Darius Keeler, Dave Pen et Pollard Berrier sont en promo à Paris, à l'hôtel Alba. Un hôtel qui, depuis plus de dix ans, accueille la crème des groupes en promo parisienne. Eux n'y ont pas mis les pieds depuis deux ans. Ils sont venus défendre la sortie de leur treizième album studio, Call To Arms & Angels, leur premier depuis six ans et le décevant The False Fondation.
Démarré un mois avant la pandémie, l'album a été écrit, enregistré et mixé dans des conditions dantesques, au plus fort de la crise et notamment pendant les confinements de 2020 et 2021. Par le passé, Archive ont souvent démontré que leur interprétation du monde et leur narration de la société de consommation ont souvent été prophétiques. Avec pas moins de dix-sept titres, Call To Arms & Angels révèle deux années de restrictions, dans une noirceur et une ébullition nouvelles car, pour la premier fois, celles-ci relatent de faits et d'évènements authentiques, et non d'anticipation.
Retrouvailles avec Darius Keeler par écrans interposés (pour de raisons de distance, plus que de COVID-19), plus de deux ans après notre dernière rencontre.
C'est très agréable de vous revoir tous à Paris après plus de deux ans... (Pollard et Dave viennent saluer à la caméra)
Dave : C'est si bon d'être de retour à Paris, après deux ans !
La dernière fois que je vous ai parlé, c'était à Marseille en novembre 2019 lors du concert de la tournée 25...
Dave : C'était notre dernier concert en France. L'avant-dernier de la tournée 25 qui avait duré six mois. Nous avions ensuite joué à Madrid en décembre 2019 et puis, plus rien, pendant deux ans. La première fois que nous nous sommes à nouveau retrouvés pour jouer sur scène, c'était le 9 mars 2022 pour un titre unique, Bullets, en soutien à l'Ukraine au Roundhouse de Camden à Londres. C'était très étrange comme sensation, jamais nous n'avions été éloignés aussi longtemps les uns des autres et de la scène.
Comment vas tu et comment va la petite Saia qui est née un an avant la pandémie ?
Darius : Saia va très bien. Elle a trois ans et demi et elle adore déjà la musique.
Comment se sont passés la pandémie et le confinement ?
Darius : Oh, put... Si tu veux tout savoir, il suffit d'écouter l'album (rires). Et si veux vraiment voir ce que cette période à laissé comme traces et déclenché comme sentiments, il faut que tu voies le film qui accompagne l'album (ndlr : un documentaire tourné pendant la pandémie qui témoigne du quotidien des membres d'Archive pendant les confinements et la création de l'album). Il reflète nos expériences respectives pendant la pandémie, bien plus que les titres de l'album. Le disque, lui, parle plus de l'état du monde et de nos sociétés pendant cette période. Parfois, ce fut acceptable, parfois ce fut très dur. Comme pendant le second confinement qui a vraiment failli me rendre dingue !
C'est un album entièrement créé et enregistré pendant la pandémie. Comment s'est déroulé le processus de création et d'enregistrement avec les autres membres, confinés eux aussi ?
Darius : Avec Holly, tout s'est fait par Zoom, y compris les sessions d'enregistrements vocales (ndlr : Holly Martin vit à Sydney). Généralement, j'écris assez tardivement, avec les autres membres dans la même pièce que moi, c'est ma façon de faire. Mais je dois reconnaitre que les sessions d'écriture en visio avec Holly ont plutôt bien fonctionné. Cela vient surement du fait que, confinés et sans autre choix, nous avions un grand besoin de converser, sur tout et sur rien, et de rester en contact, quel que soit le canal employé. Nous nous sommes presque comportés comme si nous étions en présentiel et sans trop de frustration. La technologie a sûrement empêché nombre de crise de nerfs... et permis à cet album de voir le jour. Pour être honnête, nous avions démarré le processus d'écriture juste avant que cette crise ne démarre, début 2020, et je dois le dire, nous n'étions pas très inspirés. Je déteste dire cela, mais c'est le déclenchement « officiel » de la pandémie qui nous a donné beaucoup de matière et les confinements l'énergie qui, paradoxalement, nous a le plus inspirés. Cette crise a été un déclencheur de colères, mais notre statut de musiciens, même empêchés, nous a permis de les catalyser et d'en faire ressortir un peu de lumière.
