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MIRO SHOT

Interview publiée par Jordan Meynard le 8 mai 2020

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Après avoir publié deux albums avec Breton, le chanteur Roman Rappak s'est lancé dans un nouveau projet artistique avec le groupe MIRO SHOT. Son objectif ? Bousculer les formats classiques d'écoute et leurs adaptations en live. Pendant deux ans, il a sillonné la planète, appris et dialogué avec les CEO visionnaires et légèrement barges de la Silicon Valley, codé avec des hackers d'Europe de l'Est ou enregistré des pistes avec l'Orchestre Philharmonique de Macédoine. Content est le résultat de toutes ces aventures et de toutes ces réflexions, un album mondialisé dont les onze pistes d'une électro-pop très organique, entremêlent l'art du sample aux instruments réels (basse, guitare, synthé...). Rencontre.

Le premier album de MIRO SHOT, Content, est sorti il y a quelques jours. Un disque plus que jamais d’actualité lorsque l’on sait que tu y abordes les grands thèmes de notre ère sur-numérisée. Comment te sens-tu au moment de révéler au grand jour ce nouveau projet ?

C’est plus qu’un nouveau projet, c’est un nouveau monde. Je pensais qu’en bossant sur l’album on perdrait de vue les raisons pour lesquelles on a commencé le groupe, mais aujourd’hui j’ai finalement l’impression que c’est encore plus puissant qu’avant. Il se passe de plus en plus de choses chaque mois dans le monde. On a commencé ce projet avant le Brexit, le scandale Facebook-Cambridge Analytica, avant le Covid-19... Bizarrement c’était presque prophétique et MIRO SHOT a beaucoup plus d’impact et prend tout son sens maintenant que ces événements se sont produits.

Le premier EP de MIRO SHOT est sorti seulement quelques mois après la dissolution de Breton, preuve que les deux groupes ont coexisté pendant un temps. A quel moment MIRO SHOT est devenu plus qu’un side-project à tes yeux ?

Je n’ai jamais vu MIRO SHOT comme un side-projet. Breton était plutôt un « test » pour voir ce qu’il était possible de faire en tant que groupe. Ça a plutôt bien fonctionné, car on a senti que le public avait des attentes auxquelles notre groupe répondait à cette époque. Nous avons été surpris par l’engouement autour de Breton, mais jamais on ne s’est dit : « Nous allons faire ça pour le premier album, explorer ça pour le deuxième... ». Au début d’un projet, inconsciemment tu te freines et t’imposes des limites. On n’était pas assez confiants pour faire quelque chose d’impactant. Quand tu es jeune, t’es tellement content d’avoir trente personnes dans le public de tes concerts, que tu ne veux pas faire de vagues et préfères rester dans les clous ! (Rires) Pour MIRO SHOT c’est l’inverse : j’ai bossé avec des gens qui n’ont pas froid aux yeux, comme des développeurs et des gens de la tech, et faire bouger les lignes c’est ce qu’ils font tous les six mois.

Justement, MIRO SHOT est un projet un peu particulier, on parle même plus d’un collectif que d’un groupe, avec des centaines de membres (développeurs, personnes qui travaillent dans l’intelligence artificielle ou la réalité augmentée...). Peux-tu nous en dire quelques mots ?

C’est un groupe qui est fait pour provoquer une réflexion et se poser des questions. C’est pour ça que j’aime bien parler avec les journalistes et les fans français, car en France on retrouve cette forme de protestation dans la pensée, la littérature, la peinture et tout l’art en général. On retrouve cette forme de protestation chez les surréalistes, les situationnistes, dans la Nouvelle Vague... Bref des modes de pensée qui remettent en question l’ordre établi. Chaque élément de MIRO SHOT - faire des concerts en réalité virtuelle, notre côté tech start-up, notre univers lié aux jeux vidéo... - tout cela n’est pas un gadget, on veut juste montrer que l’on a fait la musique d’une certaine façon pendant soixante-dix ans et qu’il y a aujourd’hui des outils pour explorer de nouveaux horizons.

Comment t’es venue cette initiative ? Tu avais la sensation que tu n’avais plus rien à apporter via la « musique traditionnelle » ? Quel a été le déclic ?

J’ai eu le déclic en regardant une interview de David Bowie, par Jeremy Paxman, au sujet d’Internet qui date de 1999. C’est incroyable de regarder ça, car il avait prédit plusieurs choses presque un quart de siècle plus tôt, notamment l'énorme impact qu'Internet aurait sur la société. Internet pour moi c’est la prochaine étape pour la musique, car on consomme, mais on crée tout autant. Il y a plusieurs choses qui me fascinent comme le CGU (ndlr : Contenu Généré par les Utilisateurs), l’Open source, Wikipédia... Il n’y a pas un mec qui a écrit tout Wikipédia tout seul, le CEO d'Instagram ne se lève pas chaque matin en se disant « Il faut que je publie des photos » (rires). C’est une auto-alimentation. Je me suis demandé si on pouvait faire ça avec un groupe et si 500 ou 600 personnes pouvaient se dire « Moi j’ai fait partie de ce truc, c’est mon album ». C’est comme le cadavre exquis (ndlr : jeu graphique inventé par les surréalistes) où chaque joueur dessine chacun son tour une partie d’une œuvre commune sans que les autres ne regardent. À la fin, le dessin est dévoilé et ça donne quelque chose de collectif qui peut être soumis à différentes interprétations.

La musique de MIRO SHOT est un mélange d’instruments traditionnels et d’outils numériques. Tu parlais de David Bowie, justement, on sent son influence au même titre que celle de Tyler, The Creator ou encore du groupe Bloc Party. Comment arrive-t-on à rendre ce brassage cohérent ?

