On débute ce deuxième jour au Reeperbahn Festival de Hambourg en tout début d'après-midi sur la grande scène extérieur du Spielbude XL. Il s'agit d'une scène permanente géante recouverte d'écrans, installée au beau milieu de l'avenue Reeperbahn. Le festival propose des focus sur plusieurs pays dans diverses salles et cet après-midi est consacré à la Corée du Sud.

Loin de la K-pop, on a plutôt à faire à de la K-folk avec
Dajung, qui annonce qu'elle voyage pour la première fois en Europe et vient d'obtenir son baccalauréat. Elle développe une musique introspective et minimaliste. La jeune femme puise son influence dans la scène folk américaine avec des compositions fragiles et frissonnantes, parfaites pour commencer un festival dans la douceur. La coréenne n'oubliera pas de jouer quelques notes de
Dig A Pony pour le clin d'œil à Hambourg.

Je me dirige ensuite vers la maison du Canada qui prend place dans la salle UWE. Le songwriter de Vancouver
Jordan Klassen déploie des arrangements précis dans un folk-pop aérien rappelant parfois Sufjan Stevens. Sa voix flirtant avec les aigües s'accompagne de guitare acoustique et de quelques notes de claviers survolant de classieuses compositions. Un indie folk poétique qui fleure bon les ambiances boisées.
Le village du festival m'attend pour voir les danois de
Blaue Blume pour un concert pas si fleur bleue. L'électro-pop indé du quatuor de Copenhague est sublimée par la voix profonde d'un chanteur habité et par une batterie déchainée, en avant de guitares fantomatiques. Une certaine froideur jaillit de l'ensemble puisque les nappes de synthés ne sont jamais loin pour noyer le tout. Une bonne découverte.

C'est l'heure tant attendue de se diriger vers l'église de Sankt Pauli pour assister au concert d'une de nos chouchoutes : la belge (d'adoption, puisque née en Ethiopie)
Meskereem Mees. Je n'ai jamais été aussi content d'être assis au premier rang d'une église lorsqu'elle s'installe, un peu perdue dans ce grand espace, mais accompagnée d'une violoncelliste qui officie pour la première fois avec elle. Ce début de collaboration ne se ressent pas puisque les deux femmes s'accompagnent parfaitement. Meskerem Mees va parcourir les meilleures compositions de son excellent album
Julius, d'une simplicité folk dépouillée. Elle s'accompagne d'une guitare avec résonateur, dans une église ou le son résonne déjà beaucoup, donnant une texture céleste aux morceaux. L'émotion est bien présente sur
Man Of Manners, chanson qui raconte la mort de son frère avec un certain espoir malgré le violoncelle lancinant. On retrouve également
Joe, histoire d'amour comme murmurée par la chanteuse, avec cette voix semblant provenir d'une âme ancestrale. Le concert se termine avec
Where I'm From, ritournelle entêtante capturant d'un seul trait tout l'univers de Meskerem Mees, s'élevant dans une impressionnante intensité après ce solo de violoncelle divagant. La musicienne de Gand a fait monter l'émotion très haut dans l'église de de Sankt Pauli pour un concert dont on se souviendra longtemps.

La soirée est encore longue puisque je rejoins le jardin du Molotow pour assister à la prestation des canadiens
The Dears. Il s'agit de leur tout premier concert depuis plusieurs années puisqu'ils avaient sorti un disque pendant le confinement mais n'avaient pas rejoué en public depuis. Spoiler : ça ne s'est pas vu. Le chanteur Murray Lightburn débarque un peu en retard sur scène car il devait ramener ses enfants à l'hôtel : le rôle de parent avant le concert, précise-t-il. On voit tout de suite qu'il s'agit d'un groupe qui existe depuis trente ans, à coté de tous ces nouveaux-venus du Reeperbahn, car le son est tout simplement parfait. On a l'impression que les tubes indie rock s'enchainent et on se sent immédiatement transporté à chaque début de morceau. L'ambiance de tension extrême portée par ces guitares sombres et lancinantes et par la classe sans faille de Lightburn nous pousse à danser jusqu'à la désarticulation du corps. Elle est accompagnée par les chœurs de la claviériste Natalia Yanchak qui prendra même le lead vocal sur le tube
Instant Nightmare!, extrait du dernier album, et ces « woohohooho » qu'on a simplement envie de crier avec eux. Les Montréalais envoient un son lourd et abrasif avec un supplément de subtilité et semblent donner tout ce qu'ils ont pour ce concert. La scène a dû leur manquer pendant tout ce temps car on a l'impression d'assister au concert d'un groupe mort de faim mais au sommet de son art. Probablement l'une des meilleures prestations du festival.

