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Bad Breeding
The Jesus And Mary Chain
Eagulls
Royal Blood

Paris, Cigale - 16 novembre 2014

Live-report par Xavier Ridel

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En clôture de cette 27ème édition du Festival les inRocKs Philips, l'affiche est plus qu'alléchante et annonciatrice d'un déluge de guitares distordues directement importées du Royaume-Uni.

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A Paris, ce soir, nombreux sont ceux qui ont hâte de voir Royal Blood et n'en ont pas grand-chose à faire des autres groupes. Tout du moins jusqu'à ce que, ayant pénétré dans l'enceinte d'une Cigale désertée, ils n'entendent les hurlements de Bad Breeding. Les chansons du groupe sonnent comme des coups de tronçonneuse. Une intensité et une rage peu communes se dégagent des anglais qui expédient leurs chansons à coups de pompes dans les cieux. Le chanteur est possédé par quelque chose de viscéral, n'hésite pas à jouer avec les spectateurs, embrassant par exemple le crane d'un vieil homme du premier rang. Age Of Nothing sonne comme une véritable détonation au sein d'un public amorphe, terrifié par tant d'énergie déployée. Mais cette léthargie importe peu à Bad Breeding. Les quatre musiciens se noient dans la musique, leur exutoire ultime, comme un cachet de speed dans l'oesophage d'un punk. Une réelle complicité lie les quatre musiciens qui jouent leur mélange de noise, de punk et de hardcore en se trouvant sans se chercher. Chaque chanson, entrecoupée d'enregistrements inaudibles, ne dure pas plus de deux minutes, et le concert se termine au bout de moins d'une demi-heure. Aussi les musiciens s'éclipsent-ils sans un mot en laissant une trainée de poudre emplir les oreilles du spectateur ébahi.

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Le temps d'une cigarette et d'une pinte et nous nous précipitons devant la scène. Au tour d'Eagulls de nous asséner leur post-punk déchirant à la figure. Après une très courte introduction, les musiciens originaires de Leeds balancent un Tough Luck déchainé. La salle se réveille enfin, quelques clameurs émergent des têtes qui se balancent d'avant en arrière. Impossible de ne pas se sentir replongé au coeur des années 80 à la vue du concert des britanniques tant les influences new wave et post-punk sont palpables : c'est d'ailleurs un des seuls défauts que nous puissions leur trouver.
La puissance sonore du groupe suinte la crasse et la furie des bas-fonds anglais, tandis que la voix de George Mitchell surnage et hante des murs qui se fendent sous les mélodies abrasives du quatuor. Le charisme incandescent du chanteur à parka contraste fortement avec les autres freaks d'Eagulls. L'homme fait tournoyer son microphone autour de lui comme le Morissey de la grande époque, ne lâche pas un mot au public, mais inonde ce dernier de sa longue et pâle silhouette. De Nerve Endings à Hollow Visions, la setlist du soir couvre leur premier album éponyme. Le temps d'une dernière chanson, un Possessed repris en coeur par les quelques rares fans disséminés dans la foule, et les gars de Leeds sortent de scène avec une hâte non feinte. Les aigles-mouettes ne sont pas amoureux de leurs fans, peut-être les observent-ils tout juste du haut de cumulus noirâtres, sans doute les méprisent-ils de leurs yeux perçants, mais qu'importe. C'est là-dedans que le rock anglais puise sa source.

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Sauf justement lorsqu'il s'agit du prochain groupe. Car outre leur musique, ce qui fait le succès habituel de Royal Blood, c'est leur proximité avec leur public et leur jeu de scène extraverti. Dès leur entrée sur scène, chacun comprend que le public se divise aujourd'hui entre les pro-Jesus And Mary Chain et les pro-Royal Blood. Ces derniers sont massivement représentés par des jeunes filles en fleur et des garçons boutonneux (c'est à peine exagéré) qui font trembler la Cigale lorsque le groupe fait son entrée sur le 99 Problems de Jay-Z. Après une présentation sommaire, le duo empoigne basse et guitare et lance Hole, b-side du single Little Monster. Qu'on aime ou déteste l'attitude du groupe, impossible de fermer les yeux sur le talent de celui-ci. Il est vrai qu'à force de bouger partout et d'exporter ses fans à l'applaudir, le chanteur/bassiste peut paraître insupportable, que le batteur tape trop fort et de manière trop hachurée. Il est également vrai que pour des anglais, leur musique sonne très américaine et que leurs riffs et leurs voix renvoient à Queens Of The Stone Age ou Muse. Il n'empêche que les deux hommes font le job et et mettent la Cigale à feu et à sang.
Il existe un test imparable pour mettre les nouveaux groupes à l'épreuve : observer l'attitude des cinquantenaires face à ces derniers. Et ici, même les anciens rockeurs venus assister au retour des frères Reid ne peuvent s'empêcher de battre le tempo de leurs crânes blanchis. Mike Kerr, en dépit de ses nombreux défauts, est un excellent musicien qui manie son instrument et sa distorsion de très jolie manière. Et le duo impressionne par sa maitrise. Au vu du soutien affiché par leur public, nul doute n'est permis : Royal Blood sera bientôt la tête d'affiche de nombreux stades. Néanmoins, et c'est un avis totalement subjectif, leurs chansons de ce soir, parmi lesquelles Little Monsters ou Ten Tonne Skeletons, ne m'auront guère touché. Le duo termine donc son concert sur Out Of The Black, son premier single. La chanson reste dans la droite lignée du set, et les deux musiciens sortent de scène sous les cris d'amour et les applaudissements non contenus de leur public.

