And So I Watch You From Afar

Depuis la sortie de leur premier album éponyme en 2009, And So I Watch You From Afar ne se sont jamais fixés de quelconques limites dans leurs explorations sonores, naviguant d'album en album du rock progressif ou math-rock en passant par le post-rock ou même des influences punk totalement assumées, et osant même intégrer ponctuellement le chant à leur musique le plus souvent purement instrumentale. Après avoir longtemps livré leurs nouvelles créations à un rythme métronomique, ne laissant guère s'écouler plus de deux années entre deux de leurs disques, c'est près d'une demi-décennie après The Endless Shimmering que le quatuor originaire d'Irlande du Nord effectue début 2022 son retour avec le projet le plus ambitieux de sa carrière : Jettison.

Plus qu'un simple album, Jettison a été pensé et construit tel un projet multi-disciplinaire taillé dans un premier temps pour la scène. Imaginé initialement par le guitariste du groupe Rory Frier, celui-ci a progressivement été enrichi de visuels créés par Sam Wiehl, remarqué récemment pour son travail sur le vidéo clip du single Ritchie Sacramento de Mogwai, mais aussi d'une dimension orchestrale confiée à Connor O'Boyle en collaboration avec un quatuor à cordes, The Arco String Quartet. S'il se présente sur disque avec un tracklisting au sens traditionnel du terme, Jettison s'apprécie sous la forme d'une piste unique d'une quarantaine de minutes, certes découpée en chapitres, mais dont chacun des éléments suit un fil conducteur logique et consciemment développé, qui plus est en présence d'éléments narratifs portés par Neil Fallon (Clutch) et Emma Ruth Rundle.

C'est la voix de cette dernière que l'on retrouve dès l'introduction du disque, I Dive Pt 1, lente initiation sur fond de guitares discrètes et délicates sonorités du quatuor à cordes, avant que la batterie ne fasse son apparition sur II Dive Pt 2 où le rythme monte progressivement sur fond de choeurs féminins. Si cette entame, à l'image de nombreux passages de l'album, n'est pas sans rappeler certains travaux d'Explosions In The Sky et pourrait même s'apparenter à une bande originale, c'est à partir de III Lung et plus encore IV In Air que le groupe se montre tel que ses fans l'ont toujours connu, les rythmes math-rock des guitares et une basse s'éveillant accélérant le rythme de belle manière. Si la première moitié de l'album se révèle dans sa globalité tournée vers des sonorités aériennes, laissant une large place au Arco String Quartet pour s'exprimer, la seconde se révèle plus conforme aux aspirations d'And So I Watch You From Afar, à commencer par VI Submerge et plus encore le court et punk VII Emerge. En dépassant les six minutes de durée, l'éponyme VIII Jettison voit le groupe prendre son envol et jouer sur les rythmes dans une belle débauche d'énergie, avant de laisser une dernière fois la place aux instruments à cordes sur la conclusion orchestrale que constitue IX A.D. Poet.

S'il voit le groupe réaliser certains compromis en s'effaçant parfois au profit du Arco String Quartet, Jettison constitue pour And So I Watch You From Afar une formidable réussite dont il ne sera malheureusement possible d'apprécier tous les aspects que dans les conditions du live. En parvenant à associer l'apport d'un quatuor à cordes à leur aspirations expérimentales, c'est à un voyage onirique d'une quarantaine de minutes que les musiciens convient l'auditeur, le tout pour un résultat constituant leur réalisation la plus ambitieuse, originale et aboutie à ce jour.