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Buzzcocks

Paris, Cité de la Musique - 24 octobre 2013

Live-report par Olivier Kalousdian

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On peut parfois reprocher à la Cité de la Musique son élitisme culturel ou son manque d’ouverture au public le moins fortuné, mais il convient de lui reconnaître une bonne fois pour toutes ses compétences artistiques, la suprématie de ses équipements et la qualité de sa programmation.

À l’occasion d’un festival nommé « Europunk, Une Révolution Artistique, 1976/1980 », proposé du 15 octobre 2013 au 19 janvier 2014, sous l’égide de l’Académie de France à Rome et la Villa Medici, le programmateur musical a réussi le tour de force de réunir, sur deux soirées consécutives, le chanteur, auteur, compositeur et producteur à l’origine du mouvement punk lui même – John Lydon, alias Johnny Rotten – ainsi que deux survivants des années zéro de la culture 1975/1979, Pete Shelley et Steve Diggle. Le premier à travers le groupe PiL (Public Image Limited), formation créée à l’aune de 1978 sur les cendres encore fumantes des Sex Pistols, volontairement (ou presque) sabordés par abus de drogues, succès et incompétences musicales notoires. Et les deux autres, dans un groupe qui affiche une longévité record, ayant survécu aux affres du punk, du post-punk, de la new wave, de la house music... les Buzzcocks.
Avec un public un peu « parisianiste » mais entremêlant plusieurs générations, un focus sur cette période, que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, est proposé par cette exposition Europunk qui mélange concerts, photographies et cinéma (le légendaire Rude Boy de Jack Hazan and David Mingay est proposé en projection le dimanche 27 octobre). Retour sur un mouvement dont le nom est universellement connu, mais dont la source et le message s’atténuent avec le temps dans une société qui n’a plus d’autres rebellions en tête que celle du pouvoir d’achat.

Punk, n. 1. Mouvement de jeunes de la fin des années 70 caractérisé par des slogans anti establishment, des vêtements et des coiffures agressifs. 2. Personne ou chose inférieure, corrompue ou dénuée de valeur. 3. Articles sans valeur définis collectivement. 4. Abréviation de punk-rock. 5. Argot. Jeune homosexuel mâle ; minet. 6. Argot. Prostitué(e). – adj. 7. Corrompu ou sans valeur. {Collins English Dictionnary, 2000}
Mais, étymologiquement, aucune des définitions de cet adjectif, antérieures à la période susnommée, n’a trait à un mouvement musical. Il le deviendra avec l’appropriation du terme par des bandes d’énergumènes Anglais qui, laissés pour compte dans des banlieues et cités miteuses du pays, subissant une crise à coté de laquelle celle que nous vivons s’apparente au boum économique du Qatar, décideront que l’establishment et les vieilles valeurs ont vécu et qu’il est temps de montrer à la jeunesse comment les renverser à coup d’amplis explosés, de guitares fusillées et d’amateurisme artistique revendiqué. Un beau programme, en somme.

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Dans la superbe et très sombre salle de concerts de la Cité de la Musique, l’ouverture de la soirée est confiée au groupe Français Frustration signé sur le très bon label Born Bad Records. Avec un nom qui fleure bon le cynisme froid de la période post-punk, ces cinq garçons menés par un chanteur charismatique, Fabrice Gilbert, lequel affiche une désespérante énergie sombre dans ses compositions déclamées sur un flow mécanique rappelant à la fois Jello Biafra et Mark Allen Mothersbaugh, jouent des notes à glacer les sangs.
Récemment porté aux nues dans les médias de qualité, leur deuxième album, Uncivilized est un superbe bijou métallique et froid. Avec des influences revendiquées chez Warum Jo (dont ils assument la proximité), ou Devo (dont ils assument une reprise) et un talent certain pour le live, Frustration est une découverte de choix dans ce festival pourtant dédié à une époque passée.