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Et voilà, il est temps d'aller se fournir en stock de bières avant de passer aux choses sérieuses. Nos corps tremblent d'appréhension à la perspective du concert de The Jesus And Mary Chain. Comment les frères Reid s'en sortiront-ils ? A la vue des derniers lives du groupe, ces derniers semblent avoir beaucoup perdu de leur verve d'antan, et il s'agit là d'un euphémisme. Faisant fi de nos préjugés, nous nous jetons tête basse au sein d'une fosse bondée. Et les voilà qui arrivent. Les années ont passé, c'est indéniable. Jim Reid arbore un tee shirt des Modern Lovers et n'a pas perdu son visage d'éternel adolescent boudeur tandis que William, toujours affublé d'une impressionnante touffe de cheveux désormais blancs, porte sur ses frêles épaules le poids des années passées à se lover dans les excès en tous genres. Les guitares sont empoignées, et voilà que retentit April Skies. La voix est pratiquement inaudible, les larsens ont totalement disparu du son des rockeurs britanniques, nous avons presque l'impression de voir des débutants jouer, mais quelque chose se dégage quand même d'eux. Ce quelque chose qui flotte dans l'air asphyxié de la Cigale n'est rien d'autre que la beauté, la pureté des mélodies des frères Reid. La chanson se termine, Jim empoigne son microphone, gratifie la fosse d'une esquisse de sourire et lance Head On. Et là encore, si la magie des premiers instants est perdue à tout jamais, impossible de ne pas succomber au charme de ces chansons intemporelles. Les titres s'enchainent, toujours aucune trace de larsens à l'horizon, des gros ratés (en particulier un Psychocandy assez triste) mais des moments de grâce extrême (un magnifique Some Candy Talking et un Upside Down déchainé).

Il est temps pour les britanniques de faire une pause alors que des écrans diffusent des images d'archives mêlées à des projections psychédéliques. Cette deuxième partie du set sera en réalité une relecture de l'album Psychocandy qui a crevé les tympans de bon nombre d'adolescents de l'année 1985. L'entrée en matière sur Just Like Honey est totalement ratée. Lénifiant comme jamais, Jim Reid chante les joies de la chair et les peines de l'amour sans y croire une seconde, tandis que trône à ses cotés une choriste inutile. Les mains du public commencent alors à se tordre, les mâchoires se serrent, les sourcils se froncent. Comment ont-ils pu massacrer une chanson aussi sublime ? William Reid tourne alors le dos au public et voilà les Jesus And Mary Chain partis sur un The Living End tonitruant. Ô joie, ô douce senteur de larsens. Le voilà de retour, ce son de guitare que tout le monde attendait. L'humeur de la salle est presque christique, chacun reçoit ce déluge de distorsion comme s'il s'agissait d'une pluie d'étoiles. Et la suite de ce concert ne décevra pas.
Jim Reid semble enfin se délecter autant que possible de chaque syllabe qu'il prononce et décroche même quelques sourires aux spectateurs béats. L'album sera joué dans son intégralité sans écart notable. Un Sowing Seeds magistralement exécuté parvient même à faire oublier la tristesse de l'interprétation de sa grande soeur Just Like Honey, et les quatre titres de fin s'enchainent, jusqu'à It's So Hard qui sonne le gong de fin. Jim Reid lance un salut timide à la foule tandis que les autres musiciens quittent la scène sans dire un mot. L'écran géant projette maintenant un immense « Game Over » et chaque spectateur, abruti par les décibels, quitte l'antre de la Cigale les oreilles sifflantes.

Bien sûr, ce concert de The Jesus And Mary Chain n'a rien à voir avec ceux de leurs débuts. Il est évident qu'une part de magie s'est littéralement perdue en route, mais il faut parfois accepter que les idoles vieillissent, que les visages chéris par nos coeurs d'adolescents se couvrent de rides. Le réel est fait ainsi : à l'opposé de Dorian Gray, les images restent les mêmes, ce sont les corps qui encaissent les coups des ans. Il n'empêche que les frères Reid et les musiciens ont aujourd'hui offert au public un concert certes inégal, mais non dénué de charme. Leur jeu s'est assagi, mais leurs mélodies restent intemporelles, gravées au silex dans les neurones de chaque spectateur présent à la Cigale ce soir là. Et les pores de nos épidermes gardent encore la trace de ce concert à la grâce si particulière, parce que si bancale.
setlist
    BAD BREEDING
    Non disponible

    EAGULLS
    Non disponible

    ROYAL BLOOD
    Hole
    Come On Over
    You Can Be So Cruel
    Figure It Out
    Little Monster
    Careless
    Loose Change
    Ten Tonne Skeleton
    Better Strangers
    Out Of The Black

    THE JESUS AND MARY CHAIN
    April Skies
    Head On
    Some Candy Talking
    Psychocandy
    Up Too High
    Reverence
    Upside Down
    --- Just Like Honey
    The Living End
    Taste The Floor
    The Hardest Walk
    Cut Dead
    In A Hole
    Taste Of Cindy
    Never Understand
    Inside Me
    Sowing Seeds
    My Little Underground
    You Trip Me Up
    Something's Wrong
    It's So Hard
photos du concert
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