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Peter Doherty & Frédéric Lo
PREGOBLIN

Paris, Salle Pleyel - 10 décembre 2022

Live-report par Adonis Didier

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A l'approche des fêtes de Noël, les téléfilms sur de jeunes gens avec des labradors ayant perdu foi en l'amour et en la vie se multiplient. Cette histoire, si elle n'a pas encore été déclinée en acte télévisuel à l'eau de rose, pourrait être celle d'un certain Peter Doherty. A la surprise générale, l'homme accro à la came depuis une vingtaine d'années, passé par la case prison et scandales en tout genre, se calme et arrête la drogue à la suite de sa rencontre et relation avec Katia de Vidas au sein des Puta Madres, désormais sa femme. Retour en Normandie, on troque le crack contre le pain, le saucisson, et le camembert, avant que la magie n'opère lorsque Frédéric Lo, compositeur français émérite, le rejoint avec l'idée d'écrire un album de pop-folk en noir et blanc, sur fond de gentlemen félons et d'affrontements à la canne et au chapeau.

On ne reviendra pas ici sur ce qui restera comme l'un des plus beaux albums de l'année 2022, une chronique à la hauteur du bijou ayant déjà été écrite à sa sortie par un inénarrable rédacteur. Non, aujourd'hui on poursuit le visionnage du film de Noël dédié à la rédemption de Peter Doherty, et on le retrouve en ce soir de quarts de finale de coupe du monde de football dans la somptueuse Salle Pleyel à Paris, à quelques rues de l'Etoile et des Champs-Elysées de Joe Dassin. Enfin, on arrive, on arrive... on essaye surtout. Le Maroc ayant remporté son quart de finale contre le Portugal, des ralentissements de métro pointent déjà, et les premiers feux d'artifice sont tirés devant l'Arc de Triomphe. On évite donc les blocages jusqu'à la façade art déco de la Salle Pleyel, en se demandant quelle sera la situation à la sortie.

Mais point le temps de se torturer l'esprit, car Thomas Baignières est déjà sur scène. Première première partie un peu surprise, le musicien français est seul sur scène avec une guitare et un microphone, le reste des instruments étant envoyés dans la sono via MacBook. On écoute gentiment sa musique indie-pop balançant entre La Femme et Fauve, tout en observant d'un œil les gens dans l'assemblée, et sans s'en rendre compte le menton se hausse, le sourcil aussi, et on cherche à héler un serveur portant les coupes de champagne et les petits fours. Vous l'aurez compris, l'ambiance est snob et guindée au possible, et la Salle Pleyel semble se transformer en galerie d'art contemporain du XVIe arrondissement d'un tout petit Paris, vivant plutôt bien son entre-soi. Petit choc des mondes, alors même que nombre de compatriotes hurlent actuellement dans les pubs avec la ferme intention de terrasser une nouvelle fois le briton ennemi de toujours.


PREGOBLIN, déjà entrevus lors du concert des Libertines en octobre dernier, feront office de deuxième première partie, et force est de constater que l'on n'en gardera pas un souvenir beaucoup plus convaincant qu'il y a deux mois. Toujours les mêmes deux musiciens sur scène, un chanteur aux lunettes de soleil et au manteau d'exhibitionniste ne cachant qu'un caleçon en-dessous, un guitariste légèrement plus classe (ce qui n'était pas difficile), et l'éternel manque de véritable dynamique du duo secondé par seulement quelques samples et une boîte à rythmes. Un set qui rend correctement mais sans plus, laissant toutefois une impression plus agréable, plus « clean » que celui du Zénith, dans une salle à l'acoustique évidemment bien meilleure. Tout n'est donc pas à jeter, mais après deux tentatives, on aura un certain mal à se motiver pour aller voir une troisième fois un groupe dont on n'a toujours pas très bien compris le concept.

21h. Une demi-heure à attendre, et un match de football que chacun regarde sur un téléphone par-dessus l'épaule de son voisin. La rumeur monte, certains se demandent si Pete ne va pas rester dans sa loge jusqu'à la fin d'un France – Angleterre affichant actuellement 1 partout. Mais non, l'homme a décidément bien changé, et se présente à l'heure sur scène, accompagné de sa femme Katia de Vidas au clavier, de Frédéric Lo à la guitare folk, et d'une violoniste dont on n'a que partiellement entendu le nom, nom que l'on évitera donc de massacrer au hasard. La scénographie comme la musique se font sobres, une table est dressée au centre, une chaise pour Pete, une chaise pour Frédéric, et deux verres de ce qui ressemble à du vin rouge entre les deux. Quelques spots blancs éclairent directement le devant de la scène, pendant que d'autres diffusent sur le côté pour créer une ambiance tamisée de concert intimiste dans un obscur bouge enfumé d'Étretat.


