Chronique Album
Date de sortie : 20.09.2024
Label : Young
Rédigé par
Franck Narquin, le 16 septembre 2024
Ils sont partout ! Contrairement à ce que pensent Aymeric Caron, Thomas Portes et Dieudonné, nous parlons ici des anciens membres de The xx, à savoir Romy, Oliver Sim et Jamie xx. Depuis la pause du trio, nous avons droit à trois fois plus de bonheur tant chacun trace en solo une route aussi personnelle qu'inspirée et toujours couronnée de succès, bien que les trois lascars ne cessent de s'inviter et de se croiser sur leurs projets respectifs. Amour et liberté, fraternité et autonomie, The xx forment ce qu'on pourrait appeler le parfait threesome musical post-moderne. On a rarement vu un groupe laisser chacune de ses composantes exprimer aussi aisément sa personnalité mais quoiqu'on dise, dans tout gang il y a un chef et le chef du gang xx se nomme Jamie.
Jamie xx occupe une place à part dans le paysage musical, voire plusieurs places. Il est à la fois au centre de la machine, en tant que poids lourd de la musique électronique britannique actuelle ainsi qu'à sa marge, son style hybride étant autant loué par les clubbers qu'adulé par les indie kids. Jamie est tout simplement partout à sa place, que ce soit dans un club électro pointu, dans une soirée étudiante, au bal municipal de Gif-sur-Yvette, en tête d'affiche d'un festival rock, en B.O d'un spot publicitaire pour voiture ou d'un film de Romain Gavras. Ce n'est même pas qu'il soit beau, pas mal certes mais ce n'est pas Ryan Gosling ou Adonis Didier, ou qu'il casse tous les jours Internet, on l'entend moins sur les réseaux que Booba, Dua Lipa ou Adonis Didier, ce n'est pas non plus l'artiste le plus avant-gardiste du monde, il n'a pas la grâce de Vegyn ni la folie de Two Shell (ndlr : qui n'est pas l'ancien entraineur du PSG). Si depuis vingt ans sa musique ne cesse de nous accompagner, c'est qu'elle incarne comme peu d'autres notre époque, à la fois hédoniste et austère, humble et follement ambitieuse. On a donc l'impression d'entendre Jamie xx partout et tout le temps, pourtant son dernier album date de 2015. Neuf ans après In Colour et ses bombes telles que Gosh, Obv ou Loud Places, place à In Waves. En voici les statistiques : le disque dure quarante-quatre minutes et quarante-quatre secondes, est composé de douze titres sur lesquels on retrouve la bagatelle de neufs invités. Les chiffres c'est bien beau mais vous en voulez plus, posons donc cette galette toute fraîche sur notre platine vinyle pour enfin découvrir, comme chez Ameoba Music, « what's in my bag? » !
Les vingt premières secondes de Wanna, titre d'ouverture, donnent le ton de l'album et nous éclairent sur les intentions de l'anglais. Voix pitchée, sirène et piano tout en réverbération, cette introduction pourrait être issue d'un disque de Paul Kalkbrenner ou de tout autre producteur respectable de house music. Alors que In Colour était venu sacrément secouer le cocotier de la musique électronique grand public des années 2010, on craint alors que Jamie ne se soit reposé sur ses lauriers et livre un disque en pilote automatique. Respirez, tout va bien se passer, car dès la première écoute on est rassuré par la qualité globale du projet tout en s'étonnant encore de son aspect un peu convenu. On se dit alors qu'il faut prendre In Waves pour ce qu'il est. Cet album n'est pas révolutionnaire, il ne fait pas avancer la house music mais il n'en est pas moins sensationnel. De retour au bureau, comme il y a peu sur la plage, dans le sable, nous restons avant tout à la recherche de sensations.
