Far Caspian fait partie de ces phénomènes de niche, où on a l'impression qu'ils sont plus underground qu'underground, mais lorsque l'on arrive à son concert, on voit une salle de taille respectable et un public bien plus jeune qu'attendu, sans que l'on ne comprenne vraiment ce qui a pu l'amener spontanément et aussi nombreux à une musique pas spécialement facile d'accès. En tout cas, ce soir, la Maroquinerie est bien remplie, et ce dès la première partie.

Celle-ci est assurée par No Frills, groupe de Toronto qui confie qu'il s'agit de son deuxième concert hors du Canada après une date à Londres. Ils délivrent un set de slacker rock chill mais sérieux à l'évidence extrêmement influencé par Pavement (on entend rapidement passer un « cut my hair » au milieu des paroles, s'il fallait des signes supplémentaires). L'ensemble est agréable et on entendra des mélodies assez intéressantes sur la fin, sans que cela soit particulièrement marquant. On ne peut s'empêcher de penser que depuis que Mac DeMarco ne se force plus à écrire des chansons mémorables, ce sous-genre manque de têtes de gondole.

Lorsque les lumières s'éteignent, un léger piano enregistré se fait entendre dans la pénombre jusqu'à l'arrivée de pas moins de six musiciens qui lancent une introduction des plus bruyantes avec notamment une guitare jouée à l'archet, ce que l'on entend généralement plutôt dans la noisy pop. Pourtant c'est bien dans cette veine que se situe le début du concert, avec Joel Johnston alias Far Caspian qui chante un peu dans sa bulle mais semble porté par le reste du groupe qui s'en donne à cœur joie pour recréer toutes les nuances du dernier album
Autofiction. Des effets de lumière inattendus arrivent avec un grand déluge bruitiste qui met tout le monde d'accord. Des imitateurs shoegaze de seconde zone en font moins. L'enchaînement avec
First Day est parfaitement exécuté, le public est bien vite conquis. Joel Johnston remercie chaudement le public parisien (généralement fort apprécié par les groupes) et affirme que ça lui change du public anglais (simplement qualifié avec un pouce vers le bas).
An Outstretched Hand commence tout en grâce et en émotion tranquilles, avant les crescendos de sa construction sinusoïdale. Comme tout au long du concert, le nombre de musiciens et leur qualité permettent de restituer tous les détails de la version studio avec ses nuances et subtilités. La première chanson tirée des anciens albums, dans un registre plus pop mais toujours réussi, est bruyamment acclamée, tout comme
Let's Go Outside, annoncée comme la dernière chanson remuante avant un enchaînement plus calme. Après un début instrumental, la voix arrive, mélancoliquement accueillante, avant une grande montée en puissance sur la fin. Un côté americana se fait entendre par moments, même si l'essentiel reste fortement ancré dans une atmosphère champêtre anglaise.

Sans nier la qualité des anciens morceaux, ce sont quand même ceux tirés de
Autofiction qui font la plus forte impression, avec des sons dans tous les sens, tandis que ceux tirés du deuxième album laissent généralement entendre des parties de batterie moins inspirées. Preuve de la mue du groupe, l'enchaînement
Lough/Here Is Now (le même que sur l'album) passe impeccablement de la chanson un peu en décalage au morceau de bravoure, qui est le sommet qui emporte tout : les guitares sont à fond, un mur de son tient l'ensemble solidement et laisse toute latitude à la structure loud/quiet/loud.
Après une demande en mariage sur scène qui donnera le sourire à toute la salle, on revient au deuxième album avec
Pool qui donne l'impression de suivre son petit bonhomme de chemin, tandis que
Whim a un côté très entraînant mais dégage aussi une mélancolie automnale d'une grande classe. La fin du concert se fera sur une chanson présentée comme étant quatre chansons en une seule et une chanson annoncée comme n'ayant pas été répétée depuis deux ans. L'ensemble est parfois chaotique sans que ce soit dérangeant après les démonstrations de force précédentes. Sans rappel mais après un encouragement au stage diving (il n'y en a pas eu finalement, le concert était dynamique mais peut-être pas à ce point), le concert se conclue sur
Finding My Way Home en apothéose.
Le public était visiblement aussi ravi que le groupe, et même si on aurait aimé une encore plus grande place laissée au dernier album, la joie communicative du groupe et les sommets présents en nombre ont montré que le microphénomène Far Caspian a ses raisons d'être.