Le meilleur festival de rock de toute la ville de Vernon ? Probablement parce qu'il est le seul, mais surtout parce qu'il est toujours particulièrement bien fourni en jeunes groupes émergents et explosifs, mon dernier mot, Jean-Pierre, sera Rock In The Barn ! Deux scènes et un petit village associatif dont la quinzième édition nous avait donné du DEADLETTER, du Divorce et du VLURE, et dont la seizième édition promet de son côté Pillow Queens, LUMER, Gurriers, et le lot de découvertes qui va généralement avec un festival prénommé « rock dans la grange » (avec l'accent québécois pour l'effet).

C'est donc sous une averse qu'on prend la première douche sonore de la soirée,
Treaks remet de l'électricité dans l'eau et Nantes au centre de la carte à coups de noise-punk-techno, un genre musical qu'on pensait réservé à Belfast mais qui fonctionne visiblement très bien proche de tous les chantiers navals d'Europe. Le trio nantais mené par la voix et la guitare de Clothilde Arthuis qui mélange Chalk et Lambrini Girls, esprit boîte de nuit et punk féministe qui tape du poing sur la table et du sèche-cheveux dans la baignoire. Pendant ce temps on prend des photos sous le parapluie, le public se cache sous la tente du bar pour ne pas faire éponge dès 19h30, et Treaks tiennent bon contre vents et marées, hissez haut, Santiano. Ça prend l'orage à la rigolade, le groupe prouve à tous les boomers que le rock français c'était pas mieux avant, et pour finir « toustes celleux qui sont restés vous êtes des Queens ».

Des Queens et pas n'importe lesquelles, des
Pillow Queens même ! Le groupe de Dublin qui fait les balances devant personne en espérant que la pluie se calme, une prière exaucée cinq minutes plus tard quand débute
Suffer, premier extrait du dernier album en date des reines de la pop-rock irlandaise. La setlist est trempée, les multiprises sont dangereusement proches de l'eau, mais comme par un certain miracle divin les plombs survivent et le public se remplit au fur et à mesure que se dévoile l'album
Name Your Sorrow :
Gone pour le sublime,
Heavy Pour afin de se moquer de l'eau qui tombe, et
Like A Lesson parce qu'il y a toujours une leçon à tirer de se retrouver un vendredi soir à la frontière normande sous la flotte. Heureusement la lumière est belle,
HowDoILook se demandent Sarah Corcoran, Cathy McGuinness et Pamela Connolly à l'ombre du château des Tourelles de Vernon, et magnifique serait encore un mot trop faible pour décrire la puissance et la beauté de la musique des Pillow Queens. Le dernier single
Be A Big Girl est introduit par le tout premier tatouage de Sarah Corcoran, une chaise sur la cuisse tatouée trois heures avant sous une tente (car oui, Rock In The Barn c'est aussi une tatoueuse, une coiffeuse, des fripes, des vinyles, des associations de prévention et une 306 tunée), et pour finir la fin des fins,
Liffey. Objectivement une des plus belles chansons de l'histoire de la musique irlandaise (objectivement), un hymne à un fleuve d'émeraude et de Guinness chantée face à la Seine, comme un défi, comme un duel amoureux reliant l'Irlande à la France via quelques centaines de kilomètres de mer déchaînée.
De grosses émotions qui méritaient bien trois quarts d'heure de pause pour manger un bout sans rien rater de la musique, et pour la reprise des hostilités, voici
J. Bernardt. Le projet solo du belge Jinte Deprez (ex-Balthazar), a.k.a le seul mec de l'univers qui a décidé de s'appeler Bernardt de son plein gré, et une belle manière de passer quarante-cinq minutes de sa vie. De la soul funky de crooner, tantôt chill et délicate, tantôt électro, dansante et explosive, J. Bernardt est un showman qui connait son business, dans un spectacle parfaitement calé qui semble s'inventer à chaque mesure. Le MC rentre et sort de scène, les musiciens continuent à jouer, tapent des solos pour le plaisir d'une foule toujours plus nombreuse à mesure que la nuit tombe, la pop est classieuse, le bonhomme aussi, et tout le monde s'éclate dans la joie et la bonne humeur car c'est maintenant acté, il ne pleuvra plus de la soirée.