In Waves tire sa force de ses faiblesses car si on a l'impression d'avoir déjà entendu cette musique mille fois, elle ne nous a que très rarement été présentée sur un album de douze titres d'un tel calibre. Jamie ne joue pas la house de demain, mais celle de ce soir. Son son n'est pas celui des laboratoires ou des bibliothèques mais celui du dancefloor. Dédaigner cette musique mainstream et ultra-efficace mais qui ne manquera pas d'accompagner grand nombre de nos fêtes des mois ou des années à venir s'avèrerait une approche aussi biaisée que celle valant à mépriser une comédie populaire nous faisant mourir de rire à chaque réplique. On se dit vite que si l'album ne devrait pas figurer dans notre top 10 de fin d'année, il tournera certainement en boucle lors du réveillon du 31 et que si The xx étaient une machine à panser (les plaies), Jamie xx est désormais une machine à danser (let's play). On verra-ci-après que cette première impression, sur laquelle de nombreux auditeurs risquent de rester, pourrait bien être contredite par une analyse approfondie et des écoutes successives et que sous un vernis accueillant et un brin trop propret se cache peut être une œuvre d'une bien plus grande complexité. Toute ressemblance avec Brat de Charli XCX n'est pas fortuite, car si les deux disques n'ont musicalement presque aucun point commun, leur manière de masquer le travail sous les paillettes, de rechercher l'innovation dans la production plutôt que dans les mélodies et surtout de s'inscrire avec une irrésistible force dans le présent, voire dans l'instant, font de ces deux œuvres des témoignages uniques de ce que peut être l'Angleterre de 2024.
On trouvera dans In Waves des bangers rentre-dedans tels que Treat Each Other Right et Baddy On The Floor, de la disco-pop rappelant le style de Romy en solo sur Life chantée par Robyn ainsi que la fameuse mélancolie estampillée The xx avec The Feeling I Get from You et bien entendu Waited All Night où l'on retrouve Romy et Oliver Sim, actant ainsi la reformation du trio le temps d'une chanson et ce pour des motifs purement amicaux et artistiques sans aucun lien avec le jugement de divorce de Noel Gallagher. On ressent fortement l'influence de BICEP sur plusieurs morceaux dans la veine house planante et mordante de leur excellent dernier LP Isles. Cette influence a été parfaitement digérée et produit certaines des plus belles réussites de l'album comme Still Summer, l'interlude Every Single Weekend, le tubesque All You Children en duo avec The Avalanches (dont l'album de 2001 Since I Left You, chef d'œuvre révolutionnaire, n'a pas pris une ride) ainsi que sur le monumental Falling Together, morceau de clôture porté par la voix de la danseuse irlandaise Oona Doherty, connue pour son travail puissant et radical atour des stéréotypes masculins des banlieues.
On se retrouve quelque peu décontenancé lorsqu'au milieu de ce déluge de voluptueuses sucreries, l'anglais nous propose Breather, unique titre sombre, lent et un tant soit peu exigeant. Le morceau a beau être excellent, on réalise que composer des bombes dancefloor de l'ampleur de celles qui nous nous ici offertes est loin d'être un exercice aisé et que si avec douze Breather, In Waves bénéficierait d'un plébiscite critique encore plus massif, la voie prise par l'artiste sur cet album est peut être celle de la réelle prise de risque. A première écoute on peut être tenté de prendre ce disque de haut, blasé par autant de déjà -vu, pourtant on ne cesse de vouloir y retourner encore et encore. Notre corps le réclame sans que notre cerveau ne sache vraiment pourquoi. S'il se danse plus qu'il ne se pense c'est justement peut-être parce qu'il a été pensé à l'extrême et que derrière son apparence de boule magique, ces bonbons multicouches et multicolores, se cache peut-être une bombe à retardement. On croit monter dans un parc d'attraction bien rodé, connaitre d'avance aussi bien le chemin que la destination, avant de réaliser tour après tour que ce petit train n'a de cesse de sortir des rails pour s'aventurer ailleurs et higher jusqu'à nous emporter tout en haut. Et si plus qu'un gentil produit préfabriqué, In Waves était tout simplement un pur chef d'œuvre overground ?
