l'ombre de lui-même, restant capable de composer des chansons sublimes, tandis que Carl Barât, après s'être perdu dans les méandres de la pop, se remet au rock'n roll. Nous retrouvons ce dernier à Paris en compagnie d'un de ses Jackals. Taciturne, ce dernier préfèrera laisser la parole au leader du groupe qui, enchainant les cigarettes, nous enjoindra à faire de même « sans se soucier des règles ». L'homme respire l'énergie, et sa voix rocailleuse, pleine de gouaille, résonne fortement dans la petite salle.

Ce premier album avec les Jackals est extrêmement tendu et nerveux. Pourquoi ?

C'est venu naturellement. Nos moteurs ont été la colère et l'énergie. Je voulais, après mon effort en solo, qui était très tourné vers la pop, retrouver le coté rageur du rock.

J'ai redécouvert que je pouvais jouer de la guitare.

Et avec ça, on voit revenir les guitares sur cet opus...

Oui. J'ai redécouvert que je pouvais jouer de la guitare, ce que j'avais pratiquement oublié depuis l'album dont je te parlais. Et là encore, c'est venu naturellement, parce que j'avais de la colère en moi. Tu vois, jouer de la guitare est un sentiment très différent de celui éprouvé quand on joue du piano ou n'importe quel autre instrument. On peut se lâcher, se défouler en tabassant les cordes à coups de médiator.

En parlant de rage et de colère, cet album parle beaucoup de guerre. Peux-tu m'en dire un peu plus ?

La guerre fait partie de notre quotidien. C'est la guerre qui a fait des hommes et des civilisations ce qu'ils sont, pas vrai ? Et quand tu lis ou regardes les médias, tu observes très vite que ce concept est partout. C'est une chose constante dans la vie de l'être humain. C'est d'ailleurs ce dont parle la vidéo de A Storm Is Coming. Enfin, elle affiche ma vision des médias, qui traitent des informations assez graves comme si ce n'était que du vent, en sautant de l'une à l'autre. Et puis c'est une vision un peu romantique de la chose. Tu vois, en tant qu'artiste j'en ai forcément une vision déformée, mais pour moi la guerre est l'endroit, le moment où se déchainent les plus virulentes passions.

Où l'homme prend conscience qu'il vit ?

Exactement. Tu combats, tu te sais menacé et, enfin, tu sens ton coeur battre. Sans compter qu'il faut tuer, ou être tué, et ça pour un simple concept.

Je vois. Revenons à des choses plus pragmatiques. Pourquoi avoir fait un casting de musiciens après avoir enregistré l'album ?

En fait, quelques titres n'étaient pas encore mis en boite, du coup les Jackals ont joué sur certains d'entre eux. Et ensuite, j'avais besoin d'un groupe pour m'accompagner, tout simplement.


Et quels étaient tes critères de sélection ?

La passion et l'envie. Ah, et les compétences musicales, évidemment.

Les Jackals faisaient-ils partie d'autres groupes avant de jouer avec toi ?

Oui. Ils avaient pour la plupart des groupes de punk rock. Ils jouaient un peu dans des petits clubs londoniens, ont enregistré quelques chansons... D'après leurs dires, pas grand-chose de très excitant en fait.

Dans Victory Gin, tu évoques un sentiment qui existe en chacun. Parles-tu de la colère ?

Pas vraiment. Enfin, il y a plusieurs réponses possibles. La frustration, l'énergie et surtout le besoin de s'exprimer, je crois.

Et penses-tu que la frustration est importante pour créer ?

Pour moi, oui. Je m'inspire beaucoup de sentiments négatifs pour créer. Chanter, composer, ce sont pour moi des manières d'extérioriser.

Comme un exutoire ?

Tout à fait. C'est étrange tu vois, mais c'est beaucoup plus simple d'écrire quand tu es triste plutôt que quand tu es heureux. Quand tout va mal, en grossissant le trait, je dirais que tu as juste à te lever, et à crier. Alors qu'il est bien plus difficile d'exprimer un sentiment positif.