Cool, merci pour les références ! Malheureusement, la cohérence est la seule chose de mon projet que je ne peux expliquer. C’est comme regarder ses enfants et se dire « Il a les yeux de sa mère, le nez de son oncle... » (rires). Je pense que je n’ai pas assez de recul. Ça a l’air simple, tu crées de la musique et la partage avec des gens en qui tu as confiance, avec qui tu te sens en sécurité. Tu ajoutes tes idées, retires des choses, en rajoutes de nouveau... Tu t'investis tellement que tu n’arrives pas à en décrocher. Je pense aussi que s’il y a une intention précise au départ - peu importe ce sur quoi tu écris, que ce soit une balade ou une chanson contestataire, qu’elle soit dans un registre hip-hop ou rock - il y aura toujours les mêmes empreintes et la même émotion qui t’est propre, quoique tu fasses.

Aborder des thèmes tels que les GAFAM, les réseaux sociaux, les chamboulements de l’industrie musicale paraît surprenant au premier abord. S’ils peuvent paraître étranges mis en chanson, est-ce pour vous simplement la façon de dépeindre le quotidien en 2020 ?

Écrire un album en 2020 sans parler de ces sujets, c’est écrire un album qui ne s’inscrit pas dans le monde dans lequel on vit. On est saturé par toute cette technologie et pas seulement de manière négative, car je pense que bien utilisée, elle peut nous libérer de beaucoup de maux. Bien sûr, je ne fais pas confiance à ce que je peux lire sur Twitter ou à Cambridge Analytica, mais je n’accorde pas plus de confiance aux humains finalement (rires). On a mis deux mille ans à s’organiser, à éviter la guerre, à nourrir tout le monde et les résultats ne sont toujours pas là.

Tu as évoqué des lives en VR (réalité virtuelle) pendant cette interview, parlons-en. À quoi cela ressemble et quel est le but derrière ce genre d’initiative ?

Dans la journée, on joue des petits concerts intimes, en réalité virtuelle. On joue d’abord quinze minutes en réalité virtuelle, devant un public de vingt personnes, puis on enchaine avec un concert plus « traditionnel » en physique. Avec la réalité virtuelle, tu implantes dans la mémoire du public quelque chose qui ne s’est pas vraiment passé et dans un lieu qui n’existe pas non plus. Quand on joue ensuite le même morceau devant eux en live, les gens l’ont déjà en tête et c’est déjà presque leur chanson. Ça me fascine, cette façon de rentrer dans la mémoire des gens par le biais du virtuel. C’est comme notre interview, quand on aura fini, je t’aurais en mémoire alors que ce ne sont que des pixels sur un écran. Je suis sûr que tout ça va aller plus loin et de manière plus puissante. On veut faire quelque chose de beau et d’intéressant ; c’est la première fois que je me retrouve dans un groupe pour ne pas vendre des billets de concerts ou des albums. On a vraiment quelque chose à dire.

Ce que tu expliques est ce que l’on retrouve sur les réseaux sociaux : implanter dans la mémoire des gens tout un tas de choses via un flux de contenu interrompu. Vos clips, comme celui de Half Of Us, est aussi là pour parler de tous ces sujets, mais d’une manière différente...

C’est une métaphore sur les différents niveaux de lectures qu’il peut y avoir aujourd’hui. On est tellement saturé par les images que je voulais que ce clip soit comme une sorte de scroll hyperactif sur le fil d’actualité d’un réseau social. Il y a des trucs incroyablement positifs, mais aussi horribles qui défilent devant nos yeux tous les jours. Ces choses impactent ton subconscient sans même que tu t’en rendes compte et tu te sens bizarre. C’est ce qu’on a voulu provoquer dans notre vidéo clip. Tu le regardes une fois et ne te sens pas très bien. En le revoyant, tu remarques par exemple que la tête d’un des enfants a été remplacé par celle de Donald Trump sur une image. C’était un moyen efficace de parler du scandale Facebook-Cambridge Analytica et de la manipulation en général. On a aussi glissé des choses positives, car on ne voulait pas faire un truc plombant à la Massive Attack ou Aphex Twin. On ne voulait pas que ce soit une succession de choses plus atroces les unes que les autres comme dans Orange Mécanique.

On l’a compris, MIRO SHOT est un projet singulier et fascinant avec tout un concept et une imagerie qui accompagnent sa musique. À une époque où l'éphémère est maître, où le single prime sur l’album, comment le groupe peut-il trouver sa place ?

C’est une très bonne question qui renvoie à l’éternel débat : « L’album est-il voué à mourir ? ». L’album est un format, Spotify est un format, la radio est un format... Notre réponse, ou plutôt notre action pour répondre à ça, c’est de créer un nouveau contexte de consommation avec la réalité virtuelle. Au début c’était difficile, mais maintenant que tout s’est mis en place nous nous sentons libérés. Certaines personnes du public venues à notre concert n’avaient jamais joué à un jeu vidéo et là, elles se sont retrouvées dans un monde virtuel, avec notre musique en bande sonore. C’est une nouvelle plateforme, un nouveau format, une nouvelle façon de consommer la musique. Quand tu écris un morceau, tu penses à comment celui-ci va s’imbriquer dans l’album car des gens voudront acheter le vinyle et écouter l’album de manière classique. Je veux que l’album marche aussi bien dans un film que dans un jeu vidéo... Pour moi, un morceau qui marche, marchera dans trente contextes différents, peu importe le format.