Après cette claque de concert, on ne résiste pas à l'envie d'aller voir un groupe français dans la petite cave du Molotow appelée la Karatekeller.
Tapeworms entrent en scène en se présentant comme « your typical french band », et avouons qu'ils ont raison. Le trio Lillois électrise des comptines synthétiques portées par la voix sucrée de Margot Magnère qui semble tout droit sortie d'un jeu vidéo avec son pull vert fluo et son cœur qui pleure sur le ventre. On pense un peu à Stereolab qui aurait ingérés Mario Bros au petit déjeuner, entre deux paquets de Froot Loops. L'indie pop colorée et joyeuse du trio est complétée par la voix fredonnée de Théo Poyer aux légers échos de Thomas Mars (Phoenix). La guitare sait également se faire dissonante pour répondre à la batterie qui cogne fort au-dessus de boucles synthétiques semblant sortis de d'un console 8 bits. Ce groupe possède son monde bien à lui, on y entre facilement pour prendre une bonne dose de fun et de mignonitude.

Je gravis les cinq étages pour me retrouver dans le SkyBar, la salle située tout en haut du Molotow. Les anglais de
DITZ vont faire monter la température avec un punk abrasif qui va littéralement enflammer le Reeperbahn Festival. Le meilleur groupe du monde, dixit Joe Talbot de IDLES, déploie son post-punk noisy au travers d'assauts de guitares cataclysmiques. Toute l'attention se porte sur Cal Francis au chant, dans un état d'excitation intense. Francis n'a plus assez de place pour être sur scène et se trouve à l'avant de la fosse, faisant des aller-retours dans la salle, grimpant sur les poteaux, le tout dans sa robe de satin rose. Avec leurs morceaux en réaction à l'homophobie ou sur la perception des LGBTQI+ comme
Gayboy ou
Total 90, DITZ s'inscrivent dans le mouvement queercore et déploie une rage non dissimulée dans des compositions hyperactives. Dans cette petite salle, on ne sait plus où donner de la tête entre la voix parlée de Francis qui parcourt les lieux ou le groupe qui déchaîne le chaos électrique sur scène. Les décibels du groupe de Brighton ont marqué mes oreilles pour la nuit.

Retour dans le jardin du Molotow où
Billy Nomates électrise déjà la foule de son électro-punk enragé. L'anglaise est seule sur scène, accompagnée d'un laptop qui crache des beats sombres et hyper-dansants. Ses mouvements saccadés sont hypnotisant : elle livre une telle énergie avec une facilité déconcertante qu'elle semble habitée par le démon de la danse. La chanteuse de Leicester balance un set sans concession entre texte politique acérée sur l'état de l'Angleterre actuelle et déflagrations post-punk. Défiante, rebelle et empreinte d'une certaine liberté, seule avec son laptop, Tor Maries pousse son art militant dans des retranchement marqué par une force émancipatrice. Cette cour à l'aspect industrielle de Hambourg reflète parfaitement l'ambiance de ce concert incendiaire qui a survolté le public du Reeperbahn Festival.

Pour terminer cette soirée avec une certaine dose de folie,
Opus Kink envahissent le club avec des sonorités jazz-punk portées par la voix grave du chanteur hurleur Angus Rogers et une section de cuivres mêlant trompette et saxophone. On pense parfois à The Clash mêlés à des influences balkaniques sur fond d'impulsions funky. Le set se veut chaotique et part dans plusieurs directions qu'on a parfois du mal à suivre et à ingurgiter. Ajoutons à cela un petit côté vintage steady rocky à la Madness et on obtient un groupe qui n'a pas peur de se laisser emporter par la folie.
De mon côté, je clos ma deuxième journée de festival avec des images plein la tête. Je retiendrais les fabuleux concerts de Meskereem Mees et The Dears qui, dans des styles différents, m'ont procuré des émotions fortes. Je n'oublie pas Billy Nomates et DITZ pour la fureur de fin de soirée.
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