Pour ce troisième jour des Transmusicales, il devient difficile de se déplacer aussi tôt dans l'après-midi, mais le souvenir des débuts ubuesques de la veille est suffisamment motivant. On file donc à l'Ubu où les
50 Miles From Vancouver ouvrent le bal. Loin de la Colombie-Britannique, il s'agit encore d'un groupe breton : une scène décidément en pleine ébullition.
Le quatuor a sorti ses pédales de distorsion pour engloutir une salle bondée de ses guitares froides et raisonnantes. Leur shoegaze a un arrière-goût de revival mais les compositions attirent l'attention tant elles s'avèrent accrocheuses et ne sont pas sans rappeler les récentes prouesses de The Pains of Being Pure At Heart. Ils ajoutent un coté épique sur certains titres avec une voix parfois fragile parvenant à se lâcher subitement. 50 Miles From Vancouver ne mettent pas longtemps à nous conquérir et les mouvements de têtes de plus en plus obsessionnels du public témoignent de la qualité de leur prestation. Ces petites cordes aiguës sont un vrai délice, comme sur
Eternal Youth/Eternal Fun, un titre correspondant bien à leur état d'esprit.
La seconde formation à se produire gagne le prix du nom de groupe de l'année :
Jesus Christ Fashion Barbe. Pour la 33ème édition des Transmusicales, on ne pouvait pas faire une croix sur eux. Il est en effet obligatoire d'arborer une barbe pour être membre de ce trio caennais. Leurs guitares transforment une inspiration blues en une pop plutôt sombre et rocailleuse. On pense fortement à Interpol, surtout dans la voix grave et précise. Les normands lorgnent vers les Etats-Unis, proposant une énergie communicative malgré une rythmique quelque peu répétitive. On n'avait plus vu Jésus à Rennes depuis la venue de Josh T. Pearson, cela fait toujours plaisir de le retrouver.
Prenons maintenant la direction de la salle du 4Bis où se déroule un focus européen accueillant plusieurs groupes venus de nos frères de crise. On attend particulièrement les danoises de
Giana Factory, composées de Louise Foo, sœur de Sharin (The Raveonettes) et Lisbet Fritze (Trentemøller). Le trio semble légèrement paniqué à l'approche du concert, ayant temporairement perdu un ordinateur dans un bar du centre ville. Encore une fois, le concert affiche complet et la foule espère déjà pouvoir entrer dans la salle pour le concert suivant. Les belles entrent en scène dans leur poncho pixel-Goldorak tandis que les synthés et rythmes dansants démarrent. La guitare distordue contient effectivement de l'inspiration des Raveonettes, la voix monocorde également.
Louise s'excite sur sa batterie électronique, entre une explosion de baguette en règle et des lancements de samples dancefloor à tout va. Elle fait entendre sa voix limpide sur la majorité des titres, notamment durant le très bon
Rainbow Girl, alors que ses acolytes se chargent de chœurs à écho amplifié. Les Giana Factory mélangent le son lisse d'une pop classieuse avec celui plus crade d'une guitare prenant le dessus pour engloutir la fin des morceaux dans un torrent de décibels noise. L'une des bonnes surprises du festival se trouvait bien au 4bis ce samedi après-midi.
On file fissa à la salle de La Cité pour essayer sournoisement d'y entrer alors qu'
Epic Rain est déjà en scène. Le hip-hop est mis à l'honneur aujourd'hui dans ce lieu historique des Transmusicales. Le libanais installé en Islande est accompagné d'un acolyte magicien déguisé en Pierrot La Lune et assurant les parties chantées des refrains. A des années lumières des lyrics de « bitch » du rappeur moyen, Epic Rain raconte des histoires oniriques sous forme de contes nordiques avec un flow démentiel et une présence impressionnante. Ses mouvements lui donnent une touche de classe supplémentaire et quelques accessoires comme un porte-voix font l'originalité du set.
Pierrot s'amuse même avec un jeu de cartes qui sera jeté dans la foule, le 8 de trèfle atterrissant dans mes cheveux. Les deux frontmen sont très expressifs et leur rap down tempo particulièrement entrainant fait remuer bien plus que les bras. Les productions assurées par un MC à l'arrière sont plutôt folk, reprenant de calmes boucles atmosphériques que l'on a l'habitude d'entendre chez Sigur Rós. Cette association fait parfois penser à Why? mais ce gentleman s'est forgé un style bien à lui, comme si des geysers et volcans poussaient au milieu du Bronx. Epic Win.
Poursuivons avec une face plus dubstep du hip-hop par la mainmise de l'anglais
Ghostpoet sur la Téci. L'ambiance et la lumière se font plus sombres, un spot bleu éblouissant le poète au flow grave et pénétrant. Il est accompagné d'un guitariste et d'un batteur participant à une musique organique et troublante. Obaro Ejimwe enchaîne ses textes sans pause, les assénant au public avec des mouvements saccadés à l'avant de la scène. Il rejoint parfois son fourbi de machines et son laptop pour s'y exciter frénétiquement. Ghostpoet en ressort de puissants éléments électro dubstep, ses mains naviguant sur sa platine comme un pianiste jouerait la marche turque. Il faut néanmoins le quitter pour rejoindre le Parc des Expositions qui affiche lui aussi d'ores et déjà complet.
