Daniel Avery

En dix ans et quatre albums, Daniel Avery s'est imposé comme un des DJ électro les plus influents et respectés du Royaume-Unis tout en conservant son éternel statut d'outsider, formé par les guitares saturées de The Stooges et My Bloody Valentine plutôt que par les boîtes à rythmes Roland TR-808. Le natif de Bournemouth présente son cinquième opus, Ultra Truth, comme « un retour à ses inspirations adolescentes, faites des disques pensifs et émotifs des Deftones, Portishead, Nick Cave ou Mogwai, de films noirs, ainsi que de l'énergie tonitruante de la musique rave », tout en précisant qu'il a souhaité « regarder directement dans les ténèbres et non s'en éloigner ».

Ultra Truth, album nocturne et vénéneux, dense et intense, n'en est pas moins doux et accueillant. D'ailleurs, de la douceur, New Faith, en a à revendre. Ce titre d'ouverture lent et minimaliste, uniquement composé de quelques notes de piano se distordant au fur et à mesure, infusant à cette tendre mélopée un troublant parfum anxiogène, fait de l'œil à l'univers musical et sensoriel du génial (au sens le plus littéral du terme) Ryūichi Sakamoto. Le morceau se clôt par un court texte lu d'une voix blanche, invitant l'auditeur à lâcher prise et à se laisser emporter dans l'univers singulier de Ultra-Truth : « Beyond the silent shadow, under the weight of a collapsing sky, close your eyes and look at the light ». Cet album sera donc exigeant et déroutant, parfois même insaisissable, et nécessitera d'y accorder un peu de temps de cerveau disponible. Une fois ce petit effort accompli, vous embarquerez pour un fascinant trip mental, aussi jubilatoire qu'un film de David Lynch, référence fièrement revendiquée par l'anglais.

Daniel Avery sait néanmoins se rendre accessible, notamment lorsqu'il emprunte sa voix électro-pointilliste à la Four Tet sur les solaires Ultra Truth, Spider, Heavy Train ou encore Lone Swordsman, avec lequel Dany le bougre rend hommage au regretté Andy Wheatherhall, disparu il y a deux ans et DJ précurseur de l'acid house UK du début des années 90, créateur du son de Screamadelica (et si c'était lui le vrai génie de Primal Scream ?) et producteur émérite de quelques humbles orchestres locaux tels que New Order ou Happy Mondays.

Sur des morceaux plus violents d'influence rave voire drum n'bass comme Devotion ou Higher, Daniel Avery prouve qu'il sait également sortir les griffes et montrer les crocs. Si les déferlements de breakbeats saccadés écorchent les tympans, la puissance émotionnelle et l'inventivité formelle de ces missives en font de véritables points d'orgues de l'album, un peu comme les explosions subites d'ultraviolence dans les films cotonneux de Nicolas Winding Refn, autre grand maître de la terreur ouatée.

Les plages ambient et atmosphériques, The Slow Bullet, Ache, Collapsing Sky et Overflowing With Escape viennent contrebalancer ces poussées d'hormones et offrent des instants de répit sans toutefois faire retomber la pression. Wall Of Sleep, Only et Near Perfect, où sont respectivement invités à tenir le micro HAAi, Jonine et SHERELLE, développent de belles et bienvenues mélodies et infusent un parfum 90'S redonnent vie avec brio à un trip hop organique, suintant et déviant à la Tricky. Pour finir, l'anglais invite Kelly Lee Owens et HAAi, deux des plus fines lames de l'électro au féminin, sur Chaos Energy, où les beats viriles des productrices s'associent à merveille à sa toute féminine mélancolie.

Il y a mille et une raisons de passer à côté de Ultra Truth de Daniel Avery, album complexe et pas tape-à-l'œil d'un artiste ayant largement fait ses preuves, et qui à la première écoute ne semble pas révolutionner son œuvre. Il y a en a pourtant mille et une fois plus d'y plonger tête baissée et de se laisser porter par cet envoûtant voyage qui semble étendre à l'infini sa gamme chromatique et délivrer à chaque écoute de nouvelles pistes de lecture.