Belle idée que de mêler des légendes de l’époque punk encore vivantes avec des groupes beaucoup plus récents tels que Frustration ou Cheveu (programmés le 25 octobre), qui, comme d’autres avant eux, confirment et honorent l’adage déjà trentenaire : Punk’s Not Dead !
C’est devant un public chaud, mais bien trop sage, comme souvent dans ces salles dites classiques que les Buzzcocks entrent en scène sous une bannière géante à leur nom dans une typo identifiable entre cent. Quand on peut réunir autant de passionnés qui sont aussi parfois devenus des gens aisés, pourquoi se gêner ! En 1976, le Record Mirror titrait : « Les Sex Pistols sont à peu prés aussi subtils qu’un fusil à canon scié. » Ou comment résumer les débuts du punk en un seul titre ! Les débuts, seulement, car tout de suite après émergeront des groupes qui, toujours portés par l’énergie brute et les textes politisés des défricheurs du genre, trouveront le temps, la patience et l’intérêt d’apprendre un peu de solfège et de plaquer quelques accords de plus dans des titres urgents, engagés mais intégrant, enfin, des mélodies.

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Les Buzzcocks – qui ouvraient déjà pour les Sex Pistols en 1976 – sont réputés pour avoir su mêler la pop des Beatles avec l’urgence du punk rock (le terme rock accolé au terme punk marque cette évolution) ; affirmation journalistique de l’époque, légèrement exagérée. Que ce soit sur Boredom – un hymne instantané qui, d’un ton cynique, raconte comment Howard Devoto (ex-leader du groupe) a l’impression de vivre sa vie dans un mauvais film, ennuyeux au possible – qui démarre le set du soir ou Autonomy qui le suit jusqu’au polémique Orgasm Addict, ce ne sont évidemment ni Paul McCartney et encore moins Eric Clapton aux partitions, mais les compositions tout juste passables et urgentes de Howard Dovoto, Pete Shelley et Steve Diggle, trois noms entrés au panthéon du punk rock après trente-cinq ans de carrière.
Et que dire de ce titre de 1978, Ever Fallen In Love (With Someone You Shouldn't've) écrit en quelques jours et qui, après maintes reprises (dont une à oublier de la blonde Kim Wilde), a intégré à jamais la mémoire collective aidée, notamment, par la superbe version Bossa Nova qu'en ont donnée les Nouvelle Vague hexagonaux ? Gardé au chaud par Pete Shelley (son auteur) jusqu’à l’avant-dernier titre du rappel, il vaut à lui seul le déplacement ce soir.

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Les esprits chagrins pourront toujours se revendiquer nostalgiques des tenues incongrues (il aimait les collants verts fluo bons marché !) de Pete Shelley ou décrier son embonpoint actuel... Il n’empêche ; avec un Steve Diggle encore survolté et hurlant à la révolution en crachant à tout va, et malgré leurs soixante bougies toutes proches, ces deux piliers du punk accompagnés des deux juniors, Chris Remmington et Danny Farrant, lesquels ont à peine l’age de leurs fils, ont prouvé, une fois de plus, que le son métallique, la section rythmique pied au plancher et le tir de barrage des deux guitares des Buzzcocks font toujours la loi dans la République du Rock et que, depuis eux, peu peuvent se prévaloir d’avoir à ce point traversé les époques et les esprits. Esprits emportés, depuis, par les soucis bien plus mercantiles que ces quarantenaires et cinquantenaires, majoritairement présents ce soir, vivent au jour le jour dans leurs costumes et leurs berlines rutilantes et qui, pour quelques heures, ont pu secouer la tête nerveusement de gauche à droite dans un sourire béat sans que leurs employés ou patrons ne voient là un signe évident de démence contagieuse ou d’Alzheimer précoce.

Vingt-deux titres et une heure et demie plus tard, les mine réjouies, ce flot de papas et de mamans de l’après baby boum regagne, au pas de charge, le parking de la Villette y retrouver leurs vies trépidantes, les embouteillages et la pollution dont ils souffrent en y participant activement. Dans un coin de leur cerveau, une main sur le volant et l’autre sur leurs smartphones, ils se souviendront longtemps de cette soirée Europunk où, l’espace de quelques heures, ils se sont souvenus que la culture et la musique en particulier ont toujours été les meilleurs alliés de la société pour sortir de ces crises avec lesquelles on nous menace depuis les années 70s.
setlist
    Boredom
    Fast Cars
    I Don't Mind
    Autonomy
    Get On Our Own
    Whatever Happened To?
    When Love Turns Around
    Girls From Chainstore
    Suck City
    Fiction Romance
    Pulsebeat
    Nothing Left
    Noise Annoys
    Breakdwown
    U Say U Don't Love Me
    Promises
    Love You More
    What Do I Get
    ---
    Harmony In My Head
    Ever Fallen in Love (With Someone You Shouldn't've)
    Orgasm Addict
    Oh Shit
photos du concert
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