logo SOV

Porcupine Tree

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 21 juin 2022

Bookmark and Share
Le retour inattendu de Porcupine Tree, groupe mythique et quasi mystique du fait de sa rare présence dans les médias, ne se serait jamais produit si le virus du COVID-19 n'était passé par là. Sans remercier ce dernier dont on se serait bien passé, nous apprécions ce drôle de jeu du hasard et retrouvons Steven Wilson (chant et guitare) et Richard Barbieri (claviers) toujours aussi généreux en conférence de presse à Paris pour la sortie de Closure/Continuation afin que ces derniers nous éclairent sur ce comeback après dix longues années.

Ravis de retrouver Porcupine Tree avec un nouvel album suite à cette pause de dix ans. Pouvez-vous nous expliquer les conditions de ce retour un peu providentiel ?

Richard : Çà s'est fait à différentes périodes. Steven s'est retrouvé avec Gavin (ndlr : Gavin Harrison, batteur) dès 2012, juste pour jouer ensemble. Steven était d'ailleurs à la basse, Gavin n'ayant pas de guitare chez lui. Ils ont alors naturellement commencé à écrire des choses. Je fonctionne un peu différemment. Les garçons se retrouvent ensemble et moi je travaille de mon côté et leur envoie du matériel, des idées, comme le fait un designer. Nous avons réuni nos travaux et en est immédiatement sorti l'essence même de Porcupine Tree. Pas d'invités, pas d'autres musiciens, juste nous trois.
Steven : Me concernant, ça a vraiment débuté avec le début du confinement, et comme tout le monde je me suis retrouvé avec énormément de temps devant moi. Ma tournée a été annulée (ndlr : la tournée pour The Future Bites, dernier album solo de Steven Wilson qui devait avoir lieu en 2020), et je me suis penché à nouveau sur ces morceaux que nous avions travaillés sept ans auparavant. J'ai tout mis sur mon téléphone pour aller me balader avec dans les bois et je me suis dit qu'on avait vraiment de quoi faire un nouvel album. Ensuite nous avons contacté Gavin pour le laisser s'immerger à nouveau dans nos essais. Pour être honnête, le confinement n'aurait pas eu lieu, nous ne serions pas là avec un nouveau disque. C'est peut-être une des rares bonnes choses qui en soit issu !

Ce nouvel album s'appelle Closure/Continuation. Un titre qui a du sens du fait de l'histoire de Porcupine Tree. Y'a-t-il eu un titre ou même un sujet dans l'album plus délicat qu'un autre à travailler, et pourquoi ?

Steven : Le plus dur était de donner un nouveau son à l'album. Dès 2010, nous avions le sentiment que Porcupine Tree commençait à se répéter. Le dernier album The Incident était bon mais il n'y avait rien de neuf dedans. J'avais besoin de tenter autre chose, de me frotter à d'autres styles et on ne peut pas toujours faire ça dans le contexte d'un groupe. La création d'un nouvel album a pris du temps car nous cherchions à évoluer mais à rester identifiables en tant que Porcupine Tree. A son écoute, il n'y a pas de doute sur son origine et c'est en même temps neuf. Nous nous beaucoup amusés pour cet album, et je me suis senti plus à l'aise au sein d'une équipe, n'étant à la base pas très collectif dans le processus de création. Les thèmes sont variés : c'est sombre et grave mais en même temps pas mal joyeux. C'est un album différent.

Quel a été le point de départ pour choisir ce qui allait entrer dans ce disque ?

Steven : Nous sommes partis de rien. Je parlais de morceaux laissés à l'abandon il y a sept ans, il y avait une raison à cela (rires) ! Le processus d'écriture est complétement nouveau pour l'album. Hormis une chanson, toutes sont le fruit d'un travail collectif, c'est unique dans notre histoire. Normalement j'écris 75% d'un album de Porcupine Tree et le reste revient aux autres. Ici, nous avons totalement repensé notre façon de faire.
Richard : Nous avons modifié notre philosophie de composition. A partir de sons et d'idées qui étaient propres à Gavin et moi-même, nous les avons données à Steven qui s'est imprégné de notre vision pour l'embellir. Puis Steven écrit des paroles, et cela revient vers moi. Grâce à ces allers-retours, nous avons créé un tout nouvel univers. Un peu à l'image du personnage dans la chanson Dignity, que l'on voit évoluer de la petite école jusqu'à l'âge de la maturité. C'est comme un voyage.