Très souvent, vos disques et particulièrement vos textes comme l'atmosphère qui les enrobent sont vus comme des prêches, des prédictions façon Nostradamus ou Orwell. Avec un titre comme Call To Arms And Angels, la réalité d'une guerre aux portes de l'Europe dépasse-t-elle votre fiction ?
Darius : C'est une putain de folie ! Ce type est un dingue. Mais n'oublions pas pour autant que les américains et les anglais font des guerres partout dans le monde depuis des décennies, sans qu'on s'en émeuve. Ils ont bombardé l'Irak, l'Afghanistan... et provoqué des milliers de morts. Ce qui est effrayant avec l'Ukraine, c'est que ça nous menace directement. Ce n'est pas une guerre menée dans un pays éloigné de nous qui nous ne nous touche pas directement. Poutine peut faire de nous ce qu'il veut parce qu'il a l'arme nucléaire. Tout ceci s'arrêtera-t-il un jour ? Effectivement ce disque et le titre choisi sont devenus prophétiques par la force de l'actualité et de ses drames.
Pendant une à deux années, il n'y a eu aucune date de concert, aucun studio d'ouvert, aucune possibilité pour les groupes et les artistes d'exercer leur métier. Et, en prime, vous avez subi le Brexit. Comment-avez vous fait pour survivre et penses-tu que certains aient abandonné cette voie à cause de la pandémie ?
Darius : Bien sûr. Imagine que ces deux dernières années, nous étions programmés dans de nombreux festivals dont les programmations n'ont même pas eu le temps d'être annoncées à cause des vagues de contamination et des confinements successifs. Nous étions prévus à Rock en Seine en tête d'affiche en 2020 avec Massive Attack avec qui nous devions jouer quelques titres ! En tout ce sont plus de vingt festivals majeurs en Europe où nous devions jouer et que nous avons vu s'annuler. Une perte sèche pour le groupe qui, financièrement, est devenue très critique. Alors, oui, nous avons combattu l'adversité et nous sommes mis en mode survie, mais il ne faut pas oublier que nous étions quand même privilégiés comparés à bien d'autres de nos concitoyens. Nous sommes tous en vie et en bonne santé et l'album reçoit de très bonnes critiques à ce jour, donc j'estime que nous figurons parmi les chanceux.
Call To Arms & Angels était annoncé en 2021; j'imagine que terminer ce disque, trouver un studio, le mixer... le tout en pleine pandémie, fut une vraie course d'obstacles ?
Darius : C'était un vrai cauchemar ! Pendant très longtemps nous ne pouvions rien planifier, rien booker. Personne ne savait quand le prochain confinement ou les nouvelles restrictions allaient avoir lieu. Quand tu verras le film qui sort avec l'album (ndlr : Super8, un documentaire sur la création de l'album qui prend place pendant la pandémie) tu comprendras que faire venir Jérôme Devoise pour produire en mai de l'année dernière s'est avéré un échec. J'ai donc décidé d'aller à Paris moi même pour travailler avec lui, mais les déplacements étaient réservés aux motifs très importants. Ma compagne est française, mais comme elle ne vit pas en France, les autorités nous ont dit que le motif de déplacement n'était pas valable. Finalement, nous sommes tombés sur ce fonctionnaire plus compréhensif que les autres qui nous a laissés sortir d'Angleterre et entrer en France. Tu vois, nous sommes quand même des privilégiés dans ces histoires.
Avec des titres comme Daytime Coma, c'est le retour des boucles ombrageuses et des noirceurs sonores façon krautrock, telles qu'elles ont bâti votre légende, à l'image de Finding It So Hard ou encore Controlling Crowds. Quel est le story telling de ce titre de plus de quatorze minutes ?
Darius : Daytime Coma est la synthèse d'une journée type pendant le temps de la pandémie. C'est l'interprétation d'une journée confinée vue par Dave qui, marchant dans la rue, voit des gens collés à la fenêtre des appartements d'un gratte-ciel, essayant de se parler entre voisins. Il imagine la vie de ces personnes résidant dans cette tour, sans extérieur, sans jardin, sans autre espoir d'escapade que la TV ou Internet... Il les imagine dans une sorte de coma. La chanson démarre sur un léger piano, la nuit, pendant laquelle si tu te souviens tout était d'une beauté si calme, il n'y avait pas un bruit, pas une voiture, pas un avion, pas un citoyen dehors. Puis vient le jour et la solitude, l'enfermement, la lassitude et la crise de nerfs, symbolisées par les break, les ponts, la montée du tempo et des nappes synthétiques. C'est un symbole de la catharsis des émotions que cette période a exacerbées.
