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King Creosote - I DES
Chronique Album
Date de sortie : 03.11.2023
Label : Domino Records
35
Rédigé par Adonis Didier, le 3 novembre 2023
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I DES. MMXXIII. Comme sur une plaque commémorative ou une pierre tombale, gravé dans l'immaculé marbre blanc. Une signification absconse, référence à son ami producteur et co-compositeur Derek O'Neil, aka Des Lawson of Blantyre (qui n'est pas mort, j'ai vérifié), et une référence aux ides romaines, jour coupant le mois en deux, le tout sur un marbre d'enterrement, expression du début de la fin, ou de la fin du début.

En effet, King Creosote, fieffé écossais de Fife nommé Kenny Anderson au civil, n'est plus un petit jeune dans le monde de la musique. Cinquante-six ans, des dizaines d'albums et de collaborations listés depuis la fin des années 90, dont le très remarqué Diamond Mine avec Jon Hopkins, et étonnamment plus rien depuis 2016, si ce n'est deux chansons datant du confinement : Walter de la Nightmare et Susie Mullen. Un diptyque surprenant alliant une sublime ballade post-folk et un exercice de synthpop façon Pale Blue Eyes sur une même sortie, et pour nous une question : le King sait-il encore où il va, ou le King a-t-il juste envie de vadrouiller ?

Et c'est ainsi qu'en l'an MMXXIII débarque en chiffres romains un nouvel album de King Creosote, album à la fois somptueux et déstabilisant, porté sur une subtile et pudique idée du deuil et de la tristesse, un album à la fois hanté par la mort, par l'âge, et par des envies d'expérimenter s'insérant plus ou moins bien dans l'ensemble. De cette façon, le disque s'articule en majorité autour de chansons aux orchestrations raffinées posées sur des beats électro minimalistes se faisant oublier derrière la geste des violons, les délicats accords de guitare folk, et la voix éraillée et nasale de Kenny Anderson. It's Sin That's Got Its Hold Upon Us revisite ainsi les péchés capitaux et la nature humaine, Blue Marbled Elm Trees repasse le film d'une vie bien vécue et soutenue par des harmonies vocales angéliques, Burial Bleak dépeint la peur de mourir, la loterie de la vie, par-dessus une lente procession d'orgue et de cérémonielles mélodies d'accordéon, avant de conclure ce quatuor introductif par Dust et son rappel que nous ne sommes que de la poussière destinée à redevenir poussière.

Une bonne dose de thèmes fun mènent au duo de singles déjà évoqué, Walter de la Nightmare / Susie Mullen, la première s'insérant à merveille dans la dynamique de par ses paroles mystérieuses, nervaliennes, et son aspect folk mélodique agrémenté de légères notes de banjo rappelant Sparklehorse. Pour la deuxième, le constat est plus contrasté, tant la chanson détonne dans cette synthpop enfantine aux chœurs modifiés façon Crazy Frog (vous l'aviez oubliée cette grenouille, hein !). Mais pas d'inquiétude, la fête foraine ne durera pas, et Love Is A Curse revient nous filer le bourdon de marche mélancolique, doux-amer, car si King Creosote est déprimé et inquiet, sa tristesse n'en semble que plus magnifique.
Ides et Please Come Back I Will Listen, I Will Behave, I Will Toe The Line, conclusion aussi longue à écrire qu'à écouter (treize minutes et seize secondes, quand même), referment l'album de fort belle et délicate manière, tout en nous laissant un étrange sentiment, celui que l'on arrive pas réellement à se décider pour savoir si on a aimé ou non ce que l'on vient d'entendre. A la manière d'un album de The Slow Show (ou du dernier Slowdive, mais chut, ce n'est pas moi qui l'ai dit), l'excès de longues chansons sans rythmique, débordant de nostalgie et de mélancolie, nous pousse à reconnaître la beauté de la chose sans toutefois réussir à avaler ces quarante-sept minutes en évitant l'étrange sensation de redondance, la mise en fond de la musique pendant que notre cerveau se met à penser au sens de la vie et de la mort. En toute mauvaise foi, comme un gros fan de prog-rock, je pourrais évidemment vous conter que Please Come Back I Will Listen, I Will Behave, I Will Toe The Line explose au bout de six minutes en un somptueux feu de couleurs musicales, des rouges, des bleues, des jaunes, des harmonies vocales et des guitares, des pianos électriques, la batterie qui finit par se réveiller, mais tout cela n'est-il pas un peu tard alors que l'on s'est déjà assoupi de douce mélancolie dix minutes auparavant ?

Une chronique indécise, donc, dictée par le jeunisme envers un album qui se veut d'un autre temps, I DES écrivant 2023 dans un alphabet numérique dépassé, comme pour signifier qu'ici commence le deuil d'une mort, et la célébration d'une naissance. Et ne me demandez pas de parler des trente-six minutes de bourdon et de boucles instrumentales de Drone in B#, d'une part parce qu'il n'apparaît pas sur le vinyle, et d'autre part parce qu'un Si dièse c'est un Do, et aussi parce que je ne suis pas assez vieux pour ces conneries !
tracklisting
    01. It's Sin That's Got Its Hold Upon Us
  • 02. Blue Marbled Elm Trees
  • 03. Burial Bleak
  • 04. Dust
  • 05. Walter De La Nightmare
  • 06. Susie Mullen
  • 07. Love Is A Curse
  • 08. Ides
  • 09. Please Come Back I Will Listen, I Will Behave, I Will Toe The Line
  • 10. Drone In B#
titres conseillés
    Blue Marbled Elm Trees, Burial Bleak, Walter de la Nightmare
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