« Beautiful place you have here. It will be lovely when it's finished. »
– Neil Hannon, very serious artist
Au lendemain de l'
inauguration version pop de la Philharmonie de Paris par Tindersticks, c'est au tour de The Divine Comedy de fouler la scène de la majestueuse salle fraîchement ouverte, conçue par l'architecte Jean Nouvel et l'acousticien Sir Harold Marshall. Groupe intergénérationnel, présent sur la scène musicale depuis plus d'un quart de siècle, The Divine Comedy fait ainsi venir ce mercredi 11 février un public absolument hétérogène dans la Grande Salle de la Philharmonie de Paris.

Alors que retentit la célèbre ouverture de la
Cavalerie Légère de Franz Von Suppé, Neil Hannon, accompagné de ses sept musiciens et de sa barbe hirsute, fait son entrée sur scène. Et quelle meilleure façon de débuter le spectacle que de jouer
Absent Friends, composition à l'orchestration frénétique tirée de l'album qui a relancé le groupe anglais en 2004 après un
Regeneration trop différent et expérimental pour le grand public.
La diversité des instruments présents ce soir (nombreux cuivres, violon, violoncelle et accordéon d'un côté ; guitare, basse, clavier et batterie de l'autre) n'est clairement pas de trop pour restituer les arrangements et les merveilles de certaines compositions, dont les plus anciennes issues de
Promenade,
Casanova et
Fin de Siècle.
Le groupe ira même jusqu'à jouer l'appréciée
Your Daddy's Car, tirée de
Liberation sorti en 1993, terminant sur le
« feel » (de
« Can you feel the engine start ? ») qu'il tient une vingtaine de secondes de manière magistrale – avant bien évidemment de lâcher de brefs
« hey » et de plaisanter avec le groupe.
Car là est la seconde raison d'assister à un concert de The Divine Comedy : l'humour. Le leader, très en forme et tout en légèreté, plaisante très régulièrement, aussi bien entre les chansons quand il s'accorde ou quand sa guitare n'est pas branchée que durant les chansons elles-mêmes (
« I can't get up that high anymore, oh no now I'm forty four », chante-t-il sur
Charge lorsqu'il ne parvient pas à atteindre la voix de tête), ne se prenant jamais au sérieux quand n'importe qui ayant une fraction de son talent le ferait sans hésiter.
The Booklovers en est un parfait exemple. Alors que l'on pourrait s'attendre à s'ennuyer durant le recensement des écrivains, il en est tout autrement. Neil Hannon a en effet eu la bonne idée de remplacer la fameuse liste d'auteurs par des personnalités dont le nom a plus ou moins un rapport avec les livres. S'ensuit donc une liste de jeux de mot, à la fois minables et géniaux, que le groupe a passé la journée à écrire – au lieu de visiter Paris, par exemple !
Ainsi, pour faire honneur au travail accompli et à la dévotion de The Divine Comedy pour son public, voici un (Vanessa) paragraphe inutile et donc indispensable répertoriant les meilleurs noms entendus ce soir :
Book Shields, Book Rogers, Shia LaBook, Ellen Page, Burt Bookarach, Toulouse Labibliothèque, Livre Tyler, Oliver Reed, David Letterman, Sean Penn, Colonne Firth, Vanessa Paragraphe, Salvador Diary, Edgar Allan Poem, Novella Fitzgerald, Axel Prose, Arthur Von Bookmark, Pep Guardialog, Biographyona Apple, Maria Sharatypova, Felicity Kindle, Clark Fable, Tale-or Swift, Johnny Marrgin.
« I am a very serious artist », lance-t-il ironiquement, avant de passer à la chanson suivante,
In Pursuit Of Happiness, seule chanson – mais quelle chanson ! – issue de
A Short Album About Love à être interprétée : les réjouissants refrains sont chantonnés par une partie de l'assistance tandis que les différents instruments fusionnent les uns aux autres dans une symbiose folle sur la seconde moitié de la chanson.
Alors que
Promenade est disséminé tout au long du concert, via notamment les incontournables
The Summerhouse et
When The Lights Go Out All Over Europe,
Casanova est, lui, fortement représenté avant l'entracte, avec rien de moins que successivement
Something For The Weekend, Becoming More Like Alfie et
The Frog Princess et leurs fameux arrangements de cuivres –
« Don't fuck it up, you're in Paris », avertit Hannon au trompettiste avant d'entamer
The Frog Princess !