Vous serez accompagnés sur cette tournée par Randy McStine à la guitare et Nathan Navarro à la basse. Comment vous êtes-vous associés à ces musiciens ?

Steven : Gavin les a choisis. Personnellement je ne les connaissais pas du tout, nous lui avons totalement fait confiance. Gavin a joué avec un des deux, et l'autre, il l'a découvert sur Youtube. Il les a invités, nous avons répété ensemble et c'était parfait, ils sont très talentueux.

Vous cumulez trente ans de carrière, ensemble avec le groupe ou en solo chacun de votre côté. De quoi êtes-vous le plus fiers ?

Steven : Globalement, que ce soit avec Porcupine Tree ou avec mes disques solos, ce dont je suis vraiment fier est d'avoir créé mon propre petit univers. Qu'on nous associe tout de suite dans un genre précis, le rock progressif majoritairement, je le comprends car mes racines viennent de là. Mais il y en a d'autres qui me définissent. Nous nous sommes battus pour avoir le droit d'être hors cadre. Par exemple, quand on pense à Kate Bush ou David Bowie, ils ne sont pas catalogués sous un seul genre. Porcupine Tree a mérité ce droit. On trouve chez nous différents groove, différentes textures, différentes couleurs mais toujours reconnaissables comme Porcupine Tree. C'est très clair avec le nouvel album : il y a des nouvelles sonorités mais c'est immédiatement identifiable. C'est ce dont je suis fier, avoir créé un son unique.
Richard : Être capable de créer ce que tu veux, sans se soucier de si c'est commercial, et le faire tout au long de ta carrière, c'est ça le succès.

Comment se sont passées les retrouvailles en studio pour Closure/Continuation ?

Richard : C'est amusant car, après une telle pause, les gens pensent que nous avons coupé les ponts durant tout ce temps. Mais pas du tout ! Nous sommes restés en contact, nous envoyant de ci de là des musiques, des sons... Nous étions surtout très concentrés dès le retour en studio.
Steven : Ce qui était drôle, c'est moi jouant de la guitare, mon regard passant de l'un vers l'autre avec un grand sourire sur le visage et Richard et Gavin tête baissée sur les claviers, totalement concentrés sur la musique.

A propos des textes de l'album, certains font un parallèle avec l'état actuel de notre société, comme dans la chanson Never Have qui s'adresse clairement aux plus jeunes...

Steven : Il est difficile d'écrire aujourd'hui sans penser aux nouvelles générations. J'ai personnellement deux belles-filles adolescentes maintenant et j'observe la différence entre la façon dont elles sont connectées au monde qui les entoure, et la mienne quand j'avais leur âge. Évidemment, nous avons conscience à quel point les jeunes ont à peu près tout ce qu'ils désirent aujourd'hui et très tôt. Personnellement, avoir ne serait-ce qu'une télévision dans ma chambre relevait du fantasme ! A dix ans, ils ont tous des portables, alors cette connexion, cette forme de lien, est très forte. Ils obtiennent le matériel mais sans aucun sens de l'accomplissement. Et pour avoir le sens de l'accomplissement il faut se battre pour quelque chose. Ce qu'en majorité ils ne font plus. Dans la musique, par exemple, il y a sur Spotify quelque chose comme 7000 nouvelles chansons par jour, c'est plus de musique publiée en 2022 que dans toute l'histoire de la musique. Un musicien doit se battre pour attirer l'attention, se créer des opportunités. Comment tout cela va-t-il affecter les jeunes mentalement, vont-ils avoir des buts, des envies de se battre pour obtenir quelque chose ? C'est ce à quoi je fais référence dans Never Have.

Vos fans sont très impatients à l'idée de vous retrouver. Avez-vous ressenti une pression quelconque en faisant l'album ?