Direction le Hall 9, également appelé Musikhall, pour admirer la performance du producteur britannique
Zomby, pour des Transmusicales décidément très dubstep. Dans ce style dont a pu voir les tenants et les aboutissants sur trois jours, Zomby est celui qui a le plus séduit. Curieusement signé sur le label 4AD habituellement plus rock, son album OVNI
Dedication trouve une bonne résonance face un public encore peu nombreux mais déjà très porté sur la danse.
Arborant le masque des Anonymous, il tente de nous hacker le cerveau seul devant sa platine avec des samples hypra rapides et des basses fulgurantes. Zomby n'oublie pas les passages plus calmes où quelques notes de piano psychédéliques côtoient une rythmique ralentie. Son masque lui sert d'aquarium lorsqu'il tire sur son joint et que la fumée en ressort à l'arrière par les oreilles. Il parvient également à s'abreuver d'une liqueur indéterminée lorsqu'il laisse le son se déployer seul. Sur la fin du set, Zomby se laisse aller dans une techno bruitiste beaucoup moins appréciable qui nous fait lâcher prise. Il est temps de rejoindre le Hall 3 pour le reste de la soirée...
Les québécois de
Galaxie entrent en scène pour une dose de joie de vivre tout à fait différente. On retrouve cette fraicheur si caractéristique des groupes de pop Montréalais, particulièrement dans ce maniement de la langue française beaucoup plus libéré. On pense bien sûr à Malajube, même si l'inspiration va plus chercher du coté de la country américaine, tout en restant indie. Olivier Langevin accompagne sa guitare tournoyante d'une voix à l'accent si charmant. Deux ravissantes choristes font le show et jouent des percussions tandis que les claviers s'emmêlent. Leur titre
Piste 1 au nom peu explicite est un tube en puissance dont les paroles sont déjà imprégnées dans notre mémoire interne. Les Galaxie se donnent sans complexe avec des rythmes rapides poussant à la danse dans les travées alors que quelques textes en anglais s'interposent. Comme on dit là-bas, c'est « full le fun ». A l'image de leur album
Tigre et Diesel, tout cela ne tient malheureusement pas sur la durée et les quelques fulgurances disparaissent peu à peu.
On décide d'aller voir l'attraction du jour : les gamins de
Carbon Airways. Eléonore et Enguerrand, frère et sœur de 14 et 15 ans, ont fait beaucoup plus parler d'eux que tous les autres artistes des Transmusicales 2011 : initialement interdits de concert par le préfet afin qu'ils se rendent à l'école, ils ont été accueillis comme des stars par des journalistes voulant les filmer à peine arrivés de Besançon avec leurs parents. C'est dire l'attente autour de ce concert qui aura finalement bien lieu.
Ces deux adolescents ont de l'énergie à revendre. Eléonore secoue ses cheveux comme une folle furieuse alors que Enguerrand saute sans s'arrêter derrière ses machines. L'adolescente chante d'une voix souvent fausse mais bien assurée tandis que son frère lâche une bonne dose de dance putassière. Ces deux-là ont du écouter Gala alors qu'ils n'étaient que des fœtus, il n'y a pas d'autre explication. Lorsque le garçon ne joue pas au DJ au poing levé, il s'avance vers le micro pour essayer de rapper en saturant sa voix. Lorsqu'il retire son tshirt, il est strictement interdit de crier « A poil ! ». Leur tube
Exhale a le mérite de faire bouger les masses. Il faudra penser à faire correspondre les festivals de 2012 aux vacances de la zone B.
On se paye un petit détour par le concert de
Shabazz Palaces et leur rap old school inquiétant. Le duo ajoute quelques percussions à une rythmique hip-hop en alternant les flows pour un set bien moins intense que ce que l'on a pu voir précédemment à La Cité. Une pause s'impose avant de rejoindre
Hanni El Khatib dans le Hall 3.
L'américano-palestinien va offrir aux Transmusicales un set aussi tendu que les relations diplomatiques entre ses deux pays. Son blues rock percute les oreilles pour prendre possession de chaque membre et les faire danser. Accompagné d'une batterie sèche, il fait divaguer sa guitare avec l'évidence des White Stripes et l'énergie des Black Keys. Hanni Al Khatib enflamme furieusement la salle avec ses boucles d'accords tonitruants. Il s'offre un One Man Show des plus rock'n'roll et fait trembler l'audience de sa voix Elvisienne. Sa reprise de
Heartbreak Hotel est de la partie, même si elle ne rend pas honneur à l'originale. Au final, un concert tout en énergie, débué de variété, mais qui aura concentré en un point la folie d'un samedi soir des Transmusicales.