Le dernier album en date,
Bang Goes The Knighthood paru en 2010, est également bien représenté sur les cent-vingt-sept minutes que durera le show avec pas moins de cinq titres joués, dont le doux piano jazz
Have You Ever Been In Love et, surtout,
Bang Goes The Knighthood, mini-opéra baroque de trois minutes joué par un Neil Hannon poignant, un verre de vin rouge à la main, concluant le titre à genoux, les yeux rivés aux nuages flottants de la Grande Salle de la Philharmonie.

Continuant sur sa lancée, le groupe interprète l'une des meilleures compositions du trop mésestimé
Victory For The Comic Muse, le récit doux-amer
A Lady Of A Certain Age qui emporte l'audience dans son univers le temps de six minutes figées dans le temps. Dans le même registre et toujours tirée de
Victory For The Comic Muse, la majestueuse
The Plough et sa mélodie crève-cœur au violon est jouée ce mercredi soir, prenant toute son ampleur en live via ses nombreux changements de rythme et ses arrangements somptueux.
La dernière demi-heure mêle des compositions de toutes les époques du groupe, à commencer par deux des plus récentes,
Down In The Street Below et
The Complete Banker. Alors que la première rend compte de l'orientation plus théâtrale et solennelle de
Bang Goes The Knighthood, la seconde affiche une pop plus décomplexée et entraînante, agrémentée d'un solo de guitare peu banal, comme le conçoit Hannon une fois la chanson terminée.
« And the price for 'worst guitar solo' goes to Neil Hannon for The Divine Comedy, thank you very much ! ».
Absent Friends fait également son retour en fin de concert, dans un premier temps avec la ballade folk
Charmed Life. Tout le monde se lève ensuite pour le mythique
Tonight We Fly de
Promenade, terminant le show sur une standing ovation unanime et un Neil Hannon véritablement reconnaissant. Les harmonies entre les différentes voix et l'énergie que dégage le titre fait danser les 2000 personnes que contient la Grande Salle de la Philharmonie de Paris.
Le premier rappel débute sur la mélancolique
Our Mutual Friend d'
Absent Friends, durant laquelle les spectateurs du parterre s'approchent de la scène. Hannon se rapproche alors naturellement à son tour de son public durant la chanson et descend dans la fosse pour chanter en leur compagnie, s'allongeant sur le sol tandis que ses musiciens continuent de jouer. L'artiste termine en reprenant le refrain de
Chandelier (Sia) sur les arrangements de
Our Mutual Friend.
The Divine Comedy termine sur deux titres de
Fin de Siècle, à commencer par
National Express qui met de nouveau les cuivres à l'honneur. La fosse à présent comblée et les spectateurs toujours debout dans les balcons, toute la salle danse durant le refrain entraînant du titre et le
« terrible guitar solo » de Neil Hannon. Après que les premiers rangs ont touché la barbe d'Hannon – littéralement –, les huit musiciens reviennent pour un second rappel, réjouissant l'audience, notamment lorsque le nom de la chanson est révélé.
Alors que l'on pourrait trouver étonnant de terminer sur
Sunrise plutôt que sur le culte
Generation Sex, interprété une demi-heure avant, et son solo de violon final effréné, cela semble finalement tellement évident lorsque le chanteur déploie son déchirant
« Who'll care when you're six feet beneath the ground ? » devant un parterre simplement captivé et silencieux.
« Bonne nuit. »
Alors que Tindersticks offraient déjà la veille une prestation remarquable, The Divine Comedy poursuivent le baptême pop de la Philharmonie de Paris pour une soirée de plus de deux heures tout bonnement inoubliable, aussi bien du côté du groupe en lui-même, à la générosité incroyable qui aura joué vingt-cinq des meilleurs compositions de son répertoire, que du côté de la Grande salle, dont l'architecture intimiste ondulée et les nuages flottants procurent une acoustique de qualité et font danser les lumières dans une configuration exceptionnelle. Alors, à qui le tour de fouler la scène de la Grande Salle et passer après deux des formations britanniques les plus riches et appréciées ?