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King Krule

The OOZ

King Krule - The OOZ
Chronique Album
Date de sortie : 13.10.2017
Label : XL Recordings
5
Rédigé par Cassandre Gouillaud, le 17 octobre 2017
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Huit années se sont écoulées depuis la sortie de son premier EP, $quality et Archy Ivan Marshall, de son nom de naissance, n'aura depuis cessé de naviguer entre ses alter-egos artistiques. C'est aujourd'hui sous le plus accompli d'entre eux qu'il refait surface. Celui aussi par lequel il avait révélé à seulement 17 ans l'indispensable The Noose Of Jah City, à savoir King Krule. Aujourd'hui de retour avec The OOZ, une épopée abrasive de 19 chansons, il nous offre sans doute possible son effort le plus ambitieux en date à travers une ébauche biographique brutalement sincère.

Le cadre est forcément urbain, mais d'un urbanisme particulier, fait de paysages d'un noir et blanc désoeuvrés, hanté par les démons qui habitent son béton froid. Il est plus précisément celui des rues sans espoir qui prennent vie dès la jazzy Biscuit Town, infectées d'une désillusion lucide quant à futur qu'elles abritent (« I seem to seek lower / in biscuit town »). On sait que The OOZ est au moins né du désenchantement d'une relation qui s'achève abruptement et de l'angoisse de l'artiste dont la feuille reste blanche. Dès ses premières notes, il est évident qu'il aura été contaminé par de tout aussi violents sentiments, happé même par une tension angoissante qui court à travers ses intenses trois premières chansons. Le redoutable Dum Surfer en est l'expression la plus convaincante, entraîné par une voix qui semblerait presque venir d'outre-tombe et qui vient par mimétisme incarner cette descente irrémédiable vers les bas-fonds.

Ce triptyque redoutable était une plongée abrupte dans l'univers recréé par King Krule, mais n'était que les premières minutes d'un récit bien plus complexe. The OOZ prend ensuite la forme d'une déambulation hasardeuse, qui s'offre de nombreux détours, jusqu'à prendre la forme d'un flux de conscience musical. L'album voit ainsi le retour des fameux penchants trip-hop de l'artiste sur des morceaux tels que Logos ou Czech One, s'offre une virée post-punk avec Emergency Blimp, incorpore des rythmes jazz et des saxophones à de multiples occasions. Même la langue ne constitue plus un référant stable, puisque l'espagnol apparaît dans Bermondsey Bosom (Left), tout comme le tagalog, un dialecte philippin, dans The Cadet Leaps. C'est ainsi que la multiplicité des intentions et le contraste des rythmes se retrouvent au coeur de cet album, instable par essence, mais d'une instabilité savamment orchestrée : s'il en hérite ses changements de direction parfois confus, il en tire aussi la richesse des textures.

L'artiste, dans ce roman-fleuve, occupe lui aussi une place particulière et notable. Tel un acteur en possession de son espace scénique, King Krule navigue entre les plans, tantôt sur le devant, tantôt à l'arrière-plan de cette épopée effrénée. Là est la réussite la plus intéressante de cet album, qui voit son architecte principal tantôt disparaître derrière d'autres voix, tantôt ne devenir qu'un faible écho dans sa propre histoire. Omniprésent sur Half Man Half Shark, repoussé au rang d'écho lointain sur The Cadet Leaps, l'artiste devient une figure mouvante sans pour autant disparaître de sa propre histoire. En recréant avec tant de profondeur un monde aux sonorités cinglantes et à la froideur troublante, King Krule n'avait plus besoin de conter lui-même cette obscure histoire. Il n'y avait qu'à se laisser prendre par cette expérience immersive, qui plonge son auditeur dans des territoires infiniment personnels, marqués par l'absence et la perte de soi.

« Is anybody out there? / Could we align? », les questions de The OOZ trouvent rarement des réponses, et ne ramèneront pas non plus la personne aimée à laquelle elles s'adressent. Elles elles accomplissent cette fonction cathartique qui donne à cet album son obscure urgence et sa frénétique détresse, qui, d'un mouvement presque contradictoire, le rendent aussi oppressant que fascinant. Ce sont ainsi à nouveau des expériences les plus cruelles que naissent les plus grands albums - bien que l'on serait tenté de dire qu'en vérité, The OOZ est peut-être un peu plus que cela. Une expérience artistique déchirante, à part des autres, quelques peu différente.
tracklisting
    01. Biscuit Town
  • 02. The Locomotive
  • 03. Dum Surfer
  • 04. Slush Puppy
  • 05. Bermondsey Bosom (Left)
  • 06. Logos
  • 07. Sublunary
  • 08. Lonely Blue
  • 09. Cadet Limbo
  • 10. Emergency Blimp
  • 11. Czech One
  • 12. (A Slide In) New Drugs
  • 13. Visual
  • 14. Bermondsey Bosom (Right)
  • 15. Half Man Half Shark
  • 16. The Cadet Leaps
  • 17. The Ooz
  • 18. Midnight 01 (Deep Sea Diver)
  • 19. La Lune
titres conseillés
    Dum Surfer, Logos, Czech One, Vidual
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