Chronique Album
Date de sortie : 16.05.2025
Label : Strap Originals
Rédigé par
Adonis Didier, le 13 mai 2025
« Eh Maurice, tu me remets la petite sœur !? ». A quelques rues de la plage, à quelques rues des falaises, Le Maupassant. Dans la belle Normandie de Corneille et Flaubert, Bernard requérait promptement du tenancier Maurice que celui-ci lui remette un « calva ». Quelle heure était-il ? L'heure de l'apéro, parce qu'il était forcément l'heure de l'apéro quelque part. Contre les vitres du PMU, les habitués enchaînaient les cafés et les verres d'eau, un œil sur l'écran du Rapido, l'autre sur le Bilto. Dans la cinquième à Deauville, Daytona du Berlais était favori devant Danny Boodmann et Color Ritano. A l'entrée du tabac, les poignées et les taquets cognaient contre le bois du baby. Ting. Gamelle. Des éclats de voix. Des contestations : « On avait dit pas le droit aux roulettes, oh ! ». Et dans le fond du Maupassant, toujours à la même table, celle avec une nappe aux carreaux violets et roses, un homme avec un chapeau fumait un cigare. Devant lui traînait un café normand dont la fumée se mêlait à celle du havane. A son côté reposait un étui, celui d'un instrument à cordes. De ses mains, il griffonnait un carnet comme si rien d'autre n'existait dans la pièce. Il griffonnait des choses sur la mer, sur la falaise, sur sa fille, il griffonnait des choses sur les hommes qui faisaient le calva, sur ceux qui le buvaient, et sur ceux qui le lançaient contre leur bateau. Quand il eut fini, il reposa le carnet sur la nappe, tira la fermeture de son étui, en sortit une guitare, et se mit à jouer. Sur la page se lisait d'une écriture ronde et brouillonne comme un titre, Felt Better Alive, et l'homme qui la jouait se sentait d'autant plus vivant qu'il avait été mort. Son nom ? Maintenant que vous me posez la question, il me l'a dit un jour, Peter. Peter Doherty. Mais pour nous, ça a toujours été Pete.
Il est là, le retour, le vrai, de Peter Doherty. Felt Better Alive, troisième album et véritable successeur à Hamburg Demonstrations, après les Puta Madres, après Frédéric Lo, après les Libertines, l'enfant terrible du rock anglais revient enfin plus sage, plus vieux, et plus entouré que jamais. D'abord d'une famille, la moitié de l'album ayant été écrit pendant la grossesse de Katia de Vidas et les premiers mois de Billie-May Doherty, puis d'amis, comme son producteur et guitariste Mike Moore, ou encore les renommés musiciens Mark Neary et Lisa O'Neill. Un album conçu autour d'une guinche désorganisée de vingt-sept minutes dans le pub du coin, avec vue sur les goélands et la mer d'Etretat, avec les gosses qui jouent dans les batteries et les chiens sur les canapés, avec les copains qui dansent sans savoir comment on danse, et leurs femmes qui les rattrapent quand ils en ont trop pris. Une vision mélancolique et idéale de la campagne anglaise, normande, ou bourguignonne, une vision et une musique d'un autre temps, un temps où rien n'était mieux mais où tout était simple.
Simple comme le Calvados, première chanson typique du folk et de la bonhommie de ce nouveau Peter Doherty. Une guitare, un piano, quelques lignes de violon, et le talent inimitable pour la mélodie populaire de l'expat' anglais. Le tour est joué et sera à peu près le même sur Pot Of Gold, presque berceuse écrite pour Billie-May aux accents terreux et joviaux, dans la même veine qu'une Felt Better Alive de cowboy Coralien, ou encore ces Out Of Tune Balloon et Ed Belly ivres mortes sous les tabourets du bar, constellées de pedal-steel guitar et du bruit des bouteilles qui s'entrechoquent. De très sympathiques chansons d'ambiance, et un écrin de calcaire, de zinc et de pâte à sel abritant les bijoux de cet album : The Day The Baron Died, la version « originale » du Baron's Claw sorti l'an dernier chez les Libertines, Stade Océan le rock de footeux qui sonne les cloches et tous les xylophones du village pour le match du dimanche matin, Poca Mahonney's le ténébreux curé du coin et cette folle chanson de rock anglais à l'ancienne, soutenue par la voix rocailleuse de l'irlandaise Lisa O'Neill, et enfin ce génial final Prêtre De La Mer et Empty Room.
Une première chanson à la fois lugubre et festive, comme un enterrement en Louisiane, comme un départ de la Route du Rhum, entrecoupée de prières aux dieux de l'océan et au grand barbu, un blues sonnant les trompettes pour conjurer l'Apocalypse, pour que les miracles s'accomplissent et que les chalutiers retrouvent la terre. Une terre bénie, une chambre vide, Empty Room conclut l'album d'une courte et magnifique ballade acoustique, la voix fragile de Peter fait merveille dans cette pièce qui se couvrira bientôt du cri des enfants, des petits bobos et des grandes joies d'une vie plus belle à plusieurs.
Le nouveau crédo de Peter Doherty, la famille, les amis, tout le monde dans la caravane et roulez jeunesse, on se sent mieux vivant et vivre c'est d'abord être avec les gens qu'on aime. Et qu'importe si Felt Better Alive n'est pas le chef-d'œuvre qu'était sa collaboration avec Frédéric Lo, l'anglais n'est plus là pour ça, il est là pour s'amuser, profiter de la vie, et vendre des fanzines en concert.
Alors prenez ce nouvel album comme un barbecue avec un bon copain, la bande-son d'une escapade sur une départementale en 2CV, et cette soirée d'anniversaire au bar qui dégénère dans la bonne humeur. Peter Doherty, un vrai bon moment de convivialité comme on n'en fait plus, dans ce monde où les jeunes passent leurs journées sur TikTok, où les vieux complotent sur Facebook, et où y a plus de saisons ma bonne dame !