Tout juste de retour d’une longue tournée aux Etats-Unis, Fontaines D.C. ont rempilé au mois de juin pour une série de concerts avant les festivals de l’été.
Rencontre avant leur show au Transbordeur de Villeurbanne avec Conor Curley, guitariste, pour parler notamment concerts, écriture et influences, et identité irlandaise.
Peux-tu me parler de votre récente tournée aux États-Unis ? Vous avez l’air d’en avoir bien profité !
Oui (bâille). C’était bien. Elle a eu son lot de difficultés aussi tu sais, nous avons dû annuler quelques concerts au début parce que Grian avait perdu sa voix (ndlr : à cause d’une laryngite). Je trouve que tourner en Amérique est assez difficile mentalement parce que la nourriture est vraiment mauvaise, c’est très long et le pays est très grand. Mais c’était vraiment bien, et ça s’est très bien terminé. Nos deux derniers shows à Los Angeles étaient géniaux. Ça s’est terminé en beauté.
Tu as évoqué l’aspect mental. Qu’est-ce que vous faites maintenant pour vous sentir mieux, pour prendre soin les uns des autres ?
Un des choses que nous avons commencée à faire c’est de courir pendant la tournée. J’ai l’impression que faire de l’exercice peut t’aider à avoir les idées claires, au lieu de juste sortir et passer son temps à boire. Donc oui, nous avons simplement commencé à courir ensemble et c’est sympa, c’est aussi une bonne chose à faire en collectif.
Oui, parce que vous avez un emploi du temps complètement fou...
Oui, c’est plutôt intense mais, tu sais, c’est comme ce vieux proverbe que nous avons en Irlande : « Make hay while the sun shines » (ndlr : « Fais du foin tant que le soleil brille »). Cela signifie en quelque sorte qu’une fois l’album sorti, il faut foncer.
Et ce soir vous dévoilez le vidéo clip de Roman Holiday. Il me fait penser à celui de Too Real...
Ah oui ?
La qualité de l’image peut-être...
Oui, c’est une des premières vidéos que nous avons faites depuis Too Real où l’on joue un rôle, en quelque sorte, différent de qui l’on est.
Ça ressemble à un kidnapping...
Oui. En ce sens les deux vidéo clips sont assez similaires. C’est vraiment drôle, et je pense que c’est bien pour nous d’essayer de jouer des personnages. Au final tu montres plus de ta personnalité qu’en te tenant juste debout à jouer de la guitare.
Comment vous sont venus les noms des personnages du générique ?
C’étaient juste des sortes de surnoms bizarres que nous avons eus au fil des années. Le mien, « David Leatherman », c’est le nom d’un compte Instagram que j’avais créé et avec lequel je suivais les gars, et je ne leur ai pas dit que c’était moi. Ils pensaient que c’était juste un mec bizarre. Ça a été un secret pendant un moment et j’ai fini par leur dire.
A propos de votre nouvel album maintenant, qu’est-ce que tu écoutais pendant l’écriture de celui-ci ?
Beaucoup de Primal Scream et de Broadcast. Je pense qu’on écoutait tous des choses différentes parce que pas mal de chansons de l’album viennent de démos que nous avions faites séparément pendant le confinement, donc on est tous partis dans des directions différentes, en essayant de développer des motifs et des paysages sonores différents.
Et quels livres lisais-tu ?
La Peste d’Albert Camus. Et bien sûr Lolita. Quoi d’autre ? Oh, il y a un recueil de nouvelles d’un auteur irlandais, Kevin Barry, le livre s’appelle That Old Country Music.
Tu as évoqué Lolita, ce qui m’amène à la chanson Nabokov : tu l’as écrite seul ?
Oui, j’ai écrit la musique et Grian la partie chantée.
Comment ça s’est passé ?
C’était pendant le confinement, à New York. Je crois qu’à l’origine je voulais juste quelque chose qui sonnait à mi-chemin entre Gilla Band et The Brian Jonestown Massacre, pour créer une musique en quelque sorte à la fois industrielle et psychédélique, puis ça s’est transformé et développé pour arriver à cette chanson.
Pourquoi ce titre ?