Changement de hall pour entrapercevoir les
Pockemon Crew. Il s'agit de danse hip-hop donc on s'éclipse aussi rapidement que l'attaque éclair de Pikachu. Plus intéressant, le sud-africain
Spoek Mathambo mêle hip-hop et dancefloor avec un son diablement accrocheur. Alternant entre passages chantés en anglais et rap aux accents sud africain, Spoek fait bouncer l'audience avec un rythme à contre temps et des synthés malicieux.
On ne s'attarde pas trop puisque les kids du
Janice Graham Band se préparent en face. Arrivant tout droit de Manchester, le quatuor ressuscite le pop-ska made in Madness. La guitare s'offre quelques solos bien pensés quand elle ne garde pas le rythme binaire imposé par le genre. Une trompette accompagne chaque composition, apportant un coté festif au final assez lisse. La voix, quant à elle, fait fortement penser à Alex Turner sur les passages les plus pop qui restent les meilleurs. On aurait aimé plus de défoulement punk car les Janice restent beaucoup dans le registre steady un peu trop lisse dans le son malgré des paroles tranchantes.
Les titres les plus ska sont moins attrayants, on aurait besoin de quelque chose de plus revigorant à 2h du matin. Le public est néanmoins attentif à leur face pop-rock en essayant de faire abstraction de la trompette. Le set se termine par le Carnival de Rennes pour un titre samba. Janice Graham Band ne restera pas dans les mémoires, attendons la suite pour nous enflammer.
Le Hall 4 reste dans le hip-hop avec ce qui pourrait être la tête d'affiche de ces Transmusicales : les américains de
Spank Rock. Le duo se rapproche plus des rappeurs dont nous parlions tout à l'heure avec leurs lyrics sous la ceinture. Déchainé à l'avant de la scène le bras levé, Naeem Juwan assène ses textes vindicatifs tandis qu'Alex Epton balance des productions flirtant avec l'électro explosif. On ne tiendra pas longtemps, décidant d'aller découvrir la surprise que
Don Rimini a préparée dans le grand Hall 9. Pour le premier live de sa carrière, le DJ français Xavier Gasseman avait promis une installation à faire pâlir le cube de Etienne de Crecy qui nous en avait mis plein les yeux en 2007. Il se trouve en effet au sommet de deux gigantesques plaques d'une dizaine de mètres de haut sur lesquelles sont projetées des formes géométriques psychédéliques. Le lightshow impressionne et on retrouve presque les ambiances folles des Boys Noize ou Sebastian des années passées. Il faut bien le dire, le dubstep a envahi les lieux pour ne laisser que des miettes aux DJs. L'excitation est néanmoins moindre, même pendant son tube
Whatever.
Retour donc vers le hall du rock'n'roll pour les américains de
Holloys. Dopé par deux batteries à l'arrière de la scène, le quatuor propose une fusion de math-rock et punk influencé par Wire, croisés récemment du coté de Lorient. Ni les murs ni nos organes internes ne résistent au défoulement des deux batteurs à l'unisson. La voix douce et aiguë fait ressentir une touche pop tranchant parfaitement avec une basse slapée mise en avant. On la suit sans réfléchir de quelques sauts avec le peu qu'il nous reste dans les muscles. Des mélanges d'accords rapides et légers rappellent également Foals : les titres de Holloys sont tout aussi addictifs et dansants. On croirait que la programmation a gardé le meilleur pour la fin... et ce n'est pas terminé.
Le dimanche matin, à 4h, après plus de quarante concerts dans le week-end, la fatigue est bien là et seule une tartiflette peut nous remettre d'aplomb avant le dernier concert. Les anglais de
Wolf People vont alors nous subjuguer. Leur son psychédélique retourne les cerveaux et correspond parfaitement à l'état de fatigue avancé ouvrant certaines perspectives de compréhension de l'espace. Wooden Shjips nous avait déjà fait le coup l'année passée.
Une voix rappelant Josh Homme complète des guitares d'une redoutable efficacité d'un bout à l'autre du concert. Les compositions des Wolf People ne s'offrent pas de temps mort, elles embarquent l'auditeur dans une excitation des plus intenses. Ces dignes héritiers de Pink Floyd savent y faire aussi bien sur des titres atmosphériques se déployant lentement que sur les boucles de riffs enflammées du tube
Tiny Circle. On tient là le meilleur concert du festival, dommage qu'il ait lieu le dimanche matin à 4h45 devant un public clairsemé mais déchainé. Les loups anglais du new psyché nous ont mangés tout cru, on digérera leur concert en rentrant la tête pleine de son.
Ce samedi des Transmusicales fût riche en émotion et rempli de bonnes découvertes. Wolf People resteront un cran au-dessus mais on se souviendra de Holloys, Gianna Factory, Hanni El Khatib, Epic Rain ou Galaxie. On se retrouve dimanche pour la dernière partie de cette chronique avec la création Kütü Folk Records à l'Aire Libre et le bilan du festival.