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Tirzah

Paris, Café de la Danse - 7 juillet 2022

Live-report par Franck Narquin

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En deux albums, Tirzah a imposé son style unique et mis tout le monde d'accord. Devotion, classique instantané de RnB lo-fi sorti en 2018 suivi en 2021 par Colourgrade, divin deuxième essai creusant le même sillon dans une veine plus organique et expérimentale, n'ont jamais vraiment quitté nos platines et se sont avérés d'inusables compagnons de route, aussi indispensables les jours de déprime que lors de nos nuits les plus sensorielles.

Pour célébrer le début de sa tournée plusieurs fois retardée, Tirzah a sorti courant juin Highgrade, album de remixes de son deuxième album, sur lequel on croise les meilleurs laborantins sonores britanniques tels que Wu-Lu, Loraine James ou Actress. On se demande tout de même comment ces bijoux confectionnés par des orfèvres de studio passeront le cap de la scène, tant la magie qui opère sur disque tient à peu de choses, un cri étouffé et lointain sur Hive Mind ou un bourdonnement sensuel sur Beating. Il faut bien admettre que l'éclatante réussite des albums de Tirzah repose en grande partie sur le talent de producteur de Mica Levi et l'osmose rare entre ces deux artistes, un peu comme Wong Kar Wai, dont le génie semble subitement se faner quand Christopher Doyle ne tient plus la caméra.


En fan impatient et en chroniqueur appliqué, j'ai noté que Tirzah proposait une setlist pour sa tournée américaine principalement composée des morceaux phares de Colourgrade et de Devotion, en forme de « Best Of », si ce mot peut avoir un sens dans l'univers feutré et pointu de Tirzah, et une setlist européenne, qu'on pourrait qualifier de plus ambitieuse, ou moins évidente, n'hésitant pas à visiter la veine la plus minimale de son œuvre.

Tirzah attaque ce soir son set par un mash-up entre les très calmes Basic Need, Go Now et Make It Up, véritable petite bombe dancefloor sortie en tout début de carrière de l'anglaise, sur Greco-Roman, le label de Joe Goddard, homme a tout faire de Hot-Chip et producteur presque aussi prolifique que le grand Patrick Topaloff. Saut qu'ici les paroles de Make It Up seront tout juste marmonnées et son beat totalement émasculé. Si on ne peut que saluer une telle démarche radicale, on s'inquiète tout de même de ce parti pris de l'austérité, surtout chez une artiste connue pour sa grande timidité et une présence scénique qu'on pourrait qualifier au mieux de minimaliste.

Cette tendance se confirme avec Sleeping et Ribs, titres rêches et dissonants, pas vraiment aidés par une balance assez approximative. Les basses écorchent les oreilles des premiers rangs et étouffent la voix frêle, mate mais toujours sublime de la mini-diva. Je sens d'ailleurs que je perds petit à petit mes compagnons du soir, venus découvrir cette artiste louée unanimement par la presse spécialisée des deux côtés de la manche mais qui semblent totalement désarçonnés par le spectacle proposé. Tirzah se tiendra pendant tout son set au fond de la scène, les mains dans le dos, juchée derrière son micro, droite comme un i et ne s'adressant au public du bout des lèvres qu'en toute fin de concert. En toute cohérence, le light show épouse la même approche. La scène est plongée dans une pénombre constante qui s'avère un véritable casse-tête pour les vaillants photographes, tentant avec grand-peine de tirer un cliché digne de ce nom dans de telles conditions.


L'ambiance se réchauffe enfin aux sons du groove lancinant de Send Me et de la soul ouatée de Sink In. Avec ces petites douceurs, Tirzah offre aux spectateurs un peu de réconfort après l'ascétisme hardcore des premiers morceaux. Mais, pour certains, il est déjà trop tard. On entend d'ailleurs bavarder de-ci de-là dans la fosse et mes compagnons m'ont définitivement lâché pour aller s'accouder au bar aux côtés de Bonnie Banane et Malik Djoudi, cousins musicaux, plus ou moins lointains, de la britannique. Erreur stratégique car c'est souvent quand les affaires semblent mal engagées que surviennent les plus beaux instants de grâce.
Après une cinquantaine de minutes où la dévotion faisait place à la déception, deux moments sublimes, comme suspendus hors du temps, vont subitement renverser la tendance. Tranchant avec l'apathie générale, Tectonic, dans une version tendue à souhait, réveille subitement l'auditoire endormi à grands coups d'infrabasse et de lumières bleues stroboscopiques. Les sens à nouveau attisés, le public va définitivement chavirer sur l'ultime titre de la soirée. Accompagnée au chant par Coby Sey, Tirzah délivre une version hyper charnelle de Hive Mind dont on aurait voulu qu'elle ne termine jamais.

On le savait déjà un peu, mais cette prestation vient confirmer que la scène n'est vraiment pas le terrain de jeu préféré de Tirzah, bien plus à l'aise dans l'intimité d'un studio, entourée de sa garde rapprochée, que sous les feu de la rampe.
setlist
    Basic Need
    Go Now
    Make It Up
    Sleeping
    Ribs
    Send Me
    Gladly
    Sink In
    Devotion
    Tectonic
    Obviously
    Recipe
    Hive Mind
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