Après vingt-sept ans de carrière (les tempes grisonnantes sont légion parmi les fans mais la passion reste intacte), Feeder aka Grant Nicholas et Taka Hirose se lancent enfin dans l'aventure du double album. Intitulé Black/Red, ce recueil de dix-huit titres séparés en deux fois neuf représente la fin de de la trilogie amorcée par Torpedo en 2022.
Pour rappel, Torpedo nous avait alors très agréablement surpris, n'attendant que peu de Feeder depuis quelques albums déjà, les gallois ayant cette tendance à se laisser glisser vers la pop rock FM jamais désagréable mais tellement rabâchée auparavant. Ainsi, revigoré après des mois de confinement, Grant Nicholas retrouvait ses racines alternatives et des singles tels Torpedo ou The Healing fichaient alors un sacré coup de Vans aux arrière-trains légèrement engourdis.
Dans la continuité arrive Black/Red qui poursuit dans cette veine et se frotte à l'exercice compliqué du double album. Inutile de rappeler qu'en ces temps de règne des formats courts où dépasser la minute trente de visionnage peut provoquer l'accident cérébral, proposer deux albums en un est un sacré challenge. Cependant, Feeder ayant depuis fort longtemps gagné leurs galons de valeur sûre du rock indé britannique et comptant sur une fanbase solide et conséquente, la prise de risque semblait minime et l'exercice plutôt valorisant.
Rentrons dans le vif du sujet : qu'en est il de cette écoute de Black/Red ? A défaut de décevoir les râleurs qui estiment qu'un double album est un chouilla prétentieux, surtout s'il ne s'agit pas de rock progressif ou de folk protestataire, ce nouveau disque de Feeder s'écoute très bien. La recette est basée sur tout l'opposé des albums qui ont précédé (Tallulah, All Bright Electric et un peu tous ceux des années 2010) : un bon équilibre entre morceaux pop et morceaux « montée d'adrénaline » qui puisent de-ci de-là dans les tréfonds du rock alternatif, celui où les guitares rugissent, languissent et dont les riffs s'étirent sans jamais créer le malaise. Une dualité se traduisant par la disparition de cet effet de linéarité voire d'essoufflement.
L'entrée en matière se veut énigmatique avec l'introduction toute cosmique Droids pour enchainer sur ELF, un Feeder aux ingrédients plutôt « classiques » qui fait monter doucement mais surement la température. Sans transition, nous passons à une ambiance un peu plombée et sombre sur Playing With Fire, avec ces interludes où seule la basse gronde et où, comme dans des montagnes russes, la tension monte en flèche aussi vite qu'elle est descendue quelques secondes auparavant. Premier sprint avec à la suite Sahara, Vultures et The Knock, pas vraiment originaux mais qui remplissent allégrement le cahier des charges.
Le chant de Grant Nicholas est encore et toujours l'élément apaisant, son timbre étonnamment doux se mariant parfaitement avec cette avalanche de gros son, Nicholas n'ayant jamais été un braillard, à la différence des camarades de jeu tel Simon Neil de Biffy Clyro. La touche Feeder reste cette tendance à glisser vers des morceaux plus accessibles ou posés, tel Hey You, alors que les deux derniers morceaux de ce premier disque que sont Perfume et Al.m^n apportent comme une couche supplémentaire d'intensité avec leur musicalité un brin ténébreuse, qui sous certains aspects nous remémore Porcupine Tree. La partie noire de ce Black/Red se veut donc une montée en puissance constante et aurait pu former un tout en elle-même.
Mais ici, Grant et Taka ont probablement souhaité pousser leurs limites au-delà de leur zone de confort. Ainsi, s'enchaîne la partie rouge de cette odyssée fiévreuse avec Sleeping Dogs Lie qui repart de plus belle. Suivent alors quelques morceaux qui retombent un peu dans la facilité, Scream, Submarine et le très FM compatible Lost In The Wilderness qui embrassent quelques raccourcis pop rock musclée dont on aurait pu se passer. Mais nous ne pouvons pas blâmer le groupe qui, à ce stade du disque, nous a déjà servi une sacrée dose d'adrénaline. Nous profiterons donc de ces titres pour proposer une petite pause à nos palpitants avant d'entamer la dernière ligne droite qui débute avec Memory Loss, où l'on retrouve un peu plus de subtilité tant dans le chant que dans les accords plus mélodieux. On passera rapidement sur Unconditional qui nous paraît un peu anecdotique dans cet enchaînement avec ses chœurs un peu poussifs pour finir sur le bouquet final composé de Here Comes The Hurricane qui trouve toute sa raison d'être avec ce seul titre, la ballade rock et élégante Soldiers Of Love où l'on visualise déjà les hordes de fans reprendre en cœur le refrain avec Grant sur scène, et enfin Ghosts On Parade et son côté atmosphérique qui offre une belle grandeur au tout.
Après ce petit marathon, les impressions sont très positives. Un double album n'est généralement pas l'apanage des groupes à pogo, l'instantanéité étant plutôt leur fond de commerce pour plus d'efficacité. Mais ici, le résultat est des plus réussi : hormis quelques pistes un peu plus dispensables, on ne zappera aucun des morceaux de ce Black/Red qui forme un tout cohérent et replonge allégrement dans les racines du groupe à l'époque où ses membres d'origine semblaient encore totalement insouciants et dont l'énergie était inépuisable. Preuve de qualité, le fan de longue date retrouvera l'excitation des premiers jours qui a beaucoup trop longtemps fait défaut a Feeder, et permettra au groupe de rallier à sa cause tout un tas de nouveaux fans en herbe lors de leur passage à Paris en septembre prochain.
tracklisting
CD1
01. Droids
02. ELF
03. Playing With Fire
04. Vultures
05. Sahara
06. Hey You
07. The Knock
08. Perfume
09. Al.m^n
CD2
01. Sleeping Dogs Lie
02. Scream
03. Submarine
04. Lost In The Wilderness
05. Memory Loss
06. Unconditional
07. Here Comes The Hurricane
08. Soldiers Of Love
09. Ghosts On Parade
titres conseillés
Playing With Fire, The Knock, Perfume, Sleeping Dogs Lie, Ghosts On Parade