Le Supersonic Records, petit écrin parisien qui a vu défiler une myriade de talents, accueillait ce 6 décembre un double plateau à la croisée des promesses et des confirmations. En première partie, gglum, jeune londonienne de vingt-et-un ans, venait défendre son premier album
The Garden Dream, bric-à-brac inégal mais peu banal mêlant teenage pop et expérimentations lo-fi, suivie par Honeyglaze, dont le second LP
Real Deal fut une des très bonnes surprises de l'année. Deux ans après leur dernier passage en ces lieux, Honeyglaze vont non seulement tenir leurs promesses, mais même les transcender, offrant une performance d'une élégance et d'une intensité qui confirment leur place parmi les groupes les plus captivants de la scène indie-pop UK actuelle.
C'est
gglum qui a la lourde tâche d'ouvrir la soirée. Encore auréolée de sa réputation de jeune prodige émergente, Ella Smoker monte sur scène avec une énergie désarmante et un répertoire prometteur. Son set oscille entre expérimentations mélodiques et textes d'une candeur presque désarmante. Certes, tout n'est pas encore parfaitement huilé et certains morceaux trahissent encore une jeunesse artistique, ici, un manque de cohésion ; là, une hésitation dans les transitions, mais on ne peut qu'apprécier cette fraîcheur brute, ce mélange d'ingénuité et d'ambition qui laisse entrevoir un potentiel réel.
Navy, titre clôturant son set, donne un aperçu de ce que gglum pourrait devenir : une machine bien réglée, mais jamais aseptisée. Un artiste à suivre, donc, sans précipitation.
Puis viennent
Honeyglaze. Deux ans plus tôt, leur prestation au Supersonic voisin laissait entrevoir un talent indéniable, mais encore en gestation. Nous avions trouvé que leur set manquait d'incarnation et d'intensité et conclu par un sévère mais juste « Honeyglaze, jeunes gens talentueux et prometteurs mais qui doivent encore muscler leur jeu ». Ce vendredi soir, c'est un groupe métamorphosé qui monte sur scène, irradiant une confiance nouvelle et une maîtrise éclatante. L'ouverture avec
I Fell It All donne immédiatement le ton : tout chez eux semble avoir pris de l'ampleur, de la voix plus assurée d'Anouska Sokolow au jeu désormais impeccable du groupe. Ce morceau, déjà superbe sur leur dernier album prend une dimension presque cinématographique en live, porté par des arrangements qui magnifient chaque note et chaque silence.
Si Honeyglaze impressionne aujourdnt'hui, c'est en grande partie grâce à la progression fulgurante de sa chanteuse, dont la présence scénique a littéralement explosé. Jadis discrète, elle est désormais le cœur vibrant du groupe, alliant un charisme naturel à une voix qui gagne en profondeur et en nuances. Sur
Hide et
Cold Caller, elle jongle entre fragilité et puissance, chaque note semblant habité d'une intention nouvelle. Le public, suspendu à ses lèvres, ne s'y trompe pas et, s'il restera toute la soirée relativement calme, on le sent dès le départ totalement captivé. Le répertoire est à l'image du groupe : plus dense, plus riche et plus ambitieux. Des morceaux comme
Movies et
Burglar, déjà excellents en studio, prennent sur scène une vie propre, transformés par une alchimie palpable entre les membres du groupe. La basse, robuste et vibrante, donne une assise solide aux morceaux, tandis que la batterie, précise et inventive, insuffle une énergie communicative.
Mais c'est sur
Pretty Girls et
I Am Not Your Cushion que Honeyglaze atteignent leur apogée. Ces morceaux, empreints d'une mélancolie lumineuse, évoquent tour à tour la grâce mélodique de The Sundays et l'intensité feutrée d'un Radiohead à leurs débuts. La capacité du groupe à jongler entre douceur et frénésie est ici mise en pleine lumière, chaque crescendo étant accueilli par une ovation méritée. Difficile de ne pas mentionner l'impact de leur dernier album, qui semble avoir agi comme un catalyseur pour le groupe. Si cet opus avait déjà séduit par sa richesse et sa cohérence, il prend une toute autre dimension en live. Honeyglaze se sont appropriés ces morceaux avec une aisance et une inventivité qui forcent le respect, réaffirmant l'importance de la scène comme laboratoire d'expérimentation et de réinvention.
C'est avec
Ghost,
TV et le poignant
Don't que le groupe conclut sa prestation, dans un silence presque religieux, suivi d'applaudissements nourris. Ces derniers morceaux, véritables hymnes à la vulnérabilité, sont autant de preuves que Honeyglaze sont devenus un groupe incontournable, capable de capturer les émotions les plus fugaces avec une précision presque douloureuse. En quittant la salle, on ne peut s'empêcher de repenser au chemin parcouru par les trois anglais. En deux ans, ils ont tout simplement changé de catégorie, alliant une maîtrise technique irréprochable à une sensibilité artistique rare. Si gglum a encore du chemin à parcourir, Honeyglaze semblent prêts à conquérir des scènes bien plus grandes.
Ce concert n'était pas seulement une belle soirée musicale mais la démonstration éclatante qu'avec du travail, du talent et un brin d'audace, un groupe peut transcender ses limites et offrir des moments de grâce qui resteront gravés dans les mémoires. C'est désormais certain, Honeyglaze sont the
Real Deal !