Chronique Album
Date de sortie : 31.10.2025
Label : Domino Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 27 octobre 2025
Point mercato. Plus inattendu que le départ de Kylian Mbappé au Real Madrid et plus réussi que celui de FlorianWirtz à Liverpool, le transfert de Daniel Avery de Phantasy Sound, son label de toujours, vers Domino Records, marque un vrai tournant dans la carrière du petit prince des platines. Celui qui fut longtemps l'élève modèle d'Erol Alkan s'émancipe ici du cadre électronique pur pour s'aventurer dans un territoire hybride, où la techno se rêve en rock, où les guitares disputent la place aux synthés et où la saturation devient structurelle. Depuis ses remixes pour The Cure et English Teacher et son projet Demise Of Love avec Ghost Culture et Sydney Minsky-Sargeant (Working Men's Club), le virage était amorcé. Tremor vient l'acter, frontalement. Le disque ne cherche plus à faire danser, mais à faire vibrer. On pourrait parler d'album électro-rock, ou plus justement de rock électronique, un disque qui, plutôt que d'habiller le rock de machines, infuse la techno d'électricité organique.
Le mix confié à Alan Moulder (Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails) et David Wrench (fka Twigs, Frank Ocean) place Tremor dans une autre ligue. Son ampleur cinématographique, sa spatialisation chirurgicale et ses textures industrielles rappellent la grande époque du son Nine Inch Nails / Alan Moulder, un chaos sous contrôle, massif mais parfaitement poli. Pour le meilleur et pour le pire. Car si cette maîtrise confère à l'ensemble une puissance évidente, elle en atténue parfois la fièvre. Là où la jeune garde actuelle (YARD, Chalk, Mandy Indiana, The Null Club, Gilla Band) cherche la violence du réel, Daniel Avery opte pour la beauté du tremblement domestiqué.
Ce lissage n'empêche pas l'album d'impressionner par sa densité et son éclectisme. Cecile Believe, Alison Mosshart, bdrmm, Julie Dawson (NewDad), yeule, yunè pinku et Art School Girlfriend viennent tous prêter leur voix à ce théâtre des métamorphoses. Mention spéciale à Andy Bell (Ride), dont la guitare illumine Rapture In Blue. L'ouverture Neon Pulse plante une atmosphère suspendue, presque ambient. On respire encore. Très vite, Haze (avec Ellie) ou Greasy Off The Racing Line (avec Alison Mosshart) plongent dans une industrialisation lourde, huilée, où les machines grincent comme des pistons. A Silent Shadow (avec bdrmm) et Disturb Me (avec yeule) sonnent comme deux pics abrasifs de cette tension, entre shoegaze et trip-hop métallique. En contrepoint, Rapture In Blue, The Ghost Of Her Smile et I Feel You installent une douceur presque pop, artificielle, comme si Daniel Avery avait voulu ménager des halos de lumière dans la suie. Enfin, Until The Moon Starts Shaking et A Memory Wrapped In Paper And Smoke viennent réintroduire l'apesanteur, cette part contemplative sans laquelle le disque deviendrait étouffant.
Malgré sa diversité, Tremor garde une ligne directrice claire, faire cohabiter l'éclat du métal et la caresse de la réverbération. C'est un disque dense, peut-être trop. L'impression domine parfois sur l'émotion, la forme sur le fond. Mais difficile de ne pas saluer l'ambition et la rigueur d'un artiste qui, à quarante ans passés, préfère encore se réinventer que s'installer dans son confort club.
Alors oui, Tremor est trop bien packagé, presque nostalgique dans son esthétique fin 90's. Mais on y entend surtout un artiste qui, fidèle à lui-même, refuse le repos. Entre les nappes ambient et les riffs saturés, il explore sa propre zone de friction, celle où le corps et la machine ne savent plus qui guide l'autre. En résulte un disque impressionnant, parfois froid mais souvent superbe.