Chronique Album
Date de sortie : 13.09.2024
Label : No Filter
Rédigé par
Franck Narquin, le 10 septembre 2024
Devant la recrudescence de sorties d'albums de folie à un rythme de maboule constatée en cette rentrée, nous n'avons eu d'autre choix que de solliciter un rendez-vous avec le Dieu du Rock UK©. Croisé aux Universités d'été des Dandys Décadents©, Jarvis Cocker nous glissera discrètement son identifiant Telegram tout en nous alertant, « Faites gaffe les gars car il peut être impitoyable ! Selon la rumeur il aurait déjà fait pleurer Liam Gallagher et rire Morrissey ! ». Je vous passe les détails logistiques nous ayant conduit jusqu'à à la porte du salon de réception de son immense manoir niché au fin fond de la campagne Ecossaise qui, comme vous l'imaginez, auraient évoqué pêle-mêle notre rédacteur en chef, une garçonnière de 200m2 en plein Lower Eeast Side, les élections Brésiliennes, un diner avec Rihanna, Kanye West et Paul McCartney ainsi que des pots de vins prétendument versés au jury de l'Eurovision©. Vous trouverez ci-dessous une retranscription de cette entrevue effectuée de tête mais qu'on espère la plus fidèle possible, le Dieu du Rock UK© refusant qu'on l'enregistre avec notre téléphone portable, nous conseillant de le laisser dans notre poche pour vivre pleinement l'instant présent.
On s'attendait à le voir tiré à quatre épingle arborant un costume trois pièces cintré sur un polo Fred Perry comme ce bon vieux Mod de Paul Weller ou porter un vieux perfecto élimé et un t-shirt déchiré SEX, la boutique de Vivienne Westwood et Maclcom McLaren, que tout vieux punk ayant fait fortune dans la finance peut aujourd'hui se procurer pour la modique somme 2 200 Euros, voire enroulé dans une cape noire, le regard lointain et le cheveu hirsute en bon goth new wave ou arborant crânement une parka tout en se dandinant frénétiquement comme Liam Gallagher ou Stanley Kubrick (si ce dernier n'a rien à voir avec le rock, il reste à ce jour la seule preuve tangible de l'existence de Dieu). On était alors bien loin du compte car le Dieu du Rock UK© n'a évidemment pas apparence humaine comme nous l'avait pourtant présenté Pierre La Police à l'été 1993 dans le numéro 48 des Inrockuptibles avec à sa couverture un certain David Bowie, nous confiant alors « Dieu, c'est de la margarine » (ndlr : si les informations du premier paragraphe relèvent de la plus pure fantaisie, celles du second brillent par leur absolue véracité que tout fact checking viendrait confirmer). C'est donc avec une petite boîte composée d'émulsion de matières grasses végétales que nous nous sommes entretenus pendant quelques heures au sujet de l'actualité du rock britannique et irlandais, espérant pouvoir lui passer notre message.
- Ouais Dieu, bien ou bien ?
- Tranquille comme tu vois, bien pépère, au mou dans ma barquette. On va s'éviter le small talk car tu sais que je ne reçois presque jamais mais vu le boulot que vous faites pour moi chez Sound of Violence, je veux bien t'écouter. C'est quoi tes bails gros ? Tu trouves qu'un concert de The Libertines tous les six mois à Paris ça commence à faire beaucoup et qu'à ce rythme ils vont bientôt avoir du mal à remplir le Truskel ? C'est vrai que j'ai un peu abusé mais c'était un pari avec le Dieu du Rock US© qui lui a carrément été obligé de réunir 40 000 fans dans un parc à Saint-Cloud puis de demander à The Strokes de leur jouer le plus mauvais concert de tous les temps.
- Non, rien à voir avec ça, et ne commence pas à faire le mec qui ne sait pas de quoi je parle, c'est quand même un peu fort de café. On n'a rien dit quand tu t'es tapé ton délire en sortant dix disques de post-punk par semaine pendant cinq ans mais là en quelques jours alors qu'on rentre à peine de nos vacances aux Seychelles, Fontaines D.C., Yannis & The Yaw, Adult DVD, Fat Dog, The The, Gurriers, Tindersticks, Nilüfer Yanya, DEADLETTER, IST IST, Jon Hopkins, Honeyglaze, Katy J Pearson, Jamie XX, MEMORIALS, Public Service Broadcasting, Famous, Crows, Warmduscher et j'en passe. Quand même, molo pépito, trop c'est trop, non mais, alors hein !