Un flamand pour conjurer le sort et des anglais pour s'excuser de la pluie,
LUMER rentrent en scène sous le château à peine les amplis de J. Bernardt éteints, et même si tout le monde se dit que le post-punk est définitivement fini, voyez qu'il y en a encore pour y croire. Alex Evans débarque remonté comme un yorkshire (si vous n'avez jamais vu un yorkshire remonté croyez-moi c'est terrifiant), les deux ou trois premières chansons tabassent un public encore dans sa vibe funky chill, avant un milieu en ventre mou comme rarement vu depuis Brest en Ligue 1, et une fin de concert qui remettra les pendules à l'heure sur le fuseau horaire de 2020.
Hatred Is A Passion Of Theirs clôt le bal d'un post-punk qui fait de la résistance un pied déjà dans la tombe, Alex Evans se débat et hurle face au public dans une dernière tentative chevaleresque de remporter la bataille, mais si vous avez vu Braveheart vous savez déjà comment ça finit. On ne se souviendra plus de vous que parce que Mel Gibson montre son cul, et malgré un beau combat vous n'aurez rien pu faire face à l'envahisseur, cette fois-ci irlandais.

Des guerriers irlandais pour être précis :
Gurriers débarquent en main event sur la scène du fleuve, le post-punk est mort, vive le noise-punk, et vive Gurriers !
Nausea, Des Goblin, le groupe ouvre en symétrie à son premier album
Come And See, un des meilleurs albums de l'année dernière, le meilleur album de Dublin City si SPRINTS et Fontaines D.C. n'existaient pas, et sur scène une bête féroce prête à retourner la Terre entière. Dan Hoff, le frontman, attendra tout de même la troisième chanson et
Dipping Out pour descendre dans la fosse, et le public relativement calme du début de soirée partira instantanément en fusion, car un concert de Gurriers sera un gigantesque bordel ou ne sera pas. Le nouveau single
Erasure embrase la piste de danse, le bassiste Charlie McCarthy tourbillonne dans sa jupe piquée à IDLES, le groupe gueule « Free Palestine ! » et c'était étonnamment la première de la soirée, mais tout ça n'est que le
Sign Of The Times. Des temps qui changent comme disait Bob, et de cette nouvelle cosmogonie du punk qui s'ouvre devant nous, Gurriers auront bien mérité d'en être les dieux du vacarme. Charlie descend avec sa basse et sa clope pour jouer dans la fosse, Dan hurle un pied sur le retour et les deux mains cramponnées au microphone,
Top Of The Bill nous donne un semblant de répit et une profondeur grandiose avant la machine à laver
No More Photos et
Approachable. Un wall of death en ouverture, un chœur géant en fermeture, et comme le groupe on fera la promotion de cette date au Petit Bain en décembre qui s'annonce comme l'un des concerts les plus cons de l'année.

The end ? Presque, parce qu'il eut été criminel de partir avant d'aller voir
Camion Bip Bip, le groupe préféré de ta lesbienne préférée. Louise, Melino, Elo et Tate qui gueulent sur le système, sur le patriar-caca-pitalisme (comme diraient Ultramoule), et sur à peu près toutes les personnes qu'elles détestent. Rassurez-vous il n'y a pas une chanson par personne, ça ferait trop d'albums à sortir, mais grosses basses et chorégraphies synchronisées à l'appui ça crie Garçons Poubelle (on pense au tri sélectif), ACAB, CHIEN D'LA CASSE, et Club Ouin Ouin devant un public brandissant drapeaux Trans, Bi, ainsi que le traditionnel arc-en-ciel augmenté du spectre infrarouge et ultraviolet. Un spectacle en quatre dimensions pour la visibilité du combat LGBTQIA+, une hyperpop punk et frontale qui court les festivals et les prides comme la police course les manifestants, et même si on n'est pas plus fan que ça de la musique, difficile de reprocher quoi que ce soit à un quatuor qui se donne autant sur scène pour une aussi belle cause.
Et voilà, la fin d'une belle première journée à Rock In The Barn, très joli festival pour qui voudrait éviter le gigantisme des Rock en Seine et consorts, passer un sympathique weekend en Normandie, et découvrir des groupes qui sont ou seront dans les noms à citer pour être à la pointe du rock dès 2025. Des noms comme Treaks, Pillow Queens ou Gurriers, des groupes de la côte et de la mer qui nous auront donné exactement ce qu'on était venu chercher ce soir en terre normande : du gros rock dans la grange.