Une fois n’est pas coutume : c’est ce soir dans l’ambiance feutrée et chic de la célèbre salle Pleyel que nous nous rendons. Comme chaque année, le festival Days Off a frappé fort : après Beck mardi soir, c’est au tour de Chilly Gonzales, accompagné de Serafina Steer, de prendre possession de la Mecque de la musique classique pour une soirée à la croisée des genres.
Loin de la faune habituelle des concerts, sacs à mains griffés et tenues élégantes remplacent les jeans et tee-shirts à l’effigie de groupes divers et variés qui parsèment à l’accoutumée les salles de concerts parisiennes. Alors qu’Anne-Elisabeth salue poliment Pierre-François, une voix off nous annonce que le spectacle est sur le point de commencer (vingt heures sonnantes et trébuchantes, ponctualité oblige). Confortablement lovés dans notre fauteuil moelleux, notre attention est soudain happée par une silhouette filiforme portant un costume ajusté et de grosses lunettes de plastique : Jarvis Cocker, en aficionado des soirées à ne pas manquer, se joint à l’assemblée, dans l’indifférence quasi-totale. Il faut dire que celui-ci, tombé sous le charme de la jolie britannique à la voix de velours, a décidé de produire Moths Are Real, dernier album de Serafina, sorti cette année.
La jeune harpiste propose un concert très minimaliste : seule sur scène, elle interprète timidement ses compositions drôles et réalistes. Si la comparaison avec Joanna Newsom est inévitable, leur seul point commun serait leur instrument car la pop de l'anglaise est bien plus sage que celle de l’Américaine.
Sa voix claire, résonnant aussi bien dans les aigus que les graves, accompagnée du son chimérique de la harpe, semble être en parfaite adéquation avec le lieu. Tandis qu’elle caresse sensuellement les cordes, elle se met peu à peu à l’aise ; peu bavarde, elle préfère nous montrer ses talents plutôt que de combler les blancs à des banalités niaises. Avec une détermination sans faille, Serafina Steer va peu à peu convaincre la prestigieuse salle Pleyel : sa sensibilité et la beauté de son instrument ne laissent personne indifférent et à la fin de son concert, l’Anglaise est visiblement très surprise de l’accueil réservé par les spectateurs.
La suite promet bien des surprises. Chilly Gonzales, en charentaises et robe de chambre satinée, fait son entrée ; si le Canadien est extravagant (comme à son habitude) par sa tenue vestimentaire, il est étrangement calme et sobre de par son attitude alors qu’il entame un morceau seul au piano. La virtuosité saute alors d’emblée aux oreilles et dès l’introduction de White Keys (morceau concept où seules les touches blanches du piano entrent en jeu), le génie est lâché ! Rapidement rejoint par un ensemble de cordes et d’une dizaine d’autres musiciens (cor, flûte traversière ou encore clarinette), Chilly est de plus en plus expressif. Il parle avec humour de sa mégalomanie légendaire donc il se joue et ne cesse de clamer « I said I was a musical genius » à qui veut l’entendre. A l’encontre des concerts de musique classique comme on pourrait se les imaginer, l’ensemble déjoue les codes en y mêlant du rap (sur un six/huit temps) ou en jouant avec le public : un volontaire aura même la chance de composer, en direct, un morceau avec la douzaine de musiciens. Les performances sont fascinantes et nous peinons à croire que ce soir est le premier spectacle sous cette forme tant tous sont à l’aise sur scène.
Près de deux heures ne suffiront pas à rassasier notre appétit pour l’esprit fantasque de Chilly Gonzales et même la vue de Jarvis Cocker à la fin du spectacle n’efface que difficilement la frustration de ne pas avoir fait durer le concert encore un peu plus.
Days Off a donc à nouveau réussi à proposer un concert unique, rapprochant rap et musique classique, pop et harpe, le plus simplement du monde. La chance de vivre de tels moments dans la Salle Pleyel n’enlève, de plus, rien au spectacle.