- Faut savoir ce que vous voulez. J'ai lu dans un canard que le rock était mort. Ca m'a mis les michetonneuses en ébullition ! Ils connaissent pas Raoul les mecs. Fallait pas me chauffer comme ça. Du coup j'ai pris mes meilleurs gars et je leur ai dit de ne pas attendre que vous ayez terminé de soigner la variole du singe que vous avez du choper en vacances au Cap d'Agde et d'y aller franco. J'étais aussi rouge colère que votre couillon de Méluche à cause duquel vous allez vous retrouver avec un bon gros premier ministre de droite.
- Tu n'avais qu'à reformer Oasis pendant que tu y étais (ndlr : entretien réalisé début août) !
- Pas bête ça ! Tiens, on n'a qu'à annoncer leur retour le 28 août, pile-poil pour les quinze ans de leur split. Ah non je ne peux pas le 28, j'ai un padel avec Kevin Shield et le colloque « Comment devenir milliardaire dans le rock sans perdre son âme et sa dignité ? » animé par Joe Talbot. Ce sera le 27, c'est kif-kif et comme vous êtes un peu concons on va mettre les places à un tarif de batard dont même Taylor Swift aurait honte.
- T'es con quand même mais tu me fais rire.
- Tu vas voir, tu vas voir... Je ne te garantis rien mais je vais tenter le coup.
- T'as qu'Ã reformer aussi The Smiths pendant que tu y es !
- N'exagère pas, je ne suis que Le Dieu du Rock UK©. Morrissey est un véritable psychopathe, tu sais ! Selon la rumeur il aurait fait pleurer plus de cent millions d'adolescents dans leur chambre et fait rire Robert Smith.
Voyant la tension monter peu à peu, nous proposons une courte pause au cours de laquelle Dieu (appelons le comme ça, même si tous les enfants de plus cinq ans savent bien que comme le père-noël, Dieu n'existe pas) nous présente sa collection de tickets de concerts de Britney Spears, Lara Fabian et Coldplay, précisant qu'il a besoin de couper complètement du boulot quand il écoute de la musique pour son plaisir personnel. Enfin calmé après avoir été étalé par son assistante personnelle sur une biscotte, nous reprenons tranquillement notre conversation et décidons d'évoquer avec lui l'album de rock le plus ravageur de la rentrée, Come And See de Gurriers.
- Mon dieu, nous avons déjà évoqué la pelleté d'albums d'un niveau stratosphérique que tu nous a mis dans la tronche, mais j'aurais voulu parler plus spécialement de Come And See de Gurriers.
- Bien vu mon gars ! Celui-là je n'en suis pas peu fier. Je me suis dit que je vous avais bien régalé au premier semestre avec l'album de pop parfaite d'English Teacher, tout en subtilité et complexité mais dont on ne saisit pas tout le génie à la première écoute, alors j'ai décidé de procéder de la même manière mais avec du gros rock qui tâche. Je voulais un disque de post-punk bien énervé, court, intense et d'apparence un peu bourrine mais dont tu réalises peu à peu que sous sa rugosité apparente et un son monobloc se cachent une incroyable richesse musicale et une affolante diversité stylistique.
- C'est exactement ça, et cette abondance d'albums majeurs est d'ailleurs la raison de cette rencontre. Le 23 août Fontaines D.C. livrent Romance, un chef d'œuvre sur lequel ils se réinventent puis le 6 septembre on se tape WOOF. le brûlot de Fat Dog célébrant les noces barbares d'IDLES et du Grand Orchestre du Splendid. On se dit que l'affaire est pliée, qu'on va pouvoir gérer tranquillement les affaires courantes avec des albums pépères à la Los Bitchos ou Wunderhorse, puis le 13 septembre, tout juste une semaine après Fat Dog, et on ne parle même pas de l'EP d'Adult DVD qui déboîte autant que sa pochette, on se prend le debut-album de rock pur-jus de cette bande d'irlandais pur-jus en pleine poire.
