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Kerala Dust

Violet Drive

Kerala Dust - Violet Drive
Chronique Album
Date de sortie : 17.02.2023
Label : [PIAS]
45
Rédigé par Adonis Didier, le 18 février 2023
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Vous vous réveillez. La pièce vous est inconnue. Une odeur de poivre. Des cocotiers gonflables. La plage devant vous. Vous vous cognez en cherchant à l'atteindre, car celle-ci n'est que peinte en trompe l'œil sur le mur. A gauche, une grande fenêtre. A droite, une porte fermée. Derrière vous, de l'autre côté de la pièce, une grande affiche. Kerala Dust. Une voiture, un genre de Cadillac rouge, en feu, éclatée contre un arbre, en feu lui aussi, au milieu du désert. Vous lisez plus avant les notes en bas de l'affiche :

« un troisième album aux allures de chef d'œuvre, pour le trio de clubbers londonien désormais basé à Berlin »
« une fusion hypnotique entre le meilleur du trip-hop et un blues halluciné, défoncé jusqu'à la pointe des cheveux »
« Portishead dans la vallée du soleil, de nuit, sous acide »

Encore hébété, vous cherchez un moyen de sortir de cette étrange pièce. Vous dirigeant de nouveau vers les cocotiers gonflables, vous vous rendez compte que les noix de coco sont, elles, tout à fait véritables. Vous pensez à casser la fenêtre avec pour vous échapper. La porte fermée retient aussi votre attention. Si vous décidez de briser la fenêtre à l'aide d'une noix de coco, rendez-vous en piste 1 : Moonbeam, Midnight, Howl. Si vous préférez tenter de forcer la porte, rendez-vous en piste 11 : Engel's Machine. Si vous êtes déjà fatigué de ce ridicule petit jeu, foncez directement à la fin et rejoignez la piste 12 : Fine Della Scena.

Piste 1 : Vous cassez la fenêtre à l'aide d'une noix de coco. Le bruit de verre est remplacé par le hurlement d'un loup, alors que le clair de lune s'étend de tout son long sur votre visage. De la lumière de la lune provient une rythmique house-électro ivre, aux mouvements lents, aux basses puissantes, aux guitares funky. Vous n'aviez rien demandé à la lune, mais vous la remerciez quand même, alors que vous descendez par l'un des palmiers bordant la fenêtre. En arrivant en bas de ce qui ressemble à un vieil hôtel de passe mexicain, tout peint de rouge ocre et de grandes lignes blanches, vous apercevez une voiture dont le moteur tourne, vitres ouvertes, clés sur le contact. Un genre de Cadillac rouge. Si vous vous introduisez dans la voiture, rendez-vous en piste 2 : Violet Drive. Si vous décidez de l'ignorer, et préférez marcher en direction du désert, rendez-vous en piste 7 : Salt.

Piste 2 : Bien assis au fond du rutilant véhicule, vous faites ronronner le moteur en appuyant de plus en plus fort sur l'accélérateur. Mis en confiance, vous allumez la radio et commencez à rouler dans la nuit noire. Le beat techno s'accompagne cette fois-ci de bends bluesy de guitare et de ouh ouh laa laa susurrés d'une voix grave et sensuelle. Hypnotisé, vous fermez les yeux au moment même où un loup surgit sur la route aride. Habile, vous parvenez tout de même à l'esquiver, ce que vous ferez nettement moins bien vis-à-vis de l'arbre venant lui aussi de surgir devant vous. Dommage, c'était le seul à des kilomètres à la ronde. Si seulement vous aviez écouté la pochette...

Piste 3 : En entrant dans la pièce, dont la lueur rouge provient en fait de l'ouverture située au fond de celle-ci, vous apercevez trois hommes, apparemment en séance de répétition musicale. Le premier, un grand rouquin moustachu, Edmund, se tient devant un microphone, une console de mixage et un ordinateur à son côté. Harvey, un petit brun, l'air beau gosse, barbu, pianote derrière son clavier, tandis que son némésis, Lawrence, un grand blondinet imberbe à la mâchoire carrée, se tient face à lui avec dans les mains une guitare. Surpris par votre entrée, ils vous indiquent que la princesse est dans un autre château, pardon, que la sortie est dans une autre pièce, et vous enjoignent à suivre la lumière rouge derrière eux. Rendez-vous en piste 4 : Red Light.

