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Selfish Cunt

Paris, La Gaîté Lyrique - 1er juin 2011

Live-report par Olivier Kalousdian

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Films rares ou inédits, classiques flamboyants et avant-premières, pendant cinq jours et cinq nuits, le festival Filmer La Musique, produit par le collectif Mu, nous ballade à travers des images musicales, documentaires, fictions et expériences online. Et, tous les soirs, une programmation musicale électrique dans la grande salle de la Gaîté lyrique et son système d'écrans immersifs. Pendant toute la durée du festival, la web-tv éphémère traversera ces constellations et émettra en direct.
Ce soir, Catholic Spray ouvre la soirée et résonne dans toute la France depuis les profondeurs des caves de Belleville. Groupe de scène à part entière, cette jeune clique de vandales qui n'accordent pas leurs guitares assène avec une rage communicative un rock garage jusqu'au boutiste et bruyant et un twist issu des années 50/60 sur la cote Californienne, le tout assumé façon Marilyn Manson. Seul le son, trop fort, empêche d’apprécier à sa juste valeur ces rockers psychés sortis tout droit de chez Born Bad.

Vient ensuite Moon Duo, une collaboration entre Eric Ripley Johnson, chanteur et guitariste de Wooden Shjips, et Senae Yamada. Ensemble, ils produisent des morceaux rock psychédéliques minimalistes... à tendance transe ! Ils viennent nous présenter leur nouvel album transcendant, débordant de riffs hypnotiques et de mélodies éthérées.
Américains jusqu’au bout des cheveux et de la barbe (façon Warren Ellis pour Eric), le duo nous la joue Suicide avec un guitariste aux riffs bouclés et une bonne à tout faire, Senae, qui, ses machines électroniques minimalistes comme un prolongement de ses doigts, semble habitée d’un esprit Cheyenne ou Sioux quand elle remue et saute en l’air tout au long des longues (trop) minutes de titres fantomatiques dont Motorcycle, I Love You ne peut être qu’un hommage rendu à Alan Vega sous peine de tomber sous le plagiat le plus grossier !

Attention, groupe Rated R ! Formée en 2003, déjà, Selfish Cunt fut vite remarqué pour des paroles provocatrices et des shows en forme de performances physiques où Martin Tomlinson, fondateur et leader, joue les transformistes, les invertis et le scandale, comme pouvait le faire Iggy, période Stooges. Il partage d’ailleurs avec l’iguane cet amour de son corps qui le conduit à l’exhiber et le caresser, du début à la fin du set. Rarement, cette année tout du moins, aura-t-on autant exulté en visionnant, à répétition, le clip tout simplement dément de England Made Me II ! Montage parfait de plusieurs captations live sur un titre dans sa nouvelle version studio (Uncle Sam à l’origine), bien plus précis et percutant qu’en live ; une prestation absolument démente de Martin et de sa bande qui semblent possédés comme un pasteur sous amphétamines dans une église méthodiste du sud du Texas un dimanche d’été...
Du coup, c’est avec une motivation toute particulière que je me rends à la Gaîté Lyrique ce soir ; curieux de voir un groupe aux critiques si enflammées, si noisy et engagé artistiquement que pouvaient l’être les gothiques mirifiques du Bauhaus ! Mais, réduire Selfish Cunt à des comparatifs avec leurs aînés ne suffit pas ; ce sont des transformistes, dans la mise en scène comme dans la musique. Autant le clip England Made Me II est sombre et possédé, autant le show de ce soir est haut en couleurs, distillées par un écran géant fixé derrière le groupe et qu’alimente un vidéo projecteur puissant en images flashy tournant en boucle sur toute la surface de l’arrière de la scène. Martin, qui aime à surprendre son monde, fait son entrée sur scène habillé ou plutôt recouvert de la tête au pied. Un pantalon vinyle noir recouvert par un haut à fermeture éclair noir qui lui descend sur les genoux à la façon d’une tunique, un chapeau de tafta noir recouvrant une cagoule du GIGN, noire également... le tout pour une apparence de momie ou de Djinn échappé d’un film de Disney !

Androgyne quasi inverti, il n’a besoin que d’un titre pour finir torse nu, la langue constamment sortie et mimant quelques scènes obscènes dont il aimerait que la salle se délecte. Manque de chance, le public de la Gaîté Lyrique n’est pas celui de la Flèche d’Or ou de la Maroquinerie ! Dans ce lieu, magique il est vrai pour qui vit avec son époque - l’art numérique y est maître - et où même le personnel a l’air sorti de la rubrique hype d’un numéro de Technikart, l’élite culturelle du centre de Paris montre ses biscottos, ses tenues sorties du placard, ses moustaches et ses favorites à la Wyatt Earp. L’hégémonie tuant l’originalité, c’est un public difficile et peu communicatif ; pas vraiment ce que Martin pouvait espérer de mieux pour assouvir ses frasques légendaires ! Il appellera ainsi à maintes reprises le public à réagir - et même plus - à ses provocations... en vain. Aussi froids qu’un circuit imprimé vous dis-je !
Difficile pourtant de rester un sage spectateur à l’écoute des riffs lourds et hypnotiques de Patrick Constable (guitare) et Matthew J. Saw (basse) qui jouent comme les musiciens du Motörhead ; plus avec les mains qu’avec les doigts ! Parfaits représentants du shoegaze noisy made in UK, Matthew J.Saw est le seul bassiste connu à jouer toutes les cordes à la fois lors d’allers-retours. L’introduction du concert leur est dédiée et démarre par un très bon et très énergique titre acoustique sur fond d’éclairs et d’orages solaires projetés sur le mur vidéo. Dès le second morceau, Martin apparaît dans la pénombre de la gauche de la scène où se tiennent plusieurs vidéastes et photographes dans sa tenue de camouflage. Il passera le reste du set à parcourir la scène de long en large sur des postures corporelles qui ne sont pas sans rappeler, parfois, la gestuelle d’un Prince version Punk.
Si les paroles de Selfish Cunt se rangent toujours du côté du politiquement incorrect, quand ce n’est tout simplement pas du côté de l’outrage (Born In A Mess ou Feel Like A Woman), le jeu de scène de Martin, parfois caricatural, et le jeu musical de ses acolytes, souvent à la limite de l’écoutable, laissent finalement assez perplexe. Il se dégage des zones claires du noir profond qu’affectionne Martin dans ses propos et des lueurs boréales orangées dans les profondeurs ténébreuses du sons noisy de ses trois musiciens mais le tout semble comme brouillé ; parasité et, pour tout dire, peut-être trop appuyé sur la personnalité du leader qui, même remonté à bloc avec l’énergie du désespoir emprunté à des Sex Pistols sous perfusion d’électronique, ne peut faire le show tout seul sans pencher inévitablement du coté de la parodie et de la comédie musicale de type Phantom Of The Paradise et son inégalable scène où Beef, star glam punk construite de toute pièce par un producteur démoniaque, se fait électrocuter sur scène et trouve là le paroxysme de son personnage, l’orgasme ultime du chanteur star sur qui repose le concert.

Selfish Cunt ont offert un show arty et brillant qui colle au lieu. Ces Anglais là font quelque chose de nouveau qui change réellement du tout venant actuel. On ne peut que leur souhaiter de trouver le canalisateur, le producteur qui saura remettre les morceaux du puzzle dans l’ordre (ou dans un désordre) qui, en faisant sens, les pénètrera.