Wire

Wire est ce genre de groupe dont on sait qu'ils ne changeront pas la face du rock avec leurs nouvelles productions. Désolé, mais la bande de Colin Newman a déjà donné. Ces jeunes gens de soixante balais bien tassés ont largement apporté leur pierre à l'édifice monumental du rock en sortant plusieurs albums post-punk marquants à la fin des années 70. C'était une époque où le jeune Robert Smith confessait que Wire étaient « tellement bons » sur scène et rêvait que ses Cure sonnent aussi intensément.
Quelques quarante ans plus tard, même si Bruce Gilbert a quitté l'aventure remplacé par Matthew Simms, Colin Newman, Graham Lewis, Robert « Gotobed » Grey sont toujours là et sortent régulièrement des albums, parfois inégaux, mais toujours chevillés par une fraîcheur et une sincérité sans faille.

Contrairement à d'autres groupes qui pourraient se contenter d'une énième compilation de singles plus ou moins intéressante, Wire préfèrent opter pour une démarche un peu plus singulière. L'idée était de sortir une compilation pour le Disquaire Day avec des morceaux difficiles à trouver, et des vieux titres réenregistrés durant ces dix dernières années. Une crise sanitaire plus tard, la compilation 10:20 sort enfin avec quelques semaines de retard.

La démarche est clairement intéressante et rafraîchissante, d'autant que dans l'ensemble, elle ne renie pas l'essence même des morceaux. Elle fait juste sonner des anciens titres comme des morceaux récents. Les habitués des performances live du groupe ne seront donc pas étonnés d'entendre Boiling Boy dans sa nouvelle mouture. Ce morceau de 1988, pièce maîtresse des concerts est ré-enregistrée telle qu'elle est jouée en live. Au-delà de la production très caractéristique des années 80, il est intéressant d'écouter l'évolution de la voix de Colin Newman vingt-cinq ans plus tard.
Sur German Shepherds, le travail de dépoussiérage est salvateur tant le morceau est marqué par le son de son époque. Lui aussi redynamisé sur scène, la nouvelle version studio offre un véritable nouveau souffle des plus agréables. La remarque est similaire pour Small Black Reptile. La version de l'album Manscape en 1990 avait vraiment très mal vieilli, comme beaucoup de morceaux de Wire de cette période, tel Over Theirs, aussi retravaillé pour l'occasion. Dans les deux cas, le temps avait durement érodé la matière pourtant novatrice de l'époque mais les versions de 10:20 redonnent de la force à ces titres qui le méritent tant.

Underwater Experiences est un morceau encore plus ancien puisque sa composition remonte à 1978. Non retenu sur l'album Chairs Missing, ce titre déjanté aux multiples versions est marqué par une folie et une urgence punk. La version 10:20 est toujours survitaminée même si la voix et le chant actuel de Newman ne parviennent pas à faire rejaillir l'agressivité et la fureur d'origine. Le choix de retoucher ce morceau est peut-être le plus discutable, car au final on voit mal la pertinence de rendre plus lisse et plus propre un morceau tant imprégné de rage...
L'histoire est différente pour He Knows. Ce titre se trouvait en CD bonus avec les premières sorties de l'album Red Barked Tree. On pourrait penser à une simple B-side tant elle pourrait avoir sa place sur l'album, en réalité le morceau est beaucoup plus vieux et date du début des années 2000, peu avant le départ du groupe de Bruce Gilbert.

Le reste de la compilation réunit des morceaux plus récents. Ils ont été enregistrés par la formation actuelle de Wire. Wolf Collides, pièce oubliée du très bon Silver / Lead (2015), mais surtout le magnifique The Art Of Persistence. Presque introuvable dans sa version studio, il est un parfait exemple de ce que peut produire Wire de meilleur aujourd'hui. Il est nerveux et mélancolique, la mélodie est épurée, simple mais s'insinue dans votre esprit pour vous marquer durablement. C'est dans ce domaine que Wire excelle aujourd'hui et c'est sur ce terrain qu'on aime retrouver le groupe.

Voilà donc comment Wire s'y prend pour faire plaisir à ses fans. Quelques morceaux oubliés, et du travail de dépoussiérage pour redonner de l'éclat à des compositions usées par le temps. Effectivement, l'ensemble reste une compilation tant les morceaux sont différents, mais la production rend le tout harmonieux et donne une idée précise de ce que le groupe peut produire aujourd'hui.
10:20 pourra intéresser les fans du groupe qui ne sont pas retors avec le fait d'écouter des titres remis au goût du jour, tel que les musiciens les jouent en live. Gageons qu'il soit surtout l'occasion pour les plus novices de se plonger dans l'immense discographie de ce groupe à la fois discret, mais immense par son parcours et son influence.