Je crois que les gens commencent à prendre conscience de comment se construit notre société.

En référence au vidéo clip de A Storm Is Coming, penses-tu que nous soyons à l'aube d'un âge orwellien ?

Oui. En fait, ce n'est pas aussi simple que dans le livre d'Orwell. Mais je suppose que tu connais le Meilleur des Mondes, d'Aldous Huxley. Dans ce bouquin, chacun vit dans sa petite maison, avec tout le confort nécessaire. Tout le monde est plus ou moins contrôlé, mais l'accepte, afin de garder ce confort. Toute notre technologie relie chacun, en le séparant. Ce n'est en fait pas aussi terrible que chez Orwell. Et je crois que les gens commencent à prendre conscience de comment se construit notre société. D'où le titre A Storm Is Coming.

Et penses-tu que le but d'un artiste soit de s'ériger contre ça ?

Non, plutôt d'y réfléchir, ou de s'en faire le reflet. De simplement montrer ce qu'il voit, finalement. Ce sont des temps intéressants, il faut s'en inspirer.

Pourquoi as-tu décidé de travailler avec Joby J. Ford ?

Parce que nous allions enregistrer beaucoup de guitares sur cet album. Je voulais que ces dernières sonnent très punk, et le travail qu'il faisait au sein de The Bronx me plaisait. Au final, je suis très content du résultat, la production est assez massive et violente, c'est ce que je cherchais.

Avant les Jackals, tu as collaboré avec beaucoup d'artistes français : Biolay, les BB Brunes... Pourquoi ?

Tout simplement parce que j'aime la culture française et que j'aimais bien ces artistes...


Tu préfères travailler seul ou en groupe ?

Je ne peux pas travailler seul, en fait. Quand je suis dans une pièce avec un télévision ou autre, il m'est impossible de ne pas céder à la tentation et de ne pas aller végéter devant (rires).

Sais-tu déjà à quoi ressemblera le futur album des Libertines ?

Oui ! A un CD dans une boîte (rires). Non, en fait nous devons encore travailler dessus. Mais il restera surement dans la veine des autres albums : à la fois punk et pop, romantique, plein de doutes.

Avez-vous toujours cette vision romantique de l'Angleterre, cette sorte de vision fantasmée de l'Albion ?

Oui, on a encore ça. C'est en fait ce qui nous aide à survivre. Chacun a besoin de ses mythes et croyances, pas vrai? La notre, c'est ça.

J'ai vu que tu allais jouer dans un film, peux-tu m'en dire plus ?

Il est déjà terminé en fait : son nom est For This Is My Body, et la réalisatrice est suisse, elle s'appelle Paule Muret. Elle m'a envoyé le script en 2012 et j'ai tout de suite accroché. En fait, c'est l'histoire d'une groupie et d'une rock-star. La groupie place la rock-star sur un piédestal, ils se rencontrent, et le film porte donc sur leur relation.

Je suppose que tu vas jouer la rock-star ?

Je me verrais mal dans la peau d'une groupie oui ! (rires)

Et tu as aimé jouer ?

Oui, beaucoup ! C'est une forme d'expression très différente de la musique, Mais se fondre dans la peau d'un autre personnage est très intéressant, même si là ce personnage est tout compte fait assez proche de ce que je suis.

Que penses-tu de la scène rock actuelle ?

Il y a de très bons groupes, mais le rock, je crois, ne sera plus jamais autant sous les feux de la rampe qu'autrefois. L'époque des rock-stars est peut-être révolue, les gens et les médias sont passés à d'autres styles de musique.

Tu ne crois pas qu'il est également plus difficile de se faire un nom avec Internet ?

Clairement, si. Il y a tant de groupes et de choses à écouter aujourd'hui, il est difficile de s'y retrouver. Tu navigues sur Youtube, tu tombes sur une bonne chanson, puis tu passes à autre chose. Sans compter que les gens n'achètent plus de disques à cause du streaming. Mais il y a quand même des points positifs là-dedans. Les choses ont simplement évolué.