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Kerala Dust

Paris, Trabendo - 18 mars 2023

Live-report par Adonis Didier

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Il est difficile de décrire un concert de Kerala Dust tant l'instant, à l'instar de leur musique, se vit plus qu'il ne se raconte. Mais quand on a dit ça on a tout et rien dit, alors autant commencer par le commencement, vous le connaissez, le classique, l'immuable, le point météo. Nous sommes donc mi-mars, et la douceur fait son retour à travers les rayons de soleil qui parcourent les rues de Paris. Des rues où gambadent paisiblement nombre de rats qui auront bientôt la corpulence de tortues ninjas adultes, et téma la taille du surmulot se dit-on tout en empruntant des couloirs de métro arborant incitations à la grève et insultes au président, les deux étant le plus souvent liés, parfois avec esprit, bien plus souvent sans. Mais tout ça pour en arriver où ? Tout ça pour en arriver au Trabendo ma bonne dame, car on n'allait quand même pas rater le passage parisien de mes chouchous personnels du début d'année, les ni bien ni mal nommés Kerala Dust.

Une semaine après avoir accueilli beabadoobee, j'en viens à croire que les programmateurs du Trabendo sont abonnés à mon compte Instagram, mais l'idée n'est ici pas de parler de moi et de mon influence hors normes sur la musique anglo-saxonne, même si vous l'aurez compris je pourrais facilement vous en écrire environ quatre-cent pages de plus. Kerala Dust donc, auteurs en ce début d'année 2023 d'un fabuleux album de trip-hop électro, un voyage entre sensations techno house et prise de stupéfiants dans un désert de sel mexicain, une ode au chamanisme industriel et au plaisir de sniffer du revêtement pour coque de bateau.


Le voyage live débute ainsi par Nuove Variazioni di une Stanza en fond sonore, alors que le groupe rentre sur scène dans la nuit noire enfumée. Une première introduction au nouvel album, mais c'est par ses anciens amours que le groupe va réellement lancer le concert. Cinq minutes d'électro-house, la voix grave d'Edmund Kenny qui a, malheureusement pour nous, rasé sa fantastique moustache rousse, et la volonté immédiate de faire de cette soirée un hybride entre un concert classique et une soirée techno en provenance directe de leur Berlin d'adoption. Le public danse, se prend sans discrétion tout un tas de substances dont nous tairons le nom, va se chercher une bière au bar, ça se drague, ça se choppe, et voilà le Trabendo transformé comme jamais, revêtant ses plus beaux habits de boîte de nuit.

Délaissant momentanément sa table de mix, Edmund enfourche une basse, jette un œil à Harvey Grants aux claviers à sa gauche, l'autre œil à Lawrence Howarth à la guitare sur sa droite, et entame le riff de Jacob's Gun, deuxième introduction à l'album sorti il y a seulement un mois. Devant choisir entre leur âme de DJ de night club et celle de vieux bluesman halluciné, le groupe préférera n'en faire qu'à sa tête, et la chanson balancera tout du long entre clavier fou, samples aspirés puis relâchés par la console, et solos de wah-wah vivant sa plus belle vie dans les paradis artificiels. Moonbeam, Midnight, Howl force encore le côté tech house, Edmund agite les bras derrière sa table comme le meilleur David Guetta, et les premiers drops de beat viennent embraser un public déjà bien chaud et venu pour danser. Les chansons s'enchaînent, les scénographies et l'ingé lumière aussi. Violet Drive en violet, Red Light en rouge, Salt au sommet du trip de LSD, on navigue dans la brume, on crache dans les dunes, on flashe sur la brune, plus très sûr d'être encore à Paris, mais si, Still There.


Le groupe place au passage une ou deux de ses anciennes compositions pour renforcer l'aspect club, mais quand on a dans son arsenal une chanson comme Pulse VI, l'effort était-il vraiment nécessaire ? Dernier break, Edmund baisse la musique, et chante de sa voix grave en incitant le public à l'accompagner, à crier, ou à toute autre action visant à nous mettre le feu et faire le plus de bruit possible : "I'd love to leave in winter, the clock keeps ticking and the calm won't come". La descente de coude est brutale, la musique tombe en parpaings sur nos têtes comme un certain mur il y a trente-quatre ans, la foule explose, l'ovation ne s'arrêtera pas de sitôt. Future Visions complète le concert dédié à l'album Violet Drive, le groupe se retire, le Trabendo hurle toujours.
Et puis, Kerala Dust reviennent sur scène, bien posés dans leur Trabendo, pour un rappel qui ne va être que kiff et électro envoyés à balle dans les subwoofers. Les basses font vibrer la cage thoracique, les stroboscopes découpent l'espace, la wah-wah se charge du temps qui s'étire dans la fumée, le monde est loin, le monde n'est plus qu'un amas de vapeur pourpre derrière lequel le groupe se cache, disparaissant derrière sa musique. On ferme les yeux, ils ne sont plus nécessaires, car le son porte en lui-même des formes et des couleurs interdites à notre simple enveloppe charnelle. Oubliant tout tracas matériel jusqu'au besoin d'entendre avec les oreilles, notre âme s'insinue directement dans la sono jusqu'au clap final. Un clap final qui verra le groupe réapparaître pour longuement saluer son public, et dissiper les dernières vagues de fumée qui fait voir des choses rigolotes.

Huit-cent-quatre-vingt-dix mots pour raconter quelque chose qui ne se raconte pas, la promesse n'était finalement pas plus solide qu'un programme politique, mais n'y prêtez pas attention, car la vérité est ailleurs. En effet, la vérité se trouve dans la poussière soulevée par le passage du ghettoblaster psychédélique Kerala Dust sur toutes les scènes d'Europe, pour un show qui ne s'embarrasse jamais de choisir entre trip-hop, blues, et électro, tant le mélange des trois semble aussi naturel que de verser du caramel brûlant sur une tarte aux pommes.
setlist
    Non disponible
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