Tout juste deux ans après son grand retour sur la scène française, Paul Weller rempile au Bataclan de Paris ce soir.
En arrivant devant la salle, surprise : le trottoir est clairsemé. Après quelques minutes de réflexion, le temps de récupérer nos places, et l’explication s’impose. Le public parisien de Paul Weller est en grande partie composé d’Anglais, et ce soir deux matches sont organisés dans le cadre de l’Euro 2012 de football. Le public est donc au bar d’à côté devant la télé et une pinte de bière à main ! Pourtant il s’agit de ne pas être en retard, il n’y a aucune première partie, le concert démarre à 20h15. Une bonne partie des sportifs va donc manquer le début des festivités.
Paul Weller n'est pas du genre à tergiverser. Il n'est pas là pour satisfaire les fantasmes des touristes venus uniquement pour entendre des chansons des Jam. Il s'agit là de faire la promotion de son dernier album encore tout chaud sorti des pressoirs,
Sonik Kicks. Et histoire que tout le monde le comprenne bien, il commence son concert tout simplement en jouant cet album
en entier et dans l'ordre du tracklisting. Que ceux qui ne sont pas contents retournent regarder le foot.
Tandis que le marasme ambiant de l'industrie musicale pousse des groupes défunts à
ressusciter et jouer sur scène des albums devenus madeleines de Proust pour trentenaires et quarantenaires dépressifs (il paraît qu'on appelle cela « un album mythique »), Weller joue son nouvel opus, que personne ou presque ne connaît réellement encore.
On a beau l'accuser de désuétude, voire de ringardise en se réclamant du mouvement Mod, Paul Weller n'est pas homme à regarder vers le passé. Malgré toutes les épreuves qui se sont présentées à lui, il n'a toujours fait qu'avancer. Le sentimentalisme, très peu pour lui. Certains des musiciens présents sur scène avec lui n'étaient sans doute pas nés à la séparation des Jam. Ceux-ci sont au nombre de cinq. Outre l'inusable Steve Cradock à la guitare et le fidèle Andy Lewis à la basse, il y a là le batteur Steve Pilgrim, qui a plus d'un tour dans son sac, et le claviériste de The Moons, Andy Crofts, venu accompagné de son comparse Ben Gordelier pour prêter main forte aux percussions.
Pendant toute la première partie du spectacle, ils vont faire montre de leur virtuosité sur des ambiances d'une variété à donner le tournis : tantôt psyché, tantôt quasi prog rock, tantôt carrément dub, le groupe nous emmène aux confins d'un univers aux frontières pas aussi restreintes qu'on aimerait le croire. Si l'on rajoute à cela les envolées magiques des guitares de Steve Cradock, ces onze morceaux livrés d'un bloc ne sont rien de moins qu'hypnotiques. Pendant ce temps, Weller se balade, change d'instrument comme bon lui semble, entre guitare, piano et melodica, debout ou assis, ou fumant une pipe au contenu mystérieux, il s'efface par moments au profit de Pilgrim ou de sa femme Hannah venue prêter sa voix au morceau
By The Waters. Totalement submergé par cette atmosphère, il balancera tout de même à la guitare des solo blues éclatants, histoire de rappeler qui est le patron.
Une fois cette séquence terminée et un petit entracte, des tabourets sont installés au bord de la scène sur laquelle s'installent tous les musiciens (sauf Gordelier, toujours au renfort percussions) pour entamer un interlude acoustique bienvenu. Cinq guitaristes hors-pair jouent donc ensemble dans un esprit entre Crosby Stills & Nash et les Byrds. C'est là qu'est jouée la sublime ballade
You Do Something To Me, assurément l'un des grands chefs-d’œuvre de Weller. Après un nouvel entracte, les acolytes reviennent (après un rapide changement de chemise), et cette fois, les choses sérieuses peuvent commencer.
Ce deuxième set électrique, débuté après plus d'une heure de concert, loin de calmer le jeu, monte la tension de plusieurs crans, avec des morceaux aussi énergiques que
From The Floorboards Up ou
Fast Car/Slow Traffic, respectivement issus des récents albums que sont
As Is Now et
Wake Up The Nation. Cette séquence s'achève sur les « sha-la-la-la » de
Whirlpool's End. Si toute la carrière solo de Weller a été représentée ce soir, aucun signe en revanche de la période Style Council. Nous ferait-il l'affront de ne jouer aucune chanson des Jam ?
Que nenni. Tout vient à point à qui sait attendre. Après plus de deux heures de concert, et une communication avec le public plus que minimale, Weller sort de scène, laissant sa guitare électrique résonner en larsen, avant de revenir quelques instants plus tard et entamer un enchaînement
Art School -
In The City des plus décoiffants. Les fans en sont pour leurs frais. Enfin, ceux qui ont survécu jusque là. Voir Weller jouer les Jam, ça se mérite. L'euphorie est complète, les fans de foot s’époumonent, la bière coule à flot, les amplis crachent sans retenue. Puis vient l'heure de la délivrance avec un
Pieces Of A Dream salvateur. Les lumières se rallument, la sono se remet à cracher du mauvais ska, mais pourtant les téméraires à l'esprit embrumé par deux heures et demi de concert refusent de partir. Le groupe est contraint de rempiler pour une dernière ! Pas fatigué pour un sou, Weller revient et débat avec son groupe le choix du morceau imprévu. Ce sera
The Changingman.
Weller a vécu plusieurs vies, en a changé certaines, continue d'en influencer beaucoup. Fier, étranger au tumulte ambiant, il évolue mais ne change pas. Il est une oasis d'authentique dans un désert de poudre aux yeux, un repère inamovible sur une ligne d'horizon encombrée de futile. Plus qu'essentiel, il est une légende.