- J'avoue, j'y suis allé un peu fort mais c'est parce que je sais que vous êtes de gros gourmands et que vous adorez ça.
- Quand il y a rock, il y a match !
- T'as cinq minutes ? Je vais te raconter l'histoire et surtout dis à tes lecteurs de bien ouvrir leurs portugaises parce que Gurriers vont devenir leur groupe préféré.
- Vas-y, je t'écoute aussi attentivement qu'un disque de bar italia.
- C'était pendant le COVID-19, j'avais du temps de libre. On a d'ailleurs organisé cette pandémie de concert entre l'Association des Dieux du Rock du Monde Entier© et les Illuminati. ça nous arrangeait car ça permettait de créer un maximum de frustration chez les fans qui se sont ensuite rués dans les salles de concert et surtout chez les artistes qui ont réalisé l'importance de leur mission une fois privés de leur principal lieu d'expression qu'est la scène. Tu peux me remercier car ça faisait un bail que le rock UK n'avait pas atteint un tel niveau tant en qualité qu'en quantité que depuis ces trois ou quatre dernières années.
- Et quel était l'intérêt pour les Illuminati ?
- Oh tout un tas de trucs un peu compliqués. Je me rappelle juste que leur chef disait tout le temps « Et à la fin on leur balance Barnier et on les nique tous ! ».
- Barnier comme Michel Barnier ? Marant ça, t'imagines Barnier Premier Ministre ? Je déconne, Manu peut nous pondre de bons gros trucs de déglingos mais pas à ce point (ndlr : on rappelle encore que cet entretien a été réalisé début août, époque où alors candides, nous avions encore foi en l'espèce humaine).
- J'ai trouvé à Dublin une bande de cinq potes, Dan Hoff, Emmet White, Ben O'Neill, Mark MacCormack et Pierce Callaghan. Ils étaient colocataires et avaient tous perdu leur job pendant le confinement, ce qui leur a permis de se consacrer pleinement à leur groupe que j'ai décidé d'appeler Gurriers, sans E car ça faisait stylé. Je les ai fait tourner en première partie de Fat Dog, Goat Girl et Slowdive pour qu'ils soient à bonne école et qu'ils intègrent à leur post-punk frontal un peu de la folie ubuesque des premiers, du sens de la mélodie pop échevelée des seconds et le spleen brumeux du deuxième meilleur groupe de shoegaze de tous les temps. Une fois que je les ai sentis prêts, je les ai envoyés enregistrer leur album à Leeds car c'est dans cette ville qu'on fait le meilleur rock en ce moment. Ils m'ont fait écouter le résultat et je suis tombé de ma chaise. C'était du lourd ! Mais vous balancer ça à froid aurait été trop hardcore tant çà défouraille sévère. Il fallait que je vous mouille un peu la nuque avant donc j'ai décidé de sortir régulièrement un single de l'album pour que le 13 septembre vous ayez déjà écouté cinq des onze titres et ainsi ne pas vous prendre en traitre.
- Continue Père Castor, j'adore tes histoires.
- Un album si puissant nécessitait d'inventer un nom pour définir son genre. A l'époque où il y avait encore de vrais journalistes musicaux, c'était à eux qu'en revenait la tâche mais quand tu vois que seul Spotify et ta mère utilisent le terme crank wave du NME, je préfère encore me taper le boulot. Leur musique étant un mélange de post-punk, de noise et de shoegaze, je ne me suis pas trop cassé la nénette et j'ai appelé ça du noise gaze.
- Simple, clair, efficace. Ça me va.
- T'es gentil mais je ne te demandais pas ton avis. Déjà que les webzines bénévoles sont contraints d'assurer le taff que la presse musicale traditionnelle ne fait plus, je ne vais pas en plus vous imposer la corvée de trouver des noms à tous les genres musicaux que j'invente, surtout que parfois certains disparaîssent aussi vite qu'ils sont apparus. Dis-moi qui se souvient de la nu rave ?
- C'est aussi ça qu'on aime, s'enflammer sur une hype éphémère, s'inventer de nouvelles idoles, les vénérer deux printemps avant de les bruler et définitivement les renier pour les célébrer vingt après à l'occasion d'un revival encore plus fugace.
