Tirzah

Trois ans après Devotion, classique instantané de R'n'B lo-fi, et six ans après le coup de tonnerre Make It Up, single séminal qui tourne encore en boucle sur nos platines, Tirzah revient avec le toujours attendu et redouté deuxième album. Comme on ne change pas une équipe qui gagne (prends ça, Didier Deschamps), on retrouve à ses côté les membres du collectif londonien CURL, avec à la production la complice de toujours, la grande Mica Levi (aka Micachu, qui a notamment signé une des plus belles B.O de ces dix dernières années pour Under The Skin de Jonathan Glazer). Enregistré entre la naissance de ses premier et deuxième enfant, la londonienne chante tout du long de Colourgrade le sentiment maternel dans toute sa complexité, de la tendresse absolue au spleen tenace qui parfois l'accompagne.

L'album s'ouvre sur l'éponyme Colourgrade, titre un peu rêche qui dévoile néanmoins d'entrée les intentions de la jeune anglaise et la ligne de conduite de cet opus faite d'esthétique DIY et de minimalisme radical sans compromis. S'ensuit l'épidermique Tectonic, morceau de bravoure intimiste et angoissant, portée par un flow flegmatique, presque désincarné, posé sur une rythmique hypnotisante qui n'aurait pas fait tache sur le Maxinquaye de Tricky.

Le glacis émotionnel imposé jusqu'ici se craquelle peu à peu sous la chaleur du suave Hive Mind sur lequel le fidèle collaborateur Coby Sey vient poser sa voix de velours pour un duo hautement sensuel. La tonalité se fait plus sombre sur les titres suivants, de Recipe à Crepuscular Rays, aux structures lancinantes et aux textures grésillantes, parsemées de perturbations dissonantes et portées par la voix blanche, comme engourdie de Tirzah. On enchaine alors sur Send Me et Sink In, morceaux plus accueillants, tout en rythmique cotonneuse, où il fait bon se lover dans une douce torpeur avant le final Hips et son electronica rêveuse.

Tirzah confirme ici qu'elle fait bien partie des plus belles têtes pensantes de l'underground londonien au côté des francs-tireurs Dean Blunt et Vegyn. Creusant le sillon dessiné sur Devotion, elle parvient sur Colourgrade à conserver ses fondamentaux et affirmer son style tout en innovant et en poussant encore plus loin ses expérimentations sans jamais tomber dans la surenchère ni la pose auteuriste. En seulement deux albums, Tirzah, grande timide devant l'éternel, a déjà réussi à créer une œuvre personnelle et singulière et à imposer sans forcer sa douce voix tout en haut du paysage musical britannique.