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Peter Doherty & Frédéric Lo

The Fantasy Life Of Poetry & Crime

Peter Doherty & Frédéric Lo - The Fantasy Life Of Poetry & Crime
Chronique Album
Date de sortie : 18.03.2022
Label : Strap Originals
5
Rédigé par Franck Narquin, le 14 mars 2022
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A ma gauche, Peter Doherty, héros pop, légende intouchable dans nos cœurs mais que le temps et les excès en tous genres ont sacrément cabossé. A ma droite, Frédéric Lo, artiste multifacettes, compositeur et producteur orfèvre, célébré pour son travail sur Crèvecœur, sur lequel il redonnait une deuxième jeunesse, voire une deuxième vie, à Daniel Darc, autre héros à la trajectoire semblable à celle du leader de The Libertines. Si l'annonce de cette collaboration nous a d'abord surpris, elle s'avère finalement évidente tant le plus français des rockers anglais et le producteur français biberonné à la pop anglaise étaient faits pour s'entendre. Surprenante ou évidente, on ne s'attendait pas à ce que cette union accouche d'un tel album. N'ayons pas peur des mots, The Fantasy Life Of Poetry & Crime est un classique instantané, un chef d'œuvre né d'une rencontre furtive qui conservera une place à part dans la discographie déjà riche de nos deux compères.

Après un premier échange le temps d'une reprise de Daniel Darc, les deux musiciens troublés par leur aisance naturelle à travailler ensemble, ont décidé de pousser l'expérience un peu plus loin. Installés dans une maison d'Étretat pendant le confinement, ils ont écrit, composé et enregistré en à peine deux mois ces chansons de lendemain de cuites, de celles qui ont duré une vie plutôt qu'une nuit. On les imagine bien, accoudés à la table de la cuisine, Frédéric à la guitare et Peter à la machine à écrire, tout juste accompagnés de quelques huitres locales, de vin et de cigares, mais d'aucune drogue nous promet-on.

Frédéric Lo a construit des chapelles aux vitraux cristallins prêtes à accueillir la prose profane de Peter Doherty. Au pathos, à la fougue, à la verve de Doherty, Lo oppose des mélodies ciselées et une production d'une incroyable richesse et subtilité. On pensait tout connaitre du likely lad, certains que le meilleur était déjà derrière lui, on a pourtant l'impression de le redécouvrir tout au long de ces douze titres qui pourraient être ce que le monsieur a produit de plus fort au cours de sa carrière solo. Un tel coup de maître méritait bien une analyse morceau par morceau.

L'album s'ouvre sur le titre éponyme, The Fantasy Life Of Poetry & Crime. La voix de l'anglais est sur la corde, burinée, abimée, sublime, contrastant à merveille avec une guitare à la ligne claire soutenue par des cuivres élégants. Doherty dit s'être inspiré de Maurice Leblanc, l'auteur d'Arsène Lupin, natif de Normandie et n'hésite pas à faire rimer « crime » avec « Seine Marit(aï)me. The Epidemiologist, ode aux destins brisés sur fonds de piano mélancolique, rend un bel hommage à Daniel Darc, qu'il fait ici plus tragiquement rimer avec Needle Park. Vient ensuite The Ballad Of., véritable moment de bravoure de l'album et morceau à étages, débutant comme une ballade sombre et dépressive avant de littéralement exploser sur une sublime envolée mélodramatique convoquant autant Scott Walker qu'Annette de Leos Carax. Ce démarrage en trombe n'est en rien contrarié par You Can't Keep It From Me Forever, à l'ambiance plus festive et au rythme plus enlevé, dont le titre et les arpèges convoquent les fantômes de The Smiths.

Tantôt calmes et mélancoliques, comme sur Yes I Wear A Mask, première chanson composée par le duo, ou The Monster, évoquant ce monstre qui nous guette quand tombe la nuit et que s'ouvre la ville et ses tentations ; tantôt presque guillerets et conquérants comme sur Rock&Roll Alchemy ou Keeping Me On File, les titres de haut niveau s'enchaînent. Il n'y a guère que Invictus pour légèrement décevoir, souffrant de la comparaison avec les autres morceaux. Ce n'est pas le cas de The Glassblower, où Doherty évoque les rues de Whitechapel avant que les grandes enseignes ne remplacent définitivement les échoppes d'artisans et où Lo traduit cette nostalgie en musique à travers de subtiles arrangement de clavecin. Abe Wassenstein évoque le souvenir d'Alan Wass, grand ami et collaborateur de Doherty, mort tragiquement en 2015 sur un folk classique à la Dylan. L'album se clôture sur Far From The Madding Crowd, élégant piano-voix, sur lequel Doherty se demande ce que devient un musicien qui n'a plus nulle part où se produire.

Malgré sa grande variété stylistique, une cohérence globale se dégage de l'album. Au-delà de ses évidentes qualités, une écriture cinglante, des compositions inspirées et une production précise, le projet tire toute sa beauté de sa nature évanescente et éphémère. La vie va reprendre son cours, Frédéric Lo va probablement produire un album pour un artiste de variété haut de gamme et Peter Doherty écrire des chansons plus ou moins réussies, car The Fantasy Life Of Poetry & Crime, moment suspendu, parenthèse enchantée, n'est pas une renaissance mais une épiphanie.
tracklisting
    01. The Fantasy Life Of Poetry & Crime
  • 02. The Epidemiologist
  • 03. The Ballad Of.
  • 04. You Can't Keep It From Me Forever
  • 05. Yes I Wear A Mask
  • 06. Rock & Roll Alchemy
  • 07. The Monster
  • 08. Invictus
  • 09. The Glassblower
  • 10. Keeping Me On File
  • 11. Abe Wassenstein
  • 12. Far From The Madding Crowd
titres conseillés
    The Fantasy Life Of Poetry & Crime - The Ballad Of. - Rock & Roll Alchemy
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