- C'est vrai mais ce que tu décris était du ressort du Dieu de la Pop UK© mais pour des raisons de budget tout a été fusionné et on m'a refourgué dans le périmètre du rock, la pop indé, le rap alternatif, la musique électronique qui pense, le rnb qui ne colle pas au doigt et même une partie du jazz lorsque son public à moins de soixante ans. C'est sympa et j'adore m'occuper de groupes comme Young Fathers, joe unknown, Mount Kimbie ou Sleaford Mods qui sont plus rock que pas mal d'historiques de la maison, mais moi j'ai une formation classique de rockeur. J'aime les guitares stridentes, les riffs aiguisés, les batteries qui tapent fort, les basses ronflantes, les chanteurs qui scandent, qui gueulent et même qui hurlent à s'en casser la voix s'il faut. J'avais envie de me faire un petit kiff car à force de sortir trop de disques de post-punk on commençait à tourner en rond et les meilleurs se mettaient à y intégrer de l'électro 90's ou du funk 70's.
- Avec Gurriers on est sur du rock pur jus et sur scène je peux témoigner qu'ils ne viennent pas pour faire de la figuration. Ca va autant plaire aux vieux de la vieille qu'au kids en recherche de sensation.
- T'as pigé le truc, Come And See c'est l'album de post-punk ultime même si le terme s'avère ici trop réducteur, d'où le noise gaze. Je voulais un album qui soit à la fois construit à l'ancienne, pile dans son époque et qui puisse résister au temps. On a onze titres, ça dure à peine plus de quarante minutes, pas un pet de gras, pas un trou d'air, que du bon, on doit adorer ça en trente secondes et l'écouter encore dans trente ans. Ça part pied au plancher avec Nausea dont les guitares sonnent comme des sirènes annonçant l'ouragan puis vient Des Goblin avec son introduction virile qui devrait faire le bonheur des reportages de sport des années à venir. L'auditeur croit alors avoir cerner le groupe mais on complique tout avec Dipping Out sur lequel Dan beugle encore plus fort mais où le groupe joue de manière plus subtile ainsi qu'avec Prayers qui offre un grand huit musical et ne cesse de changer de rythme et de registre. On ne risque pas de s'endormir car ça repart à fond avec Close Call et No More Photos que les fans de mosh pit vont adorer. On reprend son souffle avec l'élégant Top Of The Bill avant un bouquet final composé des deux missiles Sign Of The Times et Approachable, les deux plus anciens titres du disque que tu connais bien mais qui font toujours aussi mal. On ne pouvait pas vous laissez comme ça après une telle déflagration donc on termine plus en douceur et donc plus en shoegaze avec Come And See qui donne son titre à l'album.
- Justement pourquoi avoir appelé cet album Come And See?
- On avait prévu de l'appeler Sound Of Violence car ça représentait idéalement l'essence même du disque mais le nom était déjà pris.
- Merci Dieu, je ne vais pas t'embêter plus longtemps. Si je résume bien tes propos, tu as voulu offrir aux vrais fans de rock avec Come And See de Gurriers, un album de rock presque parfait aussi agressif que subtil, immédiatement plaisant mais se révélant d'une insoupçonnable richesse qu'on a le bonheur de découvrir au fil des écoutes. Comme tu aimes faire ton malin, tu en as fait ton album-surprise de la rentrée, bien caché entre le sacre de Fontaines D.C. et la déferlante Fat Dog.
- J'ai fait ça pour que Gurriers deviennent le groupe fétiche des vrais amateurs, des purs, des durs, ceux qui vont chercher le rock là où il se trouve et qui n'attendent pas la bouche ouverte qu'on leur file la becquée ou qu'on leur dise ce qu'il faut écouter. Quand je pense à l'autre qui écrivait que le rock était mort. Il ne faut jamais me dire un truc comme ça car tu peux être certain que ma riposte va être sanglante. Je n'ai qu'un seul conseil à vous donner, serrez-vous bien les miches. Vous avez voulu me chauffer, tant pis pour vous ! Vous allez avoir de mes nouvelles et croyez-moi, vous n'êtes pas prêts pour ça.
- Jarvis n'avait pas tort, il peut t'arriver d'être un tantinet soupe au lait.
- Je ne rigole plus du tout. Il n'y aura pas d'autre sommation. Vous voilà averti, le 13 septembre je lance la Gurrr !