Tout doux sur les superlatifs ! Je sais que vous aimez l'emphase mais que vous lui préférez les démonstrations factuelles. Même si l'homogénéité et la qualité des douze titres sont indéniables, même s'il est difficile de citer de tête un album de dance music aussi efficace, imparable et inventif de bout en bout et même si la richesse et l'originalité de la production rendent cet album d'une surprenante longueur en bouche permettant de s'y replonger sans jamais se lasser, cela ne suffit pas à qualifier cet album de chef d'œuvre. Son appréciation finale se doit d'être pondérée par son manque d'originalité et sa tendance à reprendre les tendances actuelles à son compte sans inventer aucune forme nouvelle. Il faudrait au moins qu'un titre frappe par son caractère résolument novateur pour accéder à un tel titre de noblesse.
Les chiffres c'est bien beau, mais si vous savez compter, nous avons jusqu'ici parlé de onze des douze morceaux de In Waves. Il nous en reste par conséquent un à évoquer et celui-ci n'est pas des moindres. Dafodil n'a rien de déjà -vu ou déjà -entendu et avance crânement un pied dans le passé, avec son sample de I Just Make Believe de JJ Barnes, titre soul de 1973 et un pied dans le futur avec sa superposition de couches électroniques bidouillées avec Panda Bear du groupe Animal Collective et les voix trafiquées et habilement montées des fleurons de l'avant-garde électro-hip-hop Kelsey Lu et John Glacier. Ce n'est pourtant pas la seule présence de Dafodil sur le disque qui subitement revalorise l'ensemble. Il faut d'ailleurs relativiser mon emballement pour ce titre à la lumière de ma passion toute personnelle pour les samples de soul 70's flamboyantes et tout ce que peut faire John Glacier. Une critique digne de ce nom se doit de ne pas se fonder sur des appréciations purement subjectives et les goûts de son auteur et si Dafodil tient une place si particulière dans ce disque, c'est avant tout car il agit comme le lapin blanc d'Alice Au Pays des Merveilles. Il invite l'auditeur à partir à l'aventure, à chercher la vérité sous l'envers des fausses perceptions et à traverser les apparences trompeuses du simulacre pour s'éveiller à la réalité. Jamie xx nous offre avec Dafodil, une clé de lecture de son disque en nous confiant : « voici ce que je suis capable de faire, je ne sors un album que tous les neufs ans alors écoutez le de nouveau mais d'une oreille différente et vous découvrirez alors les richesses qui s'y cachent ».
Eureka ! Les premières secondes de Wanna n'étaient en fait qu'un MacGuffin, une fausse piste nous faisant croire à un disque convenu sans autre ambition que celle de nous divertir et de nous dégourdir les jambes pour mieux surprendre l'auditeur, le déstabiliser et le mettre KO avec ce chef d'œuvre de dance musique moderne (j'ai désormais acquis le droit d'utiliser ce terme). Je vous vois amis lecteurs vous dire qu'avec ses théories bancales, le chroniqueur est peut être parti un peu loin. C'est tout ce que je vous souhaite à l'écoute d'In Waves, album qui contrairement aux a priori se pense autant qu'il ne se danse et qui offrira à quiconque osera suivre le lapin blanc une expérience unique et jubilatoire.
In Waves se déguste comme un fruit bien mur, à la chair fondante, plein de saveurs et d'une irrésistible sucrosité. On attendait de Jamie xx qu'il nous serve un repas gastronomique de cuisine moléculaire, on a évidemment été déçu quand il nous a présenté un simple fruit en guise de repas. C'est en croquant dans ce fruit parfait, qui nécessite en amont une somme de travail aussi invisible que colossale, que l'évidence nous sauta aux yeux. Nous n'avions besoin de rien d'autre que de ce fruit parfait comme nous n'avions besoin de rien d'autre que d'In Waves, album de dance music parfait, humble et d'une ambition folle, un véritable monument pop dissimulé au sous-sol d'un club.