Richard : Non, c'est la première fois que nous nous sentons libres de toute pression. D'ordinaire il faut jongler avec les attentes des maisons de disques, du management, mais là rien de tel puisque personne ne savait ce que nous faisions ! Nous nous sommes sentis libres et cet album sonne ainsi grâce à ça. Le titre Closure/Continuation indique lui-même qu'il n'y a pas eu de pression. Nous fermons et ouvrons la parenthèse à notre guise.
Steven : Personnellement, je m'en fout de ce que pense les fans. Tous les artistes devraient penser comme ça, ne jamais se soucier de ce que l'on attend d'eux. Ce n'est pas que je n'en tiens pas compte, je serais heureux que tout le monde aime le disque, mais ça ne ferait aucune différence le cas contraire, nous le sortons car nous pensons qu'il est bon. Nous ne sortirions pas un album qui répondrait uniquement aux demandes. J'ai conscience des attentes mais je suis immunisé contre. Richard lui lit tous les commentaires sur Internet, moi je ne le fais jamais...
Richard : Non il ment... Au dos de son livre, il écrit qu'il ment, et bien c'est vrai (rires) ! Il se contredit tout le temps. J'ai lu les commentaires sur Harridan, quand la vidéo est sortie sur Youtube. Ils sont tous positifs. Mais je n'y passe pas mes journées.

Le style musical des albums solo de Steven a pu troubler les fans du groupe, notamment avec The Future Bites qui entre dans un environnement électro. Va-t-on renouer avec une musicalité plus rock dorénavant ?

Steven : Cela signifierait qu'il y a une logique dans notre cheminement, mais il n'y en a pas. Je comprends la question cependant : mon travail solo s'est largement éloigné du son Porcupine Tree ces dix dernières années. C'est pourquoi maintenant est le bon moment de revenir au rock. Il faut aussi se rappeler que ce nouvel album a été fait sur une longue période, et paradoxalement les chansons le plus récentes sont les moins rock, par exemple Walk The Plank n'a aucune guitare, car je me suis désintéressé de cet instrument au fur et à mesure, c'est vrai. Le disque est un reflet du chemin musical que j'ai emprunté depuis.

Avec ce nouveau son que vous décrivez, qui reste néanmoins identifiable comme du Porcupine Tree, pensez-vous attirer de tous nouveaux auditeurs ? Votre style est-il devenu plus accessible ?

Steven : Une erreur que l'industrie musicale fait bien trop souvent de nos jours est de calibrer les nouveautés directement sur les formats TikTok. Ils sous-estiment la capacité du public à s'impliquer dans les différentes strates que la musique peut apporter. On sait que les jeunes écoutent sur leur téléphone avec des vidéos d'une ou deux minutes, mais il y a toujours parmi eux ceux qui vont chercher plus loin, creuser plus en profondeur ce qu'ils ont découvert. Porcupine Tree est une alternative. Aujourd'hui les gens pensent à Nirvana comme un groupe alternatif, mais il n'y a pas plus mainstream que Nirvana ! Je pense que nous proposons plus de complexité, dans laquelle il faut se plonger et consacrer plus de temps. J'espère que le public recherche toujours ce type d'expérience. Mais c'est peut-être un fantasme de ma part d'espérer ça ! De toute façon, j'ai toujours aimé, au travers ma musique, déranger les gens, les sortir de leur zone de confort mais les retours actuels montrent que l'album plaît alors je suis optimiste.

La presse anglaise vous avait défini il y a quelques années comme le « meilleur groupe dont vous n'avez jamais entendu parler ». Qu'en est il de cette définition aujourd'hui ?

Steven : Oui, je m'en souviens, c'est une bonne définition ! Ce qui est génial c'est que la légende Porcupine Tree s'est perpétuée en notre absence. Ça prouve que notre musique a toujours eu de l'écho durant ce hiatus, et peut-être plus que lorsque nous étions en activité avec les précédents disques. Mais si je demandais à cent personnes si elles connaissent le groupe, je ne pense pas que plus de deux répondraient positivement.
Richard : Si nous étions dans les années 70, avec seulement la presse, les radios et la télévision, tout le monde nous connaîtrait ! Mais aujourd'hui avec Internet, avec toutes ces sources, c'est très dilué.

Que pensez-vous de votre public français ?

Steven : Nous adorons la France, bien que nous soyons anglais (rires) ! La musique, la culture, l'hôtel où nous sommes, on ne peut pas faire plus français.
Richard : Au début, c'est l'Italie que nous a donné beaucoup d'échos, puis petit à petit la France. Le public s'est élargi et les concerts se remplissent de plus en plus.
Steven : Encore quinze ans et nous serons enfin célèbres en France (rires).