Piste 4 : La salle dans laquelle vous entrez est constellée de tourne-disques, dont la diode rouge allumée indique le fonctionnement actif. Un nain en costard, rouge lui aussi, vous attend, claquant des doigts, dansant avec lui-même. Vous l'ignorez, et cherchez d'où vient ce son, cette musique que vous entendez. En vain, car les murs ne sont faits que de platines sur lesquelles tourne un seul et même disque. Résigné, vous vous asseyez en tailleur pour écouter. La musique va et vient, alterne riff de guitare sur une corde et chant suave provoquant l'hypnose. Occupé à fixer un point rouge tournoyant sur le vinyle noir avec une régularité métronomique, votre esprit divague, vague, et se rend sans s'en rendre compte en piste 12 : Fine Della Scena.

Piste 5 : Une trappe s'ouvre sous vos pieds. Vous tombez, directement sur le dancefloor d'une boîte de nuit. Oh cool, de la techno ! Et puis l'ambiance a l'air sympa, jusqu'à ce que vous vous rendiez compte que vous êtes effectivement entourés d'anges, mais d'anges de la bible, plutôt old school le délire. Effrayé par ces créatures faites d'ailes et d'yeux, et d'ailes et d'yeux, s'adressant à vous en mésopotamien du sud (avec un accent en plus), vous foncez vers la sortie la plus proche, mais deux couloirs se présentent. Un air frais et sec, vivifiant, sort du premier, exhalant une légère odeur de bourgeons de pin. Si vous choisissez celui-ci, rendez-vous en piste 9 : Nuove Variazioni di Una Stanza. Le deuxième sent la sueur, ce qui ne vous change pas beaucoup, et dégage une lumière pourpre, réfléchie par le coude au fond du couloir. Si vous choisissez ce chemin-ci, rendez-vous en piste 3 : Shake.

Piste 6 : Dans le coffre ne se trouvait qu'un fusil chargé, à la détente pressée par le basculement de la tête du coffre. Ce qu'il y avait précédemment entre vos deux oreilles vient d'exploser, mais rassurez-vous, vous pouvez toujours entendre cette douce musique pleine de trémolos, aux airs de petit cabanon de chasse du bayou cajun. M'enfin, vous auriez sans doute dû vous méfier du titre !

Piste 7 : Vous marchez droit dans le désert de sel et de cailloux, jusqu'à ne plus rien apercevoir des lumières de l'hôtel derrière vous. La musique vient de se réduire au minimum. De faibles notes de guitare et de basse dans le lointain, et une voix qui semble familière. Vous apercevez de nouveau de la lumière. Vous avancez, et êtes de retour à l'hôtel que vous venez de quitter. Vous repartez en direction du désert, en faisant bien attention à ne pas dévier de votre route. La musique vous monte maintenant à la tête. Elle répète invariablement le même mot : sel. Les tambours se mêlent au mantra chamanique des guitares, usant lentement votre santé mentale alors que vous revoyez les lumières de l'hôtel disparaître pour mieux réapparaître quelques centaines de mètres plus loin. Si vous persistez à vous éloigner de l'hôtel, rendez-vous en piste 8 : Still There. Si vous tentez de longer l'hôtel jusqu'à une pièce alors cachée à votre vue, rendez-vous en piste 3 : Shake.

Piste 8 : Votre obstination maladive, contraire au dicton « y a que les cons qui changent pas d'avis », vous pousse à marcher jusqu'à ce que la soif, la faim, ou la vieillesse ait raison de vous. Mais au moins vous mourrez sur un sympathique fond de house allemande, c'est toujours ça de pris.

Piste 9 : L'ambiance est un peu lugubre. Cette nouvelle pièce remplie de sapins et de neige laisse à peine filtrer la lumière du soleil. Mais cette douce voix féminine qui dou-dou dans votre tête vous calme, et vous vous endormez, sans doute pour toujours, au pied d'un sapin, l'air heureux et frigorifié.