La raison c’est que j’avais cette démo sur mon ordinateur donc je devais lui donner un nom. J’étais en train de lire un livre de Patti Smith à ce moment-là et elle expliquait à quel point elle aimait l’écriture de Nabokov. Et je trouvais que ce nom sonnait comme une chanson de Primal Scream alors je l’ai appelée comme ça et c’est resté.
Vous avez donc composé l’album pendant le confinement, vous étiez séparés, comment vous avez fait pour réunir vos idées ?
Nous avons tous emménagé à Londres. Tom, Carlos et moi vivions ensemble. Grian était déjà là et Deego séjournait à Londres également. Quand nous avons commencé à nous retrouver dans la salle, nous avions un tableau blanc, on y écrivait nos idées de chansons. On en avait trente-quatre ou quelque chose comme ça. On discutait et travaillait sur une ou deux d’entre elles chaque jour, pour voir si elles valaient quelque chose, pour les arranger. Et à la fin il était clair que nous avions dix chansons qui étaient meilleures que le reste et ce sont celles qui se sont retrouvées sur l’album.
Est-ce que vous pensez sortir les autres ou les retravailler plus tard ?
Oui, en fait, à l’écriture de chaque album, il y a toujours des idées qui survivent, puis reviennent. Parfois ce n’est juste pas le bon moment, et j’ai l’impression qu’il y a des idées de chansons que nous ne sommes pas prêts à terminer, mais que nous parviendrons à traier à l’avenir.
A propos des identités irlandaises, dont vous avez parlé dans de nombreuses interviews, est-ce que tu penses qu’il y a une nouvelle « Irishness » aujourd’hui, et comment tu la définirais ?
Il y en a une nouvelle aujourd’hui, et ce n’est clairement pas celle qui nous fait rêver, que l’on idéalise. Cette nouvelle identité irlandaise est plutôt une triste affaire. Le pays est vraiment bizarre depuis la crise de 2008. C’est comme si l’Irlande était une sorte d’esclave des sociétés nationales, comme Google ou ce genre de chose, qui ne paient pas d’impôts. Donc en ce sens, la nouvelle identité irlandaise est triste. Celle que l’on veut est celle de la musique, des artistes et écrivains irlandais, des poètes. C’est celle qui, pour nous, va permettre à notre pays de survivre. Parce que tu sais, nous n’avons pas de... plus personne ne parle la langue irlandaise. Nous n’avons pas de langue irlandaise. Nous n’avons pas de langue, alors l’identité culturelle décline. C’est comme si nous n’avions rien auquel nous raccrocher.
Mais les enseignants doivent connaître le gaélique pour enseigner, n’est-ce pas ?
Oui, ils l’enseignent, mais c’est juste que c’est une très vieille langue, qui n’est pas utilisée au quotidien. C’est difficile de l’adapter aux choses que tu fais chaque jour. De nombreuses expressions ne correspondent pas au monde moderne, tu vois, et c’est dommage.
Une des chansons de l'album est plutôt politique : I Love You. Grian disait avant qu’il ne se sentait pas d’écrire de chanson politique de manière aussi directe. Qu’est-ce qui a changé, à ton avis ?
Je pense que ce qu’il a toujours très bien fait, c’est, au lieu de, disons, dire les choses de façon trop politique, il fait un commentaire, auquel les gens peuvent réfléchir, ou penser « Oh, je le pense aussi » ou « Je ne suis pas d’accord ». Je crois que c’est le meilleur moyen de faire réfléchir les gens sur la politique. Et non pas en leur disant qu’ils doivent croire ou penser d’une manière. Dans cette chanson, c’est juste une idée. « Is their mommy Fine Gael and is their daddy Fianna Fáil? », ces deux partis politiques ce sont mes parents, et c’est juste un souvenir. Ce qui est communiqué aux gens crée de la nostalgie et des pensées.
En concert, je trouve que vous jouez de mieux en mieux. Vous vous sentez plus en confiance sur scène maintenant ?
Oui, à 100% ! Je pense qu’à chaque album on « aiguise » nos chansons en concert, et on est devenus des musiciens et performers assez accomplis. On vient juste de jouer devant quinze mille personnes au Primavera Sound Festival. Ça nous a juste paru naturel, on y a notre place.
