Chronique Album
Date de sortie : 20.09.2024
Label : Fat Possum Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 18 septembre 2024
Jeudi 5 septembre aux alentours de 22H15 nous nous tenions fébriles, collés à notre poste de radio dans l'attente de nouvelles en provenance de Londres, tout en étant bien conscient que les motivations qui nous animaient demeuraient bien plus frivoles que celles qui voyaient il y a plus de soixante ans nos grands ou arrière-grands-parents effectuer ces mêmes gestes. Nous n'avions à affronter ni grésillement ni de coupure la ligne, la BBC diffusant son émission en haute définition. Le dernier des douze nommés venant de conclure son tour de chant, la présentatrice se rapprocha du micro pour annoncer « The Mercury Prize goes to This Could Be Texas by English Teacher ! ». Cette nouvelle fut accueillie chez nous avec le même enthousiasme que celui qui nous gagnait après l'imparable coup droit de Féfé Lebrun offrant à la France une médaille de bronze qui venait avant tout couronner la jeunesse, l'audace, le talent et la fraternité. Nous nous attendions à voir sacrée Charli XCX dont le succès populaire et artistique de son dernier album s'accompagna d'un phénomène de société hors-norme ou bien encore Beth Gibbons, une des plus belles voix anglaises des trente dernières années dont l'extrême rareté rend chacune de ses œuvres encore plus précieuse, mais notre cœur avait un seul élu, un groupe que nous défendons depuis ses débuts et qui nous a subjugué avec son premier album, revisitant tout un pan de la pop et du rock anglais en quarante-cinq minutes, des élèves déjà maîtres nommés English Teacher.
Si nous nous sommes ainsi attardés dans cette introduction à évoquer le groupe de Leeds, c'est que si à l'écoute de Real Deal, deuxième album de Honeyglaze, produit par Claudias Mittendorger (Parquet Courts, Sorry) on peut parfois penser parfois à la mélancolie dégingandée de cette bande de slackers que sont Sorry ou à Black Country, New Road lors de certaines envolées mélodramatiques, il est impossible de ne pas y voir de flagrantes similitudes avec English Teacher. La plus frappante de toutes reste la voix et le chant d'Anouska Sokolow qui alterne phrasé semi-parlé et emphase lyrique dans le plus pur style de Lily Fontaine. Mais au-delà de cette gémellité vocale, le groupe aborde dans ses textes des sujets similaires avec le même ton mi-désabusé mi-révolté et sa musique se plait de la même manière à revisiter et à réinventer les figures obligées de l'indie pop et du noise rock anglais. Certains grincheux s'empresseront de crier « ouh, les copieurs ! » mais nous préférons nous réjouir en hurlant « oh, quel bonheur ! ». Si les deux groupes se ressemblent tant c'est qu'ils sont portés par la même fougue et qu'ensemble ils représentent une nouvelle scène célébrant la jeunesse, l'audace, le talent et la fraternité.
On s'étonne du choix du morceau d'ouverture, car si Hide affiche les intentions du groupe qui sont de marier pop ciselée et rock rugueux, ce titre déroulant sur un faux rythme son spleen élégant à la Cate Le Bon entrecoupé de brusques assauts de guitares saturées est loin d'être le plus réussi de l'album. On enchaîne avec Cold Caller et sa jolie introduction en forme de ritournelle, ses couplets tout en retenue et son refrain à la Echobelly, groupe des années 90 à la carrière éphémère et à la discographie sommaire mais qui fut auréolé du prestigieux label « nouveau groupe préféré de Morrissey » et dont l'influence se ressent de manière surprenante sur nombre de jeunes groupes anglais actuels.
Il faut attendre le troisième titre, Pretty Girls, pour enfin rentrer dans le vif du sujet et assister à la première vraie réussite du disque. Safety Pins, I Feel It All et TV prouvent ensuite la maestria de Honeyglaze dans l'art du Loud / Quiet / Loud, le groupe frappant fort quand on s'y attend le moins tandis qu'avec TMJ, Ghost et Real Deal, les anglais livrent de somptueuses et renversantes ballades dont on pressent qu'elles peuvent à tout moment passer de la jolie bluette au véritable bain de sang. Sur ce disque de haute volée, la plus belle fleur se nomme Don't dont la tension rentrée ne fait que croître tout au long de ses deux minutes quarante-cinq et nous permet d'assister à l'éclosion de ce simple bourgeon en un somptueux bouquet de jonquilles (fleur que les anglais appellent « daffodils »). Pour conclure ce Real Deal, Honeyglaze s'offrent une longue plage de six minutes en forme de déclaration d'amour au cinéma avec Movies.
A eux trois, Anouska Sokolow, Tim Curtis et Yuri Shibuichi forment Honeyglaze. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont le style qu'il faut et désormais les chansons qui vont avec. Ils manient comme personne l'art de la caresse pop et le fouet de la furie rock. Ils sont le Real Deal et viennent de signer un album du même nom au pessimisme glaçant et à l'optimisme doux comme le miel. Il faudrait être fou pour passer à côté et sourd pour ne pas l'aimer car si l'écoute de ce disque comporte bien un risque, c'est celui d'en tomber amoureux fou.