Piste 10 : Une trappe s'ouvre sous vos pieds. Vous tombez, pour atterrir dans un cabanon en bois usé, aux vitres cassées, un marteau et une faucille accrochés au mur, se balançant sur un clou. Les reflets violacés du soleil accompagnent le vent qui souffle par vagues distordues à travers toutes les ouvertures du vieux cabanon. Vous méprenez ça pour de la pédale wah-wah par-dessus du Portishead chanté par un mec. Ou du Tricky à la voix plus grave. Vous êtes peut-être tombé sur la tête, finalement. Vous devriez aller voir un médecin, si vous sortez un jour d'ici. Regardant par terre, vous trouvez un livre, écrit par un Américain fana d'armes à propos d'un fusil à balles explosives conçu par un général de brigade anglais à Jacobabad. En refaisant un tour de la pièce, vous trouvez un lourd coffre fermé, avec sur le dessus la même inscription, Jacobabad. L'intérieur du coffre luit comme de l'or liquide au travers des jointures et des éclats de bois. Au moment où vous vous apprêtez à l'ouvrir, un ramdam de batterie se fait entendre derrière vous. Vous remarquez une porte qui était peut-être ou peut-être pas là avant, au dessous brillant de rouge. Si vous choisissez tout de même d'ouvrir le coffre, rendez-vous en piste 6 : Jacob's Gun. Si vous vous retournez, et délaissez l'appât du gain pour un air de musique, rendez-vous en piste 3 : Shake.

Piste 11 : Vous forcez la porte. Celle-ci n'était même pas fermée. En l'ouvrant, vous débouchez sur un couloir entièrement noir abritant deux téléviseurs à tubes cathodiques, avec devant chacun d'entre eux un pupitre muni d'un gros bouton rouge au grotesque design de cartoon. Le couloir passe en fond une musique entrelaçant voix féminines et masculines dans une lente procession répétitive au beat industriel. Sur l'écran de gauche, vous apercevez deux messieurs barbus sortant d'un bar, bras dessus bras dessous, l'air prussien et éméché. Le premier vous fait penser à Karl Marx, ou à Groucho Marx, vous confondez toujours. Le deuxième, par contre, ne vous dit strictement rien. Sur l'écran de droite, vous distinguez ce que vous prenez pour des anges, plantureuses créatures à peine vêtues, pudiquement entourées d'ailes duveteuses à la blancheur immaculée. Si vous décidez d'appuyer sur le bouton de gauche, rendez-vous piste 10 : Future Visions. Si vous souhaitez plutôt voir ce que donne le bouton de droite, rendez-vous piste 5 : Pulse VI.

Piste 12 : Vous vous réveillez. La tête encore lourde, vous ouvrez des yeux déjà posés sur la LED du tourne-disque, alors que se lance la dernière chanson. Une chanson douce, déroulant le générique de fin sur quelques accords de guitare grattés avec timidité. Les noms sont appelés par les deux rôles principaux, la voix d'Edmund Kenny toujours accompagnée de la même mystérieuse jeune femme, jusqu'à ce que la guitare s'énerve, et nous rende l'effet dramatique par l'intermédiaire de déesse distorsion. La tension retombée, vous vous rendormez l'esprit serein, heureux que tout cela n'ait été qu'un rêve, et conscient que vous venez d'écouter un album comme il en existe peu, un monolithe à l'identité propre et au talent sans faille, dont les écoutes répétées ne font que renforcer l'addiction à cette drogue hallucinogène délicieuse qu'est la poussière du Kérala.
tracklisting
    01. Moonbeam, Midnight, Howl
  • 02. Violet Drive
  • 03. Shake
  • 04. Red Light
  • 05. Pulse VI
  • 06. Jacob' Gun
  • 07. Salt
  • 08. Still There
  • 09. Nuove Variazioni di Una Stanza
  • 10. Future Visions
  • 11. Engel's Machine
  • 12. Fine Della Scena
titres conseillés
    Future Visions, Salt, Pulse VI, Red Light
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