Est-ce que jouer vos chansons en live avant qu’elles ne sortent change votre perception de celles-ci par rapport aux versions studio puisque vous y ajoutez ou changez certains éléments en concert. Ça vous arrive de vous dire que vous auriez dû faire de même sur l’enregistrement ?
Je pense que ce sont juste deux choses différentes. Je crois que quand les gens écoutent les chansons enregistrées, ils ont eu le temps de les digérer. Donc une chanson peut être beaucoup plus lente, parce qu’ils pourront s’asseoir et prendre le temps de l’écouter. En concert c’est quasiment comme si tu devais avoir une accroche (claque des doigts), pour retenir l’attention du public, et la conserver tout le temps, donc c’est la raison pour laquelle c’est différent en live.
Vous avez travaillé avec Dan Carey à nouveau sur cet album. J’avais entendu dans un podcast à propos de la production de A Hero’s Death qu’il aime changer sa façon de travailler sur chaque album. Par exemple, sur Skinty Fia, il semble qu’il y a plus de reverb sur les voix. Quels sont les autres éléments qui ont changé dans le processus d’enregistrement et de production ?
Les deux premiers albums ont été enregistrés dans le studio de Dan, dans sa maison, son propre studio. Cet endroit est incroyable, c’est un petit studio et il y a une certaine atmosphère et un certain son. Mais sur ce nouvel album, nous sommes allés dans un studio résidentiel, quelque part entre Oxford et Coventry. C’est une salle beaucoup plus grande. Nous avons procédé de la même manière qu’avant pour beaucoup de choses, sauf que nous pouvions « entendre » l’espace de cette grande salle. Alors que dans la salle de Dan les enregistrements sonnent beaucoup plus « compacts » et intimes. C’était bien, c’était vraiment une super expérience.
Au sujet des guitares, comment vous avez travaillé les sons avec Carlos ?
J’ai l’impression que lui et moi avons développé une manière sympa de travailler, mais on n’explique jamais ce qu’on est en train de faire. On se contente d’entendre ce que l’autre personne fait et de répondre, et je pense qu’on est parvenus à une communication sans mots. Par exemple s’il part sur beaucoup de distorsion ou un genre de complexité, alors je vais contrebalancer avec un son plus propre et essayer d’obtenir un équilibre, en quelque sorte.
Cet album dans son ensemble est plus lent que les précédents. Cela renvoie à la vie durant le confinement. Tu penses que c’est ce qui a influencé cet élément ? Est-ce que c’était une nécessité pour vous ou bien le confinement vous a mené dans cette direction ?
C’est vrai que c’est plus lent, mais la batterie est plus « épaisse », si tu vois ce que je veux dire. Je pense que ça vient juste de plus de confiance. J’ai l’impression qu’avant, beaucoup de chansons que l’on jouait en live devenaient de plus en plus rapides, mais maintenant nous avons plus de confiance, pour laisser les morceaux respirer.
Comment était la première fois que vous avez joué In ár gCroíthe go deo sur scène ? Elle est très émotionnelle...
C’était éprouvant. J’étais assez nerveux à ce propos, et je n’en ai pas vraiment profité parce que j’étais concentré sur mon chant. Nous la jouons de mieux en mieux maintenant donc j’y pense moins et j’en profite beaucoup plus. C’est une des premières chansons que nous avons écrites pour cet album. Nous avons commencé par faire quelque chose d’un peu différent et c’était excitant. C’est en premier lieu ce qui nous a poussé à écrire l’album, tu sais, une fois que nous avons terminé cette chanson.
Alors ce titre a influencé le reste de l’album ?
Tout à fait. Une fois que nous avions quelques chansons, surtout celles que nous avons écrites ensemble, dans la salle. Elles ne venaient pas que d’une seule personne. Ça unifie énormément d’écrire de cette manière et ça nous rend super enthousiastes à l’idée d’écrire ensemble.
Skinty Fia, la chanson, est assez différente des autres sur le disque, assez surprenante même. Comment vous est-elle venue ?
Pour celle-ci nous avons juste commencé à faire un bœuf musical. Il me semble que Deego était en train de jouer de la basse, et Tom jouait de manière assez décontractée, des genres de contretemps. Carlos et moi nous avons improvisé.
Merci et à ce soir !
Cool, j’espère que tu vas aimer le show.