Sous de nombreux aspects, ce titre nous ramène à Finding It So Hard...
Darius : Absolument, ce titre a une construction et une histoire similaires, sur un autre sujet.
Les pianos et les claviers en général sont assez prédominants dans une grande partie de l'album. Comment avez vous travaillé l'écriture et l'instrumentation, dans les conditions que l'on connaît, et où avez-vous enregistré cet album ?
Darius : L'écriture s'est déroulée partout et nulle part. Par internet et en visio bien sur, et chez chacun de celles et ceux qui ont participé à l'écriture. Dans ma salle de musique, chez Danny (Griffiths), chez Pollard, chez Lisa (Mottram) notre nouvelle chanteuse (ndlr : qui avait collaboré au side-project D Gee Mono), ou encore chez Holly Martin, en Australie. Je me suis également rendu chez Dave (Pen) à Southampton deux ou trois fois. Dès qu'un confinement était annoncé, nous nous dépêchions de mettre en place des réunions avant afin de nous retrouver pour une session de travail. Une fois les bandes préparées, nous avons, non sans mal, pu nous retrouver au studio RAK de Londres pour deux semaines d'enregistrement. Et si l'album sonne aussi bien, c'est que Jérôme Devoise était une de fois de plus aux manettes.
L'album est accompagné d'un documentaire de plus d'une heure trente, intitulé « Super8 » et qui relate le quotidien d'un groupe essayant d'enregistrer un album, mais également celui de vos concitoyens pendant la pandémie. Qui a tourné ce documentaire et comment vous y êtes-vous pris pendant les confinements ?
Darius : Les protagonistes s'appellent Ben Sommers et Dean Austin. Ils font généralement des vidéo clips pour des groupes et ce genre de choses, toujours très créatives. Au départ, notre manager nous a dit : « il faut que vous ayez des images à montrer de cette pandémie pour accompagner ce nouveau disque ». Et, petit à petit c'est devenu un vrai documentaire. Effectivement, je pense que cet album méritait un « accompagnement visuel » car cette période de pandémie nous a fait entrer et vivre dans un univers complètement différent. Un espace temps encore inconnu : Les ciels clairs de pollutions et sans chemtrails, les rues vides, les feux qui changeaient de couleur pour personne, les passages piétons sans piétons, le silence et la résignation... Nous avons encore un peu de travail à faire sur le montage final, mais je trouve que c'est le compagnon idéal de l'album Call To Arms & Angels.
Vos chansons sont généralement taillées pour le live et on attend avec impatience l'interprétation de titres comme Daytime Coma sur scène. C'est un facteur que tu prends obligatoirement en compte dans la composition des titres ?
Darius : C'est vrai. Lors des premiers échanges avec Jérôme à propos des premières démos de l'album, il était évident que nos titres seraient intéressants à jouer en live. Il ne faut pas oublier que nous sortions de la plus grosse tournée que nous n'avions jamais entreprise et qui fut un gros succès. Avec de nombreux concerts à guichets fermés, six mois de live et de vie sur les routes, ça laisse des traces. Cette atmosphère de live nous habitait encore, paradoxalement, lorsque nous nous sommes penchés sur Call To Arms & Angels. Notamment sur le titre Mr Daisy qui a été enregistré « live » en une seule prise au studio RAK.
En parlant de live, vous annoncez à nouveau une tournée ambitieuse à la fin de l'année 2022. Plus de quarante dates à travers toute l'Europe avec, en ligne de mire, l'Accor Arena Bercy à Paris le 25 novembre 2022, soit la plus grande salle que vous n'ayez jamais investie !
Darius : C'est dingue n'est-ce pas ? Le truc, c'est que nous sommes venus tellement de fois jouer à Paris et avons connu tellement de salles différentes que nous voulions tenter quelque chose de nouveau. Notre agent qui connait les salles d'une jauge de plus de 5000 spectateurs nous a dit, « les gars il faut que vous expérimentiez une salle de six, sept voire dix-mille personnes. C'est extraordinaire la dynamique qui en ressort ! ». Je ne voulais pas faire un Zénith à nouveau, je voulais que nos fans aient droit à quelque chose de totalement nouveau. C'est un challenge, je te l'accorde. Mais c'est ce qui nous excite dans notre carrière. D'ailleurs, nous aimerions jouer Call To Arms & Angels dans son entièreté sur quelques dates lors de cette tournée. Et pour mieux nous y préparer, nous ne jouerons dans aucun festival cet été.