On retrouve Pete avec sa désormais traditionnelle veste en tweed gris aidant passablement à cacher son ventre rebondi de vieil universitaire bedonnant, la comparaison étant d'autant plus raide que Frédéric Lo assume de son côté un costume noir et une silhouette des plus sveltes et sèches malgré ses presque soixante ans. Les blagues sur Pete Groherty ayant déjà été faites dans un précédent live-report, on laisse maintenant place à la musique, alors que Rock & Roll Alchemy lance la première partie du main event. Seule incartade à l'ordre d'un album qui sera joué dans son intégralité et donc presque dans l'ordre, la chanson nous révèle d'entrée tout ce que ce concert sera et ne sera pas. La voix de Pete est sur le fil, fragile, douce, et belle, les sublimes lignes de violon sont magnifiées par le parfait écrin qu'est la Salle Pleyel, et pourtant quelque chose n'y est pas tout à fait. The Epidemiologist et The Ballad Of reprennent la trame de l'album, et tout d'un coup, les larmes commencent à monter, nous voilà pris par l'évènement. Le piano et le violon dansent au-dessus de nous l'un contre l'autre, enserrant la voix en rupture de Pete jusqu'à la complainte finale d'un homme au bord du désespoir, la falaise sous ses pieds, le vent battant sur son visage, les rochers et les vagues l'attendant en contrebas. Même les chamailleries de Zeus et Gladys, les deux chiens de Doherty, ne nous sortent pas de ce moment suspendu, chiens que nous ne reverront pas avant quelques chansons, histoire de les laisser se calmer.

Mais voilà que reviennent les doutes. You Can't Keep It From Me Forever, subjectivement l'une des plus belles chansons de l'année, semble étonnamment plate, bien trop en retenue et en sous-effectif. Le public que l'on a vivement critiqué essaye pourtant de bien faire en lançant des claps pour dynamiser la chanson, mais rien ne comble totalement le manque, et l'absence d'une batterie, d'un véritable socle percussif, se fait terriblement sentir. Ainsi, les émotions fortes sont au rendez-vous lors de chaque chanson acoustique, et The Monster réussit une nouvelle fois à nous tirer des larmes. De la même manière, on regrettera encore l'absence de batterie sur Invictus et Keeping Me On File, avant d'apprendre par des cris de spectateurs plus ou moins discrets le score final d'un match remporté par l'équipe de France. Pete n'étant pas dupe, il découvre le résultat entre deux chansons, alors qu'un membre du public lui offre un cigare et un maillot bleu arborant un coq et deux étoiles. Pas rancunier, il pose le maillot sur la chaise de Frédéric, prévient qu'il n'a pas le droit de fumer le cigare sur scène, sinon c'est 1000 balles d'amende, et introduit Abe Wassenstein par une anecdote au Bataclan concernant son vieil ami.


Comme on est vraiment très émotif ce soir, on a encore un peu pleuré tout le long d'une chanson terminée de la plus belle des manières, Pete allumant son cigare, et soufflant sa fumée en volutes dans la lumière pure et chaude descendant depuis un paradis très théâtral. Le déroulé de l'album se conclut sans surprise par Far From The Madding Crowd, que les deux compères interprètent seuls sur scène, avec Frédéric Lo au piano.

On aurait presque pu se laisser là-dessus, mais tout le monde revient sur scène afin d'entamer un pot-pourri de reprises servant de rappel et de moment légèrement improbable. Pete et Frédéric discutent directement sur scène, se demandent quelle chanson jouer, ratent un lancement, reprennent à l'emporte-pièce comme un jongleur alcoolisé et rigolard. Suite à une demande public, c'est la chanson à la base de leur collaboration, une reprise en anglais du Inutile et Hors d'Usage de Daniel Darc composée par Frédéric Lo, qui sera jouée en lieu et place de Femmes Fatales, si l'on en croit la setlist récupérée sur place. Les moments de flottement oscillant entre maladresse touchante et petite gêne se multiplient, Pete remercie Katia pour tout ce qu'elle a fait pour lui, avant d'annoncer que celle-ci est enceinte de leur premier enfant. Arcady remet un petit peu de vie dans la salle, et on note encore qu'il n'y a décidément pas de batterie, avant que Salome ne boucle majestueusement un concert inégal, dans une version violon et guitare, sombre et bleutée, propageant à nouveau quelques frissons dans l'assemblée.

Un concert de Peter Doherty en 2022 est donc à l'image de son personnage principal : parfois sublime, parfois gauche, un élément inégal et dysfonctionnel dont les bas sont descendus très bas, mais dont les hauts touchent à une forme de sublime que peu de musiciens peuvent se vanter d'avoir déjà atteinte. En conclusion, et si on devait n'espérer qu'une chose de leur part, c'est de revoir ce duo avec plus de chansons personnelles, un set plus dense, un Pete peut-être un peu plus fit, et, vous l'avez deviné, une foutue batterie !
setlist
    PREGOBLIN
    Non disponible

    Peter Doherty & Frédéric Lo
    Rock & Roll Alchemy
    The Epidemiologist
    The Ballad Of
    You Can't Keep It From Me Forever
    Yes I Wear A Mask
    The Fantasy Life Of Poetry & Crime
    The Monster
    Invictus
    The Glassblower
    Keeping Me On File
    Abe Wassenstein
    Far From The Madding Crowd
    ---
    Half A Person (The Smiths Cover)
    Obscur Objet du Désir (Frédéric Lo Cover)
    Inutile et Hors d'Usage / Without Use And All Used Up (Daniel Darc Cover)
    Arcady (Peter Doherty Cover)
    Salome (Peter Doherty Cover)
photos du concert
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