Daughter

L'attente fut longue, très longue même. Six ans après Music From Before The Storm, la bande originale du jeu vidéo du même nom, on peut même considérer que c'est depuis 2015 et Not To Disappear que l'on attendait un vrai nouveau disque de Daughter. Aussi, c'est peu dire que ce Stereo Mind Game a une saveur toute particulière, d'autant qu'il aurait pu ne jamais voir la lumière du jour, tant les relations au sein du groupe sont devenues compliquées. Réalisée entre Londres, Portland et San Diego, l'écriture de ce nouveau disque a débuté en 2019 pour finalement aboutir en ce mois d'avril 2023.

Bien sûr, on n'oublie pas l'album d'Elena Tonra, Ex:Re, paru en 2018. Un disque très intimiste où la chanteuse nous comptait la souffrance qu'elle a vécu suite à une relation qu'on qualifiera de toxique. Son album solo était davantage connoté électro que les précédentes livraisons du groupe, aussi, quelle tournure allait prendre ce Stereo Mind Game ? Celui-ci débute avec Intro, un morceau presque instrumental de moins d'une minute, où des sonorités électroniques montent accompagnées par une poussée vocale d'Elena à sa fin. Tout cela semble s'apparenter à un réveil, à une sortie de rêve ou peut-être même à une reprise de respiration avant un retour à la surface. Et puis la magie opère immédiatement avec l'éblouissante Be On Your Way, remplie de nostalgie. On retrouve l'univers de Daughter, ce son éthéré, la voix délicate d'Elena et on se laisse bercer par cette mélodie teintée de tristesse et d'amour.
Ce troisième véritable album tourne autour de ces éléments dans quasiment l'intégralité de ses douze compositions. D'une manière volontaire ou pas, on sent la connexion avec l'album solo d'Elena Tonra. Party mêle le meilleur et le pire pour la chanteuse : « I fear the time wipe out for fear that I'd forget the worst night of my life or even worse, the best ». Ces mots démontrent l'effet destructeur que cette relation a pu générer au fin fond de la chanteuse, le tout sur une mélodie de toute beauté.

Le rythme de Dandelion, ses guitares et sa basse donnent à la composition, une mélancolie immensément forte. Mais c'est Neptune qui nous entraîne dans une tristesse insondable. De sa voix sublimement touchante, l'Anglaise nous met les larmes aux yeux lors d'un passage à l'instrumentation minimaliste: « I have never hurt so badly, writhing laughing laughing laughing, dying dying dying laughing, louder louder louder louder, all imploded in my mind, I'm hiding all inside ». La puissance des mots, la manière de les délivrer et l'orchestration qui suit ce moment, où la voix d'Igor Rafaeli vient se conjuguer à celle d'Elena Tonra font de ce moment un des plus beaux joyaux de Stereo Mind Game. Fort heureusement, tout ne sera pas aussi émotionnellement triste sur le disque. Après cette plongée douloureuse, le rythme et la mélodie de Swim Back nous redonnent le sourire.
Junkmail est un moment plus axé électro mais non dénué de bouleversement. On se sent immergé dans une tentative de retour à la vie d'une personne follement blessée dans sa vie. Future Lover serait donc la suite logique à cette renaissance, avant une replongée vers des moments toujours graves et difficiles. L'interlude Missed Calls parle beaucoup de rêves, sur une envolée musicale qu'on peut rapprocher de celle de l'intro de l'album. Et comme en réponse, Isolation puis To Rage nous replongent dans ce sentiment d'échec qui semble animer la chanteuse. Le final de cet album retournant inévitablement vers cette nostalgie de revivre juste un moment simple après de l'être inlassablement aimé.

Touchant littéralement la grâce par moments, Daughter nous emmènent pour un voyage musical incroyablement saisissant. On n'imaginait pas connaître autant d'émotions avec Stereo Mind Game qui passe de la lumière aux ténèbres et vice versa. L'attente fut longue mais elle en valait tellement la peine. Tient-on déjà là l'album de l'année ? Il est encore tôt pour le dire mais on sait déjà que ce disque occupera une